L’ambassadeur Ahmed Ounaïes: J’étais à Moscou
Le 2 août 1990, lors de l’invasion du Koweït par les forces armées irakiennes, j’étais en poste à Moscou où ma mission devait s’achever en principe à la fin du mois. Ce matin, un malaise s’abat sur le groupe arabe où la tension flottante n’avait jamais atteint ce point où l’existence même d’un Etat était en cause au sein de la grande famille.Précisons qu’août et septembre 1990 étaient, pour le personnel de l’Ambassade, chargés. Nous recevions du 1er au 7 août une délégation parlementaire tunisienne qui avait un programme lourd à Moscou et une visite de quatre jours à Tachkent; ensuite une délégation du Groupe Chimique les 13 et 14 août; puis une visite officielle du 20 au 27 août de Dali Jazi, ministre de la Santé publique, accompagné de quatre hauts responsables, avec plusieurs audiences, visites et un séjour à Léningrad; l’accueil, le 22 août, du policier tunisien Salah Manaï, atteint aux yeux par un attentat islamiste à Tunis et qui a pu être admis à l’Institut de microchirurgie de l’oeil à Moscou ; arrivée le 26 août d’un premier groupe de 70 nouveaux étudiants, accueillis, hébergés et répartis entre 10 villes universitaires; arrivée le 1er septembre d’un second groupe de 40 nouveaux étudiants; du 2 au 6 septembre, séjour d’une délégation technique du ministère des Affaires étrangères; du 5 au 8 septembre, mission spéciale de Abderrahim Zouari; arrivée le 10 septembre de Cheikh Mokhtar Sellami, accompagné de trois autres délégués, pour participer du 14 au 16 septembre à une conférence à Tachkent célébrant le 1200e anniversaire du savant Abou Issa Tarmazi. Ces visites dictaient chacune un logiciel et un protocole appropriés. Je me joignais nécessairement aux entretiens et aux déplacements des parlementaires et des ministres. Le 12 septembre, ayant fait par ailleurs mes adieux, en tant qu’ambassadeur, aux autorités soviétiques et aux collègues, je partais pour Tunis. La crise déclenchée le 2 août ajoutait une note dramatique à l’agenda de l’Urss qui était alors engagée dans une transition de portée stratégique: la réforme de son système économique et politique et le processus d’unification allemande. Ces objectifs représentaient une révision fondamentale de l’ordre communiste et de l’ordre européen d’après-guerre. Le coup de force irakien paraissait, au premier abord, un acte impensable: une surprise stratégique aux conséquences infinies.
Un tel détonateur annonce-t-il une dynamique d’un nouveau genre? Vivions-nous les prémices d’un nouvel ordre arabe ? Est-il vrai que le monde arabe créait l’événement?
Deux questions me hantaient: l’ordre arabe était mis en question non par le fait d’une agression extérieure mais du fait d’un acte délibéré au sein même de la famille. Fallait-il, à la veille d’un nouvel ordre européen, poser le problème de la validité et de la durabilité de l’ordre arabe? Pour autant, l’acte de guerre, le coup de force, les exactions de la soldatesque irakienne… sont inadmissibles. Si une réforme fondamentale s’impose – ce qui reste à prouver –, elle ne saurait s’effectuer par la force. L’autre souci était la crainte de l’arbitrage étranger: le Koweït et ses voisins immédiats allaient légitimement faire appel aux puissances occidentales pour repousser l’agression au nom de la légalité internationale. Cela paraissait inévitable, mais à quel prix ! A moins de tenter une négociation interarabe pour faire admettre le retrait des forces irakiennes… Là encore, l’Irak ne cèderait que sous la pression: le recours aux puissances occidentales paraissait inévitable.
En toute hypothèse, la perspective était sombre. Dans l’immédiat, je me persuadais que la Tunisie allait exiger le retrait des forces irakiennes, quitte à tenter d’épargner à l’Irak d’éventuelles sanctions. J’attendais une clarification de Tunis, qui ne saurait tarder. D’autre part, quelle attitude adopterait l’Urss, alliée traditionnelle de l’Irak? Il est clair qu’elle s’efforçait d’attirer les pays du Golfe: à l’époque, seuls le Koweït, Oman et les Emirats arabes unis étaient représentés à Moscou.
Aussi tentera-t-elle tout au plus une médiation mais, sur le fond, elle plaidera certainement le rétablissement de la souveraineté et de l’intégrité du Koweït. L’ambassadeur koweïtien, Abdelmohsen Douaïj, en a eu très vite l’assurance. L’agression caractérisée de l’Irak représentait pour l’Urss une épreuve difficile dans la politique de rapprochement qu’elle tentait d’accréditer auprès de l’Occident, notamment le respect de la légalité internationale, indépendamment des options idéologiques. Les Etats-Unis allaient certainement condamner l’agression et exiger le retrait des forces irakiennes. Je ne m’attendais pas, de la part de l’Urss, à une dérobade ou à une ruse visant à épargner l’Irak: dans ce contexte, Moscou ne soutiendra pas l’Irak dans son affrontement ni avec les pays du Golfe ni avec l’Occident. Dans cette perspective, l’Irak tiendrat-il? Quels atouts détient-il? Questions sans réponse.
Nous abordons un tournant des relations internationales où la Ligue arabe et le Mouvement des non-alignés seront irrémédiablement divisés et où l’Urss et les pays de l’Otan, en revanche, entreront en coopération. Sommes-nous préparés
pour ce tournant?
J’apprends le soir même du 2 août le recours du Koweït au Conseil de sécurité. La résolution adoptée exige le retrait immédiat des forces irakiennes: la voie est donc tracée avec l’appui déclaré de l’Urss. Le Yémen, membre du Conseil
de sécurité, prend fait et cause pour l’Irak, mais sa voix ne pèse guère. Le lendemain, les ministres arabes des Affaires étrangères, qui se trouvaient au Caire pour une session de la Conférence islamique, tiennent une réunion d’urgence en
tant que Ligue arabe: ils condamnent l’agression et se prononcent pour le retrait immédiat des forces irakiennes. La résolution est approuvée par 14 voix incluant la Tunisie; seuls quatre membres s’y opposent: Jordanie, OLP, Soudan et Yémen. Notre ministre, Ismaïl Khelil, présent au Caire, avait donc pris la bonne décision. Enrevanche, le vote téméraire de l’OLP l’exposait à la rancune des pays du Golfe: Yasser Arafat prenait un pari risqué. Le 6 août, le Conseil de sécurité décide le boycott militaire, financier et commercial de l’Irak jusqu’au retrait de ses forces du Koweït. De jour en jour, l’Irak poussait ses exigences à des extrémités diplomatiquement intenables : d’une part, il liait le retrait du Koweït à la condition que la dynastie Subah ne gouverne plus le pays et qu’Israël mette fin à l’occupation des territoires palestiniens; d’autre part, il place les ressortissants occidentaux présents en Irak sous protection militaire et leur interdit de quitter le pays : une prise d’otages flagrante. Enfin, il proclame l’annexion pure et simple du Koweït.
Une telle gesticulation trahit la faiblesse et l’autisme de l’Irak.
Le 9 août, le Conseil de sécurité déclare nulle et non avenue la mesure d’annexion. Trois développements aggravent les divisions interarabes: le président Moubarak, fort d’une , décision convenue avec les pays du Golfe de faire appel, pour libérer le Koweït, à une coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, appelle à un sommet arabe fixé pour le 10 août au Caire afin d’entériner la décision. De son côté, le président Ben Ali recommande une consultation préalable pour arrêter une formule de règlement négocié: le sommet serait alors convié pour appuyer le règlement pacifique de préférence à une intervention étrangère. Or, le sommet se tient au Caire sans faire mention de la proposition tunisienne, et
décide d’emblée le principe de la coalition internationale. Le Maghreb – en principe uni en février 1989 – se montre divisé : la Tunisie boycotte le sommet, le Maroc et la Mauritanie votent pour la coalition, la Libye vote contre, l’Algérie s’abstient. Je tenais les informations des dépêches TAP et AFP.
Dans ce contexte, quelle chance subsiste pour une négociation ? Quel rôle pourrait jouer Chadly Klibi, secrétaire général de la Ligue arabe ? Le 3 septembre, un mois après le coup, tirant les conséquences de la fracture arabe évidente, il démissionnait. Dans la foulée, l’Egypte organise le 10 septembre un second sommet extraordinaire auquel participent tout juste 12 pays membres; elle obtient la décision de ramener au Caire le siège de la Ligue arabe. A ce stade, où en est la question de fond ? De toute évidence, la coalition internationale et le jeu des sanctions prenaient le dessus et couvraient les petits calculs opportunistes. S’il est vrai qu’un ballet diplomatique commençait à occuper la scène, ce n’était guère à des fins de règlement négocié, mais tout juste pour mieux cerner la consistance des deux camps.
Une logique manichéenne s’installait dans les rangs arabes et sur la scène internationale. Les décisions majeures incombaient totalement aux puissances occidentales. A la demande de Riyad, les Etats-Unis avaient commencé, dès le 7 août, à installer un dispositif militaire aux confins de l’Arabie Saoudite et du Koweït, de crainte que l’offensive irakienne ne déborde en territoire saoudien: c’est l’opération défensive «Bouclier du Désert». L’opération offensive, la future «Tempête du Désert» destinée à libérer le territoire koweïtien, fait l’objet désormais de consultations intenses à l’échelle internationale.
Elle comptera 29 pays membres. Dans la plupart des capitales, la mise en place de la coalition s’impose au centre des priorités. Le 25 août, le Conseil de sécurité autorise l’usage de la force contre l’Irak: le compte à rebours est déclenché.
A Moscou, les émissaires arabes défilent: le prince Bandar Ibn Soltane (Arabie Saoudite), le ministre Abdelmaguid (Egypte), Saadoun Hammadi puis Tarak Aziz (Irak), etc. Devant le ministre Abdelmaguid, j’émets une réserve sur le principe de l’intervention étrangère tant que les efforts de recherche d’un règlement pacifique n’étaient pas épuisés. J’en informe le lendemain, 28 août,
Ismaïl Khelil. C’était le jour où il organisait la passation à son successeur, Habib Boularès.
Le jour même, je reçois un appel du Cabinet du nouveau ministre pour m’aviser d’une initiative tunisienne : le président Ben Ali adresse un message écrit au président Gorbatchev ; Abderrahim Zouari, secrétaire général du RCD, chargé de présenter le message à son haut destinataire, arrivera à Moscou le 5 septembre. La même démarche s’adresse simultanément aux membres permanents du Conseil de sécurité ainsi qu’à six autres pays, y compris l’Arabie Saoudite, la RFA et le Japon. En raison de ce développement, mon mandat à Moscou est prorogé jusqu’à mi-septembre.
Curieusement, le ministère soviétique des Affaires étrangères m’avertissait à deux reprises qu’il était préférable de dissuader l’émissaire spécial de venir cette semaine sachant que les hauts dirigeants étaient très pris et qu’aucune possibilité
ne semblait permettre une audience. Je m’opposais fermement à transmettre un tel message à Tunis, opposant à mes interlocuteurs deux arguments: «Vous avez délivré un visa à l’émissaire spécial: de ce fait, nul n’admettrait à Tunis un revirement de votre part à si bref délai; d’autre part, le message présidentiel s’adresse essentiellement aux membres permanents du Conseil de sécurité: nous ne saurions, pour notre part, omettre l’Union soviétique». En définitive, la mission s’est déroulée dans de bonnes conditions: M. Zouari, dignement accueilli à son arrivée, était reçu pour une séance de travail approfondie par le ministre de l’Armement, M. Belo-Oussov, chargé spécialement de l’Irak depuis plus de cinq ans, puis par le ministre des Affaires étrangères, Edouard Chevardnadze, pendant plus d’une heure. Il était également reçu, en sa qualité de secrétaire général du RCD, par Karen Brutens, le plus haut responsable du PCUS pour les pays arabes, pour un déjeuner officiel.
Quant au fond, la Tunisie proposait un plan de sortie de crise en huit étapes, avec un point politique central: l’Irak s’engagerait à se retirer moyennant l’organisation d’un référendum au Koweït où la famille Subah serait confirmée comme souverain du pays. Cette condition, pour Moscou, est difficilement acceptable car elle consacre un principe d’ingérence. Cependant, le règlement négocié est important pourvu que le président Saddam Hussein accepte le principe du retrait. Or, Bagdad s’en tient désormais au fait accompli. Le gouvernement soviétique apprécierait le concours de la Tunisie pour persuader l’Irak d’admettre et de promettre le retrait du Koweït. Sur cette base, la négociation pourra esquisser une formule politique et dresser un calendrier. La Tunisie est donc invitée à un effort de persuasion auprès de Saddam Hussein sur ce point précis. Le discours politique de Belo- Oussov est direct: «Il y a cinq ans, dit-il, nous aurions provoqué une seconde crise qui aurait mis l’Occident sous pression, permettant de négocier un compromis en mesure de tirer l’Irak de l’impasse. Aujourd’hui, l’Urss rejette totalement une telle politique.»
Nous retenons que l’Urss soutient fermement la coalition internationale et endosse pleinement la cause du Koweït, mais qu’elle ne se commet pas dans le volet militaire. Pourquoi? «Parce que, dit Belo-Oussov, seule une coalition large et forte peut persuader le président irakien de la vanité de son entreprise et de la nécessité de se retirer du Koweït.
En revanche, l’Urss ne se joindra pas, le cas échéant, aux opérations de guerre, étant convaincue qu’à tous égards, la guerre détruirait irrémédiablement le potentiel arabe.»
Peut-on affirmer que la mission avait réussi? A notre connaissance, les démarches entreprises auprès des onze capitales n’ont pas enregistré de progrès substantiel du fait que la Tunisie n’avait pas obtenu au préalable un quelconque engagement des dirigeants irakiens. Du côté arabe, l’Arabie Saoudite avait pris connaissance très attentivement du message tunisien sans prendre le moindre engagement. Le témoignage de M. Béji Caïd Essebsi dans son livre Bourguiba,
le bon grain et l’ivraie relativement à la même mission qu’il avait accomplie à Bonn auprès du président Weizsäcker et du ministre Genscher et relativement à la mission ultime conduite par M. Hamed Karoui auprès de Saddam Hussein
à Bagdad, et dont il était membre ainsi que M.Habib Boularès, confirme la thèse soviétique : l’Irak n’était pas mûr pour un geste politique.
Retenons également que la crise avait été l’occasion d’une normalisation vivement souhaitée par Moscou : l’établissement de relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite scellées le 17 septembre. Par ailleurs, l’Irak et l’Iran reprenaient à leur tour les relations diplomatiques le 14 octobre. Retenons d’autre part que l’Egypte, à la faveur de la crise, avait pu affirmer sa centralité dans la politique régionale, s’allier étroitement aux pays du Golfe en plein désarroi et tirer avantage, sur tous les plans, quant à l’effacement de sa dette et au rétablissement de son leadership au sein de la Ligue arabe.
Retenons enfin que le président Ben Ali n’avait pas, dès le départ, approuvé la position d’Ismaïl Khelil lors de la réunion d’urgence des ministres des Affaires étrangères le 3 août au Caire. Ismaïl Khelil avait évidemment soutenu la nécessité du retrait immédiat des forces irakiennes du Koweït. Or, Ben Ali ne partageait pas une telle évidence.
Les dépêches de presse ultérieures datées de Tunis révélaient assez cette cassure qui m’était bientôt confirmée par Dali Jazi. Mes collègues arabes à Moscou insinuaient devant moi que la Tunisie, connue pour son attachement à la légalité internationale, devenait imprévisible. J’invoquais alors l’hypothèse d’une médiation qui dictait nécessairement la neutralité. L’initiative tunisienne auprès des membres permanents du Conseil de sécurité était venue conforter ma défense, mais au fond, je ne pouvais manquer d’observer que, dans cette épreuve, la fermeté de principe et la cohérence diplomatique de l’Egypte, mais aussi de la Syrie et du Maroc, étaient maintenues jusqu’au bout. Le départ d’Ismaïl Khelil du ministère signifiait que Ben Ali ne s’estimait pas lié par la doctrine politique de Bourguiba: cette
cassure a marqué notre politique arabe. Le cristal tunisien était fêlé.
A Tunis, je constatais que les collègues du ministère étaient submergés de travail et, pour la plupart, centrés sur les prochaines échéances de l’UMA.
C’est seulement à partir de l’ultimatum lancé
l’Irak le 29 novembre par le Conseil de sécurité et qui fixait la date limite du 15 janvier 1991 pour l’évacuation du Koweït, que l’actualité de la crise irakienne reprenait la priorité. Le 5 décembre, j’étais chargé avec quelques collègues d’assurer le suivi de la crise et d’élaborer un bref mémo quotidien à l’attention du Cabinet. A partir du 9 janvier 1991, l’équipe fonctionnait en tant que cellule de crise.
Auparavant, du 29 novembre au 5 décembre, la Tunisie organisait une semaine d’amitié tunisosoviétique. Pour la circonstance, une délégation dirigée par Boris Kolokolov, vice-ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et ancien ambassadeur à Tunis, était accueillie, mais la crise n’a pas été formellement abordée avec la délégation. Au sein de la cellule, le doute subsistait quant à la puissance offensive et à la capacité défensive de l’Irak. Les sources occidentales
se contredisaient et gonflaient l’arsenal irakien sans grande cohérence. La question tactique non plus n’était pas tranchée. Nos projections n’excluaient aucune possibilité : l’Irak pouvait, le dernier jour, décider le retrait de ses troupes comme il pouvait déclencher, en réponse à la première attaque, des représailles foudroyantes.
Dans la nuit du 17 au 18 janvier, l’attaque était déclenchée peu après minuit sur l’Irak et sur le Koweït par les forces aériennes américaines, britanniques et saoudiennes. Les membres de la cellule de crise étaient invités d’urgence au ministère.
Dans nos évaluations à chaud, la logique de guerre était plus aisée à percer que les virtualités de l’attentisme. La médiocre riposte des forces irakiennes, tant à Bagdad qu’en territoire koweïtien, trahissait une faiblesse stratégique fatale. Les
défenses aériennes de l’Irak étaient incroyablement défaillantes : l’Irak submergé croulait sous un bombardement infernal. Très vite, nous nous posions les problèmes de l’après-guerre.
La décision d’arrêt des combats, communiquée d’abord au Yémen, n’allait pas tarder. Le 28 février, l’Irak acceptait les termes fixés par toutes les résolutions du Conseil de sécurité. Le président Bush fixait l’arrêt des combats à minuit, heure
américaine.
La cellule de crise avait préparé un projet de mémorandum destiné au président du Conseil de sécurité, dans l’esprit de promouvoir au Moyen- Orient un ordre de paix pleinement conforme aux impératifs de la légalité internationale. Nous posions ainsi le problème palestinien dans le nouveau contexte. Notre projet était l’occasion d’une évaluation à laquelle Habib Boularès apportait son éclairage. Ayant coché un passage du projet, qu’il fallait donc réécrire, il avait tenu à nuancer, pour moi, les jugements qui guidaient notre raisonnement. A mon sens, la raideur suicidaire de Saddam Hussein ne pouvait s’expliquer que par la conviction que le fait même de la guerre allait entraîner le Moyen-Orient dans un bouleversement en mesure de rompre les déséquilibres qui s’éternisaient et qui paralysaient les Etats arabes. C’est à cette fin que l’Irak concevait la nécessité de la guerre, quoi qu’il en coûte. Habib Boularès explique autrement le dilemme: «La raideur de Saddam Hussein répond au diktat des Occidentaux pour qui l’Irak devait au préalable admettre le retrait. Aucune négociation n’était permise sans passer par l’ultimatum. Ils savaient qu’il était prêt pour une ouverture, mais dans une logique diplomatique de parité et de respect. L’ultimatum est la négation même de cette logique. Dans le fond, le blocage est foncièrement occidental, il signifie pour l’Irakien le statut d’inégalité et l’attitude d’arrogance
qui sont, pour l’Occident, le lot assigné à la région.
L’Irakien ne s’y résignait pas, même au prix de l’enfer.»
Ahmed Ounaïes
Ancien ambassadeur
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