Taoufik Habaieb: Youssef Chahed à la Kasbah et un maître-mot, cliver
Son énergie débordante lui a fait rallier le plébiscite redoutable d’un parlement en majorité acquis d’avance. Youssef Chahed est aux commandes, incarnant à la fois une génération transversale qui se hisse un peu partout dans les démocraties et un renouvellement accéléré de la classe politique.
Le mot clé sera «cliver» (rompre). Un vocable de son temps qui s’érige en concept et n’attend que concrétisation.
Par l’état des lieux dressé, Chahed ne fait qu’attiser les attentes, accélérer les échéances, augmenter les pressions qui s’exerceront sur son gouvernement.
Point de répit, il n’aura que 120 jours, d’ici la fin de l’année, pour assurer et convaincre. Le quatrième trimestre qui commence en ce début de septembre sera déterminant. L’inévitable loi de finances complémentaire pour corriger les comptes de la nation et l’inextricable budget 2017 à boucler avant la mi-octobre seront ses premières épreuves.
Tout le reste à la fois, en très peu de temps. Son index de performance doit cliver avec ce que la Tunisie et les Tunisiens ont jusque-là connu, enduré, dénoncé.
La forte détermination affichée par Youssef Chahed et son équipe est remarquable. Est-elle suffisante pour affronter une situation des plus difficiles, des plus lourdes en diverses menaces? Le sécuritaire, le financier et le social, en premiers fronts.
La grande question qui se pose immédiatement en toute acuité est de savoir vis-à-vis de qui le gouvernement tiendra ses engagements. L’Ugtt, avec les augmentations salariales contractées pour 2017 et représentant pas moins de 2.2 milliards de dinars ?. Ou le FMI, principal bailleur de fonds, ayant clairement exprimé ses exigences pour débloquer les crédits salutaires? Les deux à la fois, répondra Chahed dans son interview à Leaders. De quelle manière et à quelle hauteur?
Au cœur du débat latent qui traversera la Tunisie tout au long des prochaines semaines, l’État et les politiques publiques.
L’État, dans la confirmation de sa souveraineté, y compris financière, l’affirmation de ses fondamentaux et la mise en œuvre complète de la nouvelle constitution. Le glissement du régime parlementaire édicté vers une tendance présidentialiste interpelle quant à la nature du nouveau système politique. L’axe Nidaa-Ennahdha s’impose clairement en binôme solidement scellé par Caïd Essebsi et Ghannouchi au pouvoir. Avec toutes les déclinaisons que le nouveau gouvernement illustre.
Les politiques publiques, qui restent à formuler et faire accepter par tous. L’enjeu majeur sera les sacrifices à répartir équitablement, en attendant l’accomplissement de leurs promesses dans les années à venir.
Enhardi par l’appui du Parlement, Youssef Chahed, qui ne saurait en être grisé, part avec un préjugé favorable. Les séquences vont s’enchaîner rapidement. Chacune sera encore plus difficile et compliquée que la précédente.
Parti pour tenir, escompte-t-il, jusqu’aux prochaines élections de 2019, il ne lui reste en fait que moins de trois ans pour cliver, réussir et confirmer sa destinée. Et surtout faire réussir la transition démocratique, prospère, de la Tunisie.
Taoufik Habaieb