Mohamed Zayani primé par l’ICA
Comprendre la subversion numérique qui a accompagné l’émergence de la révolution tunisienne, et la mécanique par laquelle le numérique s’est forgé une place de choix dans la vie politique et sociale en Tunisie et le monde arabe, tel a été le point focal d’une recherche réalisée par Mohamed Zayani. Interviews et enquêtes de terrain lui ont permis de dresser le portrait des nouvelles formes d’interaction et d’engagement politique de citoyens évoluant dans un contexte autoritaire, dans un ouvrage intitulé Networked Publics and Digital Contention : The Politics of Everyday Life in Tunisia. Un travail documenté et exhaustif pour lequel ce chercheur au sein du CIRS (Center for International and Regional Studies) a obtenu en avril 2016 le prix du Global Communication and Social Change Best Book Award, délivré par l’ICA (International Communication Association), une ONG américaine qui regroupe des chercheurs spécialisés dans l’étude des moyens de communication humaine.
Mohamed Zayani s’est notamment intéressé à la redéfinition de l’action politique dans un contexte où la numérisation a chamboulé les moyens d’accès à l’information ainsi qu’à la constitution sur le Web de réseaux citoyens arabes plus engagés dans la contestation et l’activisme politiques. Une évolution qui selon lui a permis de renouveler les outils conceptuels de l’étude des mouvements sociaux et d’établir les fondements d’une nouvelle forme d’exercice de la citoyenneté. Mais également de redéfinir les termes du contrat qui régit les relations entre l’Etat et les citoyens, notamment en terme de liberté d’expression, dans le contexte des « printemps arabes ». Les citoyens, désormais détenteurs d’un pouvoir de négociation et d’une conscience politique plus contraignants pour l’Etat, seraient alors selon Zayani plus enclins à peser dans les débats publics et la définition de l’action politique. Née bien avant la chute de Ben Ali, la contestation en réseau des dérives du pouvoir, sans qu’elle ne se soit à tout moment matérialisée par une dissidence matérielle, a alimenté de manière latente la soif de justice et la constitution d’une dissidence politique qui furent à l’origine de la révolution.
Le chercheur s’interroge toutefois sur la durabilité post-révolution du succès obtenu par ces réseaux et, loin de tout utopisme, se demande si le pouvoir tunisien actuel compte laisser s’épanouir ces formes d’expression populaires ou si, au contraire, il ne risque pas de retomber dans le piège de l’autoritarisme, de la surveillance d’Internet et de la répression des mouvements contestataires. Ces formes innovantes d’organisation du débat et de mise en question du pouvoir de l’Etat n’étant pas l’apanage des cercles progressistes, Internet est en effet également investi par des groupes religieux, parfois jihadistes, que l’Etat pourrait être tenté de surveiller de près.
Le livre a été décrit dans le milieu universitaire américain comme « l’une des meilleures analyses des mouvements sociaux qui ont conduit à la transformation du monde arabe, et une contribution majeure à la compréhension des mouvements sociaux de l’ère numérique ».
Mohamed Zayani est professeur de la Théorie critique à l’Université de Georgetown – School of Foreign Service du Qatar et directeur du Programme des médias et de la politique. Il est également co-directeur de l’Institut CCT (Communication, Culture and Technology) relevant de la même université.
Nejiba Belkadi