Que restera-t-il de l’initiative du président de la république?
S’agit-il d’une pièce de théâtre avec un scénario bien écrit par ses co-auteurs au point que les acteurs et les spectateurs ont cru jusqu’à la dernière minute qu’il s’agissait bien d’une histoire vraie?
S’agit-il d’une initiative réelle avec pour objectif réel la formation d’un gouvernement d’union nationale ? Dans ce cas on est tenté de dire que cet objectif ne sera pas atteint car on aura tout au plus un petit élargissement de l’alliance actuelle. Le prochain gouvernement aura d’ailleurs des difficultés à atteindre le nombre de votes favorables atteints par le gouvernement Essid en 2015.
Dans tous les cas cette initiative a retenu l’attention d’une partie de la population , l’autre partie ne se sent plus malheureusement concernée par la politique , elle a aussi alimenté les réseaux sociaux de commentaires et de statuts.
Après deux mois et après une première phase difficile et longue , on arrive à la dernière ligne droite avec un chef du gouvernement chargé de former son gouvernement et une équipe qui se mettra en place vraisemblablement dans quelques jours.
Je ne vais pas commenter la nomination du chef de gouvernement. Nous croisons les doigts et nous espérons que ce gouvernement réussira, mais cette réussite ne peut se faire que si le chef de l’Etat et le chef du gouvernement retiennentles leçons du passé. Les deux sont sans aucun doute conscients des difficultés qu’ils vont rencontrer du fait de l’état de délabrement du pays et qu’ils seront obligés de faire des choix difficiles aussi bien dans leurprogramme de gouvernement que dans le choix de l’équipe ministérielle.
Les raisons de l’échec du gouvernement précédent
Je ne veux pas revenir sur deux aberrations monumentales: le mode du scrutin et le régime hybride qui ne sied aucunement à la mentalité, à la culture et à la situation actuelle du pays qui n’a connu jusque-là que le régime présidentiel autoritaire et absolu. Peut-être que la nomination de Y. Chahed un proche du président de la république (pas au sens familial du terme) résoudra en partie ce problème.
Il est important d’éviter les erreurs du passé qui ont abouti à l’échec des gouvernements qui ont précédé et particulièrement celui de H. Essid.
Ce gouvernement a raté son départ pour plusieurs raisons et particulièrement :
1- Le principe de former un gouvernement où les partis ont imposé leurs candidats même si leurs profils ne correspondaient en aucune manière aux postes qui leurs ont été proposés.
2- l’absence de compétence et d’expérience de certains ministres dans les domaines où ils ont été affectés.
3- l’absence de solidarité entre les membres du gouvernement dont certains se sentaient plus légitimes et plus aptes à occuper le poste de chef du gouvernement.
4- Cent jours ont été nécessaires pour que les ministres puissent annoncer les mesures urgentes à prendre à court terme.
5- Des ministres sans aucune expérience qui ont commencé leur apprentissage le jour de leur nomination et dont certains n’auront pas encore terminé cet apprentissage le jour où ilspartiront.
6- L’absence d’un programme de gouvernement clair et surtout adapté aux réalités et aux problèmes de la Tunisie.
7- des choix erronés et une absence de courage à prendre des décisions difficiles et à s’attaquer aux vrais problèmes de la Tunisie. L’une des plus grandes priorités de ce pays est sans aucun doute la lutte contre la corruption et qui a été le point faible des gouvernements précédents.Aucun résultat ne sera obtenu sans s’attaquer à ce fléau car on peut presque rattacher tous les problèmes de la Tunisie à cette gangrène. La corruption favorise la contrebande, elle-même est intimement liée au terrorisme, elle prive l’état de recettes fiscales très importantes. Orce sont ces mêmes recettes qui manquent à l’état et l’empêchent de mettre en place les investissements nécessaires à relancer l’économie et à créer les postes d’emploi qui peuvent diminuer le chômage. C’est aussi la corruption qui n’encourage pas les investisseurs locaux et étrangers à lancer de nouveaux projets en Tunisie.La corruption est une gangrène qui a touché tous les secteurs et qui est en train de détruire le pays et l’état. Or cette gangrène ne peut être traitée que par des mesures radicales et par des hommes et des femmes au-dessus de tout soupçon. Déclarer la guerre à la corruption et rétablir l’autorité de l’état permettront de résoudre une bonne partie des problèmes du paysor c’est le combat le plus difficile à mener. Les autres réformes sont importantes comme le développement régional, la réforme de la fiscalité, de la santé, de l’éducation et du code des investissements, mais rien ne peut se faire devant une corruption généralisée.
Les bases pour la réussite du prochain gouvernement
La situation actuelle se caractérise par l’urgence absolue, les Tunisiens doivent sentir que des mesures seront prises dès les premiers jours et les premières semaines. Plusieurs parlent de rajeunissement de la classe politique et j’adhère totalement à cet appel mais cela ne peut pas et ne doit pas être une fin en soi. On évoque les cas de Trudeau au Canada, de Cameron en Angleterre, de MatteoRenzi en Italie ou de Fabius en France. On oublie cependant que ces pays ont derrière eux des centaines d’années de démocratie et que ces personnalités ont commencé leur formation politique dès leur plus jeune âge. Or la politique ne s’apprend pas dans les livres mais dans les partis et/ou dans les cabinets ministériels ce qui était impossible à réaliser à l’époque de Ben Ali. L’administration et les cabinets ministériels ne formaient que des commis de l’état.
Les critères essentiels pour appartenir au prochain gouvernement doivent être la compétence, l’expertise, la connaissance des rouages de l’état et l’intégrité. Tant mieux si en plus ils sont jeunes. Il est important que chaque ministre doit recruter dans son cabinet des jeunes de moins de trente-cinq ans d’une part pour permettre le renouvellement de la classe politique et d’autre part pour apporter de nouvelles idées et une nouvelle manière d’aborder les problèmes que seuls les jeunes sont capables d’apporter.
Former un gouvernement de jeunes hommes ou femmes sans aucune expérience est un saut dans l’inconnu que le pays ne peut pas se permettre.Mettre des jeunes sans expérience dans la gueule d’un loup, qui s’appelle l’administration, c’est les exposer à un échec certain et c’est aussi ruiner une carrière politique qui aurait pu être une grande réussite.
Il est certain qu’on ne doit pas généraliser, que c’est cette administration qui a permis au pays de rester debout au lendemain de la révolution, mais c’est aussi cette même administration sclérosée qu’il faudrait réformer car elle a pris un poids considérable mais qui va tout faire pour empêcher cette réforme et c’est aussi le rôle du prochain gouvernement et des nouveaux ministres.
Le chef dE gouvernement doit former son équipe avec de grosses pointures jeunes ou moins jeunes hommes et femmes qui ont une vision claire et surtout un programme de réformes et d’actions déjà prêtes et qu’ils peuvent commencer à appliquer dès les premières semaines et tant mieux s’ils ont déjà une formation et une appartenance politique. Le problème c’est que malheureusement le chef du gouvernement aura du mal à convaincre ces personnes à accepter ce sacrifice car ils ne sont pas du tout certains que la volonté politique de s’attaquer aux vrais problèmes et faire les réformes nécessaires soit présente.
Il est certain que Y. Chahed a dû recevoir depuis déjà plusieurs semaines des dizaines de CV de personnes qui ont proposé leurs services ou qui ont été proposés par les partis ou les proches. Nous espérons tous qu’il puisse trouver les bons profils parmi ces CV sinon il faudrait qu’il élargisse un peu plus sa recherche.
L’obligation de résultat
Le prochain gouvernement ne doit pas parler d’obligation des moyens, d’absence de bâton magique, même si nous savons tous que la tâche est difficile, ils doivent montrer rapidement qu’ils sont sur le bon chemin. Le prochain gouvernement doit réussir car je ne pense pas que nous puissions continuer à multiplier les expériences sans risques. Les perspectives en cas d’échec sont désastreuses pour le pays. Les remaniements ont atteint leur limite, des élections anticipées est un autre saut dans l’inconnu et le risque d’un coup de force ou de nouvelles révoltes ne sont pas exclues.
J’espère que la classe politique apportera le soutien nécessaire , que ceux qui ne sont pas concernés par la formation de ce gouvernement se positionnent dans une critique positive et que la société civile et en particulier les organisations nationales oublient le corporatisme pour une démarche d’intérêt national. Au chef du gouvernement et à ceux qui accepteront de faire partie de son équipe de se montrer à la hauteur de la confiance placée en eux.
Slaheddine Sellami