News - 07.08.2016

Gouvernement Chahed: "Que pour être efficace, il faut cacher ses intentions !"

Gouvernement Chahed: "Que pour être efficace, il faut cacher ses intentions !"

Par Hédi Sraieb - Cette citation Machiavel (discours sur la première Décade de Tite-Live) résumerait bien à elle seule l’aboutissement de la démarche initialisée par le Président en vue de redonner un second souffle à l’action gouvernementale. Le locataire de Carthage aura réussi son pari, celui d’arracher à la quasi-totalité des formations politiques un accord formel autour de finalités générales qui ne pouvaient échapper à la règle du sacro-saint unanimisme, tradition puissamment ancrée dans les mœurs politiques du pays comme dans la conscience collective. Qui pourrait être opposé à la lutte contre le terrorisme, contre la corruption, pour une croissance plus équilibrée pourvoyeuse d’emplois décents ! Quels moyens, quelle stratégie à court et à moyen terme, il n’en sera nullement question!

 
Car le président a pris grand soin de lier le consensus sur les orientations à la constitution d’un gouvernement d’union nationale censé mettre en œuvre cet accord, gouvernement auquel toutes les forces vives du pays étaient appelées à participer, sans exclusive d’aucune sorte. Une fois l’accord scellé, il ne restait plus au Président qu’à reprendre la main. Saisir l’opportunité qui se présente dirait Machiavel, avec la fulgurance qui sied à la circonstance: imposer un premier ministre de son choix!
 
Le président aura dérogé au principe d’unanimité, tout en se conformant à l’esprit de la constitution. Une manœuvre réussie. Pour preuve s’il en fallait une, le dépit affiché par certaines formations. Mais il est bien trop tard, d’autant que le premier ministre est jeune (promesse de campagne), compétent et issu du groupe parlementaire ayant gagné les élections.
 
Le président réalise ce tour de force de réaliser le changement dans la continuité. Quitte à abuser de citations de Machiavel, il en est une qui a dû traverser l’esprit du Président «Contenter le peuple, et ménager les grands, telle est la maxime de ceux qui savent gouverner». Le locataire de Carthage sait en effet les marges de manœuvre étroites et les engagements pris impossible à désavouer. La lettre d’intention solennelle signée au FMI n’autorise aucune inflexion si ce n’est les délais de mise en application…et encore!
 
Le chef du gouvernement une fois son équipe constituée n’aura d’autre loisir que mettre en œuvre les trop fameuses «réformes structurelles» exigées par les institutions internationales toutes unanimes.
 
Nous n’en sommes pas encore tout à fait là. Reste en effet à constituer un gouvernement élargi pouvant s’appuyer sur une majorité parlementaire renforcée et disciplinée. Une vraie gageure s’il en est! Le premier ministre va devoir faire preuve d’habileté et déployer des trésors d’ingéniosité pour arriver à boucler la formation de son nouveau gouvernement. Rajeuni, féminisé, resserré, espère-t-il ! Peu familier des pratiques d’arrangements et d’accommodements, il risque déjà d’y laisser beaucoup d’énergie et de désappointements…Mais c’est la loi du genre! Attendons.
 
«Sauver le pays» a bien été le leitmotiv martelé et rabâché au cours de ces dernières semaines ! Une rhétorique obsédante qui a fini par convaincre la quasi-totalité de la gente politique. Certes mais au juste de quoi ou de qui ? La crise aurait-elle pris une tournure plus aigüe ? Pas l’ombre d’un fait notable nouveau si ne n’est la poursuite d’une lente dégradation. On a quelque mal à saisir le degré d’urgence, pas plus significatif qu’il y a quelques mois en arrière, ni que dans les quelques mois à venir ! D’autant que la lutte contre le terrorisme a semblé avoir remporté ses premiers succès. Mais sans doute le Président a-t-il été agacé par l’extrême prudence du chef du gouvernement s’agissant de sa gestion du climat social. Trop de tensions et de conflits qui s’éternisent: Kerkennah, Gafsa.
 
La situation économique continue certes à se dégrader mais à un rythme moins rapide que durant la période crypto-islamique. La détérioration des grands équilibres, l’accroissement des déficits publics et parapublics ne sont pas le fait du gouvernement sortant. La spirale récessive s’est amorcée dès le lendemain de la révolution, depuis les gouvernements successifs se sont contenter de la contenir.
 
Manifestement le Président a pris acte d’une usure prématurée du gouvernement et de son premier ministre. Il a sans doute jugé le moment propice de tourner la page, et comme partout ailleurs, faire sauter le fusible. Le nouveau gouvernement devrait en toute logique bénéficier d’un nouvel état de grâce, d’autant plus nécessaire que se présente des échéances jugées décisives, celle de la grande conférence internationale sur l’investissement en novembre de cette année, puis celle des élections municipales quelques mois plus tard. 
 
Les prochaines semaines, outre d’être instructives de précieuses indications quant à la conduite future des affaires, devraient réserver encore quelques surprises quant au choix des personnes. Mais sur le fond cette cohabitation à la tunisienne devrait être reconduite autour des vrais-faux frères ennemis et complétée par quelques figures issues de partis signataires de l’accord. Autant dire un renouvellement quasi à l’identique poursuivant la même politique…. aux effets cosmétiques près…s’entend!
 
C’est précisément dans cet aboutissement que l’on mesure tout le génie du Président véritable alchimiste de la politique non pas tant en changeant du plomb en or, mais bien plus surement en réunissant à faire croire que l’on peut faire du neuf avec du suranné. Car ne nous y trompons pas, l’âge, la technicité, la compétence, la probité ne changent rien à l’affaire.
 
Ces qualités, aussi brillantes soient-elles, masquent une adhésion sans faille à une même conception de la société, au même paradigme développementiste, à une même vision néo-libérale des réformes. Le nouveau chef du gouvernement va sans surprise reprendre à son propre compte et sans le moindre état d’âme les projets législatifs réglementaires et organisationnels en attente: l’adoption de la loi sur l’investissement, la promulgation du dispositif d’incitations fiscales et financières à l’investissement (code des impôts), la finalisation des décrets d’application de la loi sur les PPP (concession de traitement des eaux ?), l’adoption de la loi sur le recul de l’âge de la retraite, l’entame de la réforme de l’administration et des services publics (gel des recrutements et non remplacement des départs à la retraite, mise en œuvre d’un plan de départs volontaires, réduction des subventions et poursuite de la désindexation des salaires), la restructuration du secteur public par la poursuite du désengagement de l’Etat des activités jugées non stratégiques, la mise en œuvre de la simplification des procédures administratives et la réduction du nombre d’autorisations préalables….en somme le mémorandum des politiques économique et financière (MPEF), engagement pris par l’Etat à l’égard du FMI !
 
Des réformes à peine entamées que d’aucuns qualifient impudemment, éhontément de «douloureuses et impopulaires» et qui attendent donc le nouveau chef du gouvernement. Retardée et repoussée de mois en mois par les derniers gouvernements, ce qu’il faut bien appeler par son nom véritable, «une politique austéritaire», le futur premier ministre se sait au pied du mur. Il va devoir appliquer cette politique et aucune autre et pour se faire mobiliser des ressources de pédagogie et de persuasion, sans commune mesure avec celles de ses prédécesseurs. Alors on peut toujours ergoter pendant des heures sur l’âge du capitaine (sans lien avec ce que l’on attend de lui), se laisser éblouir par la poudre aux yeux lancée par une éditocratie militante jamais en reste de psychologisme dithyrambique là où on attend une lecture plus politique : Une personnalité aux convictions social-libérales choisie à dessein!
 
Qu’à cela ne tienne! Le nouveau premier ministre n’en mérite pas moins respect et civilité même si l’on peut craindre que l’action de son gouvernement ne mène vers une nouvelle impasse!
 
Hédi Sraieb
Docteur d’Etat en économie du développement