News - 07.08.2016

Le plaidoyer pro domo de Habib Essid

 Habib Essid juge son départ
Sur son lit de clinque où il subissait récemment une bénigne intervention chirurgicale, Habib Essid devait se passer en tête cette fameuse phrase rapportée par Saint-Exupéry dans La Terre des Hommes. Parti à la recherche de l’aviateur de l’Aéropostale Henri Guillaumet porté disparu dans la cordillère des Andes à plus de 4000 m d’altitude, les premiers mots que le survivant prononce: «Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait». En dix-huit mois de calvaire à la Kasbah, battant le record de ses quatre prédécesseurs depuis la révolution, le chef du gouvernement débarqué par le Bardo, en aura tout vu, tout subi et tout supporté. 
Pourtant, malgré toutes les louanges à son endroit, sa droiture, son honnêteté et son «addiction au travail», maintes fois soulignées par les élus de la nation lors des débats soldés par le refus de confiance, rares sont ceux qui trouvent . Les victoires, tous les revendiquent. Les échecs restent orphelins.
Par quoi Habib Essid a pêché? «Son grand défaut, lui reproche-t-on, c’est qu’il ne sait pas choisir ses collaborateurs!». La réponse est immédiate: «Mes collaborateurs, ce sont mes ministres. Je n’interpose pas d’écran entre eux et moi! Une équipe toute restreinte se déploie immédiatement à mes côtés pour remplir des tâches très précises. Sans plus ».
Ses hésitations à prendre les décisions et son manque de riposte ferme dans le bassin minier, lors du conflit à la Petrofac (Kerkennah) ou lors de la fronde de syndicats sécuritaires sous la fenêtre de son bureau à la Kasbah... «Le plus facile aurait été d’utiliser la force. A quel prix ? Et avec résultats garantis? Jamais, je n’en serai tenté, se dégage Habib Essid.
Sa tendance à prendre certaines distances du Palais, chercher à re-parlementariser le régime face à une re-représidentiallisation, comme le mentionne le politologue Hatem Mrad dans le Monde?  Essid n’y prête guère attention. Il a toujours considéré être lié au président Caïd Essebsi par «un contrat d’honneur». «C’est lui qui m’a convaincu d’accepter cette mission. Je ne l’aurai jamais assumée avec un président autre que lui, dira-t-il à l’Assemblée.»

Le plus tôt aurait été le mieux

Alors comment juge-t-il aujourd’hui ce qui lui est arrivé ? « Je devais bien partir un jour ou l’autre, confie-t-il à Leaders. Je n’ai pas apprécié la manière, mais je m’y suis fait. J’aurai pu partir à la première demande directe et passer immédiatement le relais à mon successeur. L’essentiel à mes yeux est d’assurer la permanence de l’Etat sans la moindre discontinuité. En pareilles circonstances, je suis toujours convaincu que ‘’the soonest is the best’’. Mais, vous connaissez l’évolution des choses. M’opposer à la volonté de 3 organisations nationales et 9 partis, c’est impensable. J’ai voulu alors consacrer la pratique constitutionnelle...».

Incapable de dénoncer

Comment se retenir face à l’infidélité des uns, la trahison des autres, les faiblesses, dérobades, défections et retournements de veste, ou encore face aux pressions, voire les menaces, sans rien dire, sans dénoncer personne ? « Vous ne connaissez pas Habib Essid, dit-il. Jamais je ne m’abaisserai à ces grenouillages. Elevé dans le sens de l’Etat, je m’en tiens toujours, jusqu’au bout.»
Les Tunisiens le lui reprocheront fortement. Ils s’attendaient à ce qu’il parle franchement, déballe tout, pointe du doigt ses contempteurs. Les Députés l’en pressent. Souffrant le martyr des suites de sa chirurgie encore non-cicatrisée, contraint à prendre de courtes pauses dans un salon voisin de la grande salle de la plénière, équipé d’un téléviseur pour continuer à suivre les débats, il ne quittera pas d’un millimètre sa voie tracée. «C’est de l’Etat qu’il s’agit. Rien que de l’Etat. Tout le reste n’est que futile». Stoïque? Habib Essid a en fait une grande capacité d’encaissement. Il sait que la reconnaissance est la vertu la moins partagée et que l’ingratitude est humaine.
«Tout compte fait, rien d’exceptionnel dans tout ce qui s’est passé ajoute-t-il sur un ton serein. Nous vivons une jeune démocratie qui amorce ses phases de croissance naturelle.»

Eviter des victimes de l’Initiative

Deux mois de perdu ? Ce n’est pas très grave selon lui. Le plus important est de rattraper le retard dans l’examen par l’Assemblée de projets de loi prioritaires et très importants. Habib Essid mentionne particulièrement le Plan, le Code des Investissement, la loi électorale et le code des collectivités ainsi que l’implantation des quatre institutions constitutionnelles qui tardent à entrer en fonction.
Au lendemain de son débarquement, Habib Essid, chargé d’expédier les affaires courantes, était tôt dès le lundi matin, à pied d’œuvre. Comme si rien de changé ! Audiences, réunions, et conseils se succèdent. Cédant Dar Dhiafa à son successeur désigné qui y a établi son quartier général pour mener les consultations d’usage, il s’est replié sur la Kasbah.
Curieusement, sur son agenda figure un voyage à Nairobi, le 27 août... Pour conduire la délégation tunisienne à la sixième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD-VI)

 

Les petites phrases de Béji Caïd Essebsi concernant Habib Essid

Habib Essid est un homme affable, droit, travailleur. Constitutionnellement, il était en droit de s’adresser à l’Assemblée des Représentants du Peuple. En réalité, c’est une autre histoire.
Ce n’est pas facile de diriger un gouvernement de coalition avec quatre partis politiques. Je ne lui cherche pas des excuses, mais je dois en convenir.
Au fond, ce qu’il a fait est un miracle. Sauf que tous les indicateurs sont au rouge!
Nous avons passé ensemble 18 mois à nous soutenir mutuellement, mais face à l’urgence de la situation, je ne peux rester les bras croisés.
Si je suis dans cette posture, c’est qu’il n’y a eu personne en prendre l’initiative. Je me devais de le faire. Il faut me faire crédit de ma sincérité. Tout l’effort que j’entreprends, c’est dans le sens de l’efficacité, dans l’intérêt de la Tunisie.