Edito - Taoufik Habaieb : Pugnacité, le maître-mot
Le quatrième et dernier trimestre de l’année est celui du rattrapage. Le regard rivé sur le tableau de bord, le chef d’entreprise est tétanisé par un bilan déficitaire. Le grand argentier, lui, est hanté par la dérive continue des finances publiques. Tous deux partagent le même souci, dans cette Tunisie en pleine turbulence, et avec de grosses craintes. Mais ils restent animés d’une lueur d’espoir : au moins, limiter les dégâts et stabiliser les tendances ; au mieux : les renverser favorablement.
Si le chef d’entreprise ne peut plus rien espérer de l’État qui a fini d’être providence, il ne lui reste que de compter sur lui-même et sur ses équipes. C’est-à-dire traquer les coûts superflus, explorer d’autres gisements de croissance, innover, accroître la productivité, exporter sur d’autres marchés... En a-t-il les moyens et l’énergie nécessaires, lui qui est partagé entre la concurrence de la contrebande, les réclamations de ses banquiers et les revendications de ses salariés? A-t-il une alternative autre que de persévérer?
Le ministre des Finances ne maîtrise plus les fondamentaux des deniers publics. La spirale de l’endettement, l’envol de l’inflation, la dépréciation du dinar et l’assèchement des recettes fiscales et parafiscales le mettent chaque jour encore plus au pied du mur. Les fins de mois deviennent un véritable cauchemar, tant les demandes sont insatiables et les caisses dégarnies. Il doit pourtant s’ingénier pour payer. Son unique moyen pour boucher les trous est de persister dans l’effort et s’évertuer à mobiliser les fonds.
Le chef de famille n’est pas mieux loti. Obéré par la cherté des prix, l’accroissement des frais de scolarité, de transport, de soins de santé et des dépenses de survie, il ploie sous le poids des privations et des sacrifices à consentir chaque jour encore plus. Pour nourrir sa famille et subvenir à l’essentiel vital, il ne peut que faire preuve d’abnégation et s’armer de patience et d’espoir.
Ces Tunisiens, officiels, professionnels ou simples citoyens sont tous dans la souffrance. Alors que d’autres, politiciens à l’affût du pouvoir pour en jouir, spéculateurs, trafiquants, corrompus et oisifs, sont dans l’insouciance. A chacun son petit ou gros manège. Leurs intérêts ne croisent guère ceux de la Tunisie, voire s’y opposent.
Face à cette vague d’opportunisme poussant le pays dans les abysses de l’enfer, et menaçant l’État de déliquescence, faut-il baisser les bras et se résigner à la fatalité de l’échec ?
Les trois mois qui nous restent d’ici la fin de l’année sont suffisants pour nous en tirer. Au seul prix de la pugnacité, cette force de détermination à affronter courageusement le danger. Le camp au pouvoir, le premier. N’ayant plus rien à attendre d’une opposition revancharde, sectaire, archaïque et complètement déconnectée de la réalité, il doit s’adresser constamment au peuple en lui tenant le langage de la vérité et de la franchise, et surtout en servant d’exemple. C’est le meilleur moyen de sensibiliser le peuple aux menaces qui pèsent sur le pays.
Pugnace, Victor Hugo (1802-1885) qui martelait «... Et s’il n’en reste qu’un je serai celui-là », nous le rappelait dans Les Châtiments (1853) :
Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime...
Taoufik Habaieb