De la réciprocité dans les relations internationales
Les négociations engagées entre parlementaires algériens et tunisiens pour supprimer l’impôt dit de solidarité imposé aux visiteurs de notre pays ont abouti. Le chef du gouvernement tunisien vient de donner sa promesse de supprimer l’impôt dans la loi des finances 2017. Cette conclusion heureuse pour les citoyens des deux pays est le résultat de la menace du gouvernement algérien d’user du principe de réciprocité et d’imposer, à partir de janvier 2017, une taxe de 20 € aux voitures tunisiennes de tourisme qui entrent en Algérie.
A propos de réciprocité dans les relations internationales, parlons plutôt des visas de tourisme. Pour les visiteurs de la Tunisie ayant d’autres nationalités que maghrébines, diverses modalités d’autorisation d’entrée sont appliquées en fonction du pays d’origine. Pour les ressortissants de certains pays, la Tunisie exige un visa payant à obtenir à l’avance, alors que ces pays, eux, ne l’exigent pas des Tunisiens entrant sur leur territoire. C’est le cas par exemple pour la Syrie. Pour d’autres pays au contraire, la Tunisie se contente d’un visa automatique par tampon à l’entrée, alors que les Tunisiens sont soumis pour entrer dans ces pays à l’exigence du visa payant obtenu à l’avance. C’est le cas pour les Etats-Unis, le Canada et tous les pays de la zone Schengen. La carte d’identité étrangère en cours de validité peut même remplacer le passeport pour les ressortissants français, italiens, belges, suisses, allemands et hollandais dans le cas de voyages touristiques organisés. Où se trouve la justification d’une telle dissymétrie ?
En toute bonne diplomatie, un pays souverain se doit d’appliquer le principe de réciprocité, sur bien des questions, notamment celle des visas. Je ne proposerais pas de mesures dissuasives qui provoqueraient des queues humiliantes devant nos consulats en Europe, des délais de délivrance dépassant parfois un mois, ni l’appel aux services de sociétés intermédiaires dont la rémunération s’ajoute pour l’usager au coût du visa. Je propose une meilleure symétrie dans nos relations internationales : continuer à ne pas exiger de visa des ressortissants des pays qui, eux, n’en exigent pas des Tunisiens ; pour les autres, nous devons nous aussi imposer un visa payant, mais qui pourrait être délivré et payé à la frontière. Et pour éviter que ce visa de tourisme ne soit onéreux pour nos visiteurs, un coût moitié du coût du visa Schengen pourrait être pratiqué. Ce système de visas faciles délivrés et payés à la frontière fait ses preuves actuellement en Indonésie, en Jordanie et dans d’autres pays, sans qu’aucun touriste ne s’en plaigne.
Ce type de visas de court séjour simple faciliterait aussi la visite de notre pays par des touristes venant de pays non européens. Chacun d’entre nous a en mémoire des histoires regrettables, je citerai par exemple celle-ci : un de mes amis, tunisien habitant en France, avait invité un de ses ami vietnamien à venir visiter notre pays, mais ce dernier n’a jamais pu obtenir de visa. Ou encore celle-ci : lorsque que je participais à l’organisation de congrès scientifiques internationaux se déroulant à Tunis, j’ai rencontré de regrettables difficultés à faire entrer en Tunisie les scientifiques asiatiques et moyen-orientaux.
Les citoyens tunisiens se sentent actuellement déconsidérés par le fait que leur pays n’applique pas la réciprocité vis-à-vis de certains pays partenaires de la Tunisie. Un pas vers plus d’équilibre serait une marque de dignité nationale. Le système simple de visas de court séjour payants que je propose, sans gêner le tourisme, rappellerait peut-être aux citoyens européens ou nord-américains entrant dans notre pays que leur propre pays exige des Tunisiens se rendant chez eux un visa complexe et onéreux. Peut-être réfléchiraient-ils un peu aux causes et au bien-fondé de la dissymétrie.
Enfin, parlons finances ! Cette mesure ferait de la Ministre des finances une ministre heureuse ! Un calcul approximatif, tenant compte du nombre d’entrées de court séjour en Tunisie avec un coût du visa de 30 USD, donne une rentrée annuelle de plus de 150 millions de Dinars. C’est plus de cinq fois ce que rapporte la taxe de voyage, inventée par feu Mohamed Mzali en 1984 et massivement décriée depuis par les usagers (dont beaucoup d’ailleurs sont des fonctionnaires, si bien que l’Etat redonne d’une main ce qu’il a pris de l’autre : il paye la taxe dans les frais de voyage alloués par l’administration). Il faudrait y réfléchir pour la loi des finances complémentaire ou celle de 2017. Et en profiter pour supprimer la taxe de voyage.
Dr. Ahmed Bouazzi
Professeur des universités
Membre dirigeant du parti Ettahalof Eddimokrati