Mohamed Nafti: Quelle solution pour le retour des Djihadistes?
Avec les difficultés que rencontre Daech sur le plan militaire en Syrie en raison des frappes aériennes menées par la Coalition Occidentale menée par les USA à l’est du pays et par la Russie et l’Armée Arabe Syrienne dans le périmètre vital syrien à l’ouest, un grand nombre de jihadistes étrangers commence à déguerpir des champs de bataille pour regagner des lieux moins dangereux. La situation en Irak est à l’avantage de l’armée irakienne. En Libye l’organisation terroriste s’essouffle et cherche une solution pour exfiltrer ses troupes. Les sources financières de Daech commencent à tarir, beaucoup de chefs opérationnels ont été éliminés et les territoires conquis depuis 2014 se rétrécissent en peau de chagrin avec une déconcertante rapidité. Tous ces facteurs préludent à un déclin imminent de l’organisation terroriste et à un retour des djihadistes étrangers vers leurs pays d’origine. Quel accueil devrait-on réserver à ces revenants?
La Tunisie compte le plus grand nombre de jihadistes étrangers enrôlés sous la bannière de l’organisation terroriste Daech. Leur retour massif constitue une grande menace pour le pays et la population. La réponse sécuritaire ou juridique, prônée par les responsables politiques et considérée comme l’ unique réponse au problème, ne constitue pas la meilleure solution pour circonscrire à long terme un fléau capable de se développer dans tous les conflits futurs. Il serait plus utile de cerner l’arbre au pied et concevoir un processus multidimensionnel qui réunit la prévention, la contre radicalisation et la réinsertion éventuelle des revenants.
Selon les agences de l’ONU, la Tunisie compte environ 6000 djihadistes qui se sont rendus en Syrie, en Irak et en Lybie depuis 2011. En octobre 2015, le chargé de l’information du ministère de l’intérieur (MI) a indiqué que 804 djihadistes sont revenus au pays. Au mois de février 2016, le secrétaire d’état auprès du MI estimait à 500 le nombre des revenants des foyers de tensions et assurait la population en affirmant qu’ils sont contrôlés par les services de sécurité. D’autres sources font état d’environ 1000 « accompagnateurs » (femmes et enfants tunisiens) qui ont rejoint Daech en Syrie. On devait ajouter que pas moins de mille jihadistes ont déjà péri au combat et que le même nombre serait en train de crouler dans les prisons du régime syrien. Ceux qui sont encore en vie pourraient être estimés entre 3000 et 4000. C’est un chiffre considérable et par conséquent un grand problème sur les plans sécuritaire et social. Comment doit-on les traiter lorsqu’ils se présenteront aux frontières ? la réponse des politiciens est simpliste : appliquer la loi.
La loi organique 22/2015 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchissement d’argent est la référence de base dans ce cas. « …Les dispositions du Code Pénal (articles 218, 219 et 319), du code de procédure pénale et du code de la justice militaire sont applicables aux infractions concernées par la présente loi » (article 4). Mais aussi « les autorités publiques chargées d’appliquer la présente loi doivent respecter les garanties constitutionnelles et les conventions internationales…..dans le domaine du droit de l’homme…. » (article 2). Invoquer la loi est une réponse évidente qui pourrait dissimuler d’autres intentions. La loi est la première carte qu’on peut jouer pour faire taire les émotifs partisans des préceptes inflexibles de la loi du talion. Les voix qui s’élèvent pour crier « pendez les haut et court » doivent se résigner et laisser la justice tunisienne faire son travail. Mais ce travail ne sera ni facile ni efficace s’il se limite à une enquête locale. Un dossier consistent enrichi d’enquêtes sur le terrain (sur les lieux de combat) établi par les services du renseignement tunisien, en coopération avec ceux des pays acteurs dans les foyers de tension et avec les agences onusiennes constituera la meilleure garantie de justice. Et c’est à partir de ce moment qu’il faudra considérer les autres alternatives de la solution du problème des revenants.
Le premier volet est d’ordre humanitaire et concerne les « accompagnateurs », les femmes et les enfants. Sur 1000 individus de ce groupe, il y a une grande majorité qui serait à mon avis acquittée par la justice conformément aux clauses de la loi organique parce qu’ils n’ont pas combattu et n’ont pas aidé à commettre des actes terroristes. Souvent les femmes et les enfants ont été contraints par le chef de famille à le suivre dans son voyage vers Daech. Mais même acquittées, ces personnes conserveront des séquelles morales profondes et il est du devoir de la société de les « réparer ». C’est ce qu’on appelle réhabilitation et réinsertion dans la vie sociale. L’UNICEF offrira volontiers l’assistance technique et financière dans ce volet.
Le deuxième volet est d’ordre social et touche les repentis. leur nombre sera probablement important car une grande proportion est composée de jeunes chômeurs qui étaient attirés par l’argent. Daech qui payait 3000 dollars pour un combattant, le salaire d’un ministre en Tunisie, attirait surtout les aventuriers. Si l’enquête ne prouve pas l’implication d’un combattant dans des crimes contre l’humanité ou contre la population civile désarmée, les circonstances atténuantes seraient bien accueillies. En outre, les services de renseignements tunisiens et l’Armée Nationale pourraient largement profiter de leurs services s’ils sont utilisés à bon escient. Après 1945, les soviétiques ont « coopéré » avec les nazis pour la fabrication de l’avion à réaction, les américains ont largement exploité l’expertise des nazis dans le domaine de l’instruction militaire.
Le troisième volet est d’ordre moral et s’adresse aux instigateurs du Djihad qui ont enflammé nos jeunes et les ont poussés à partir pour les foyers de combat. Auront-il le courage de se repentir à leur tour et tourner définitivement la page de cette expérience désastreuse pour le pays et pour une partie de notre jeunesse.
Il reste à la justice de trancher sur les cas extrêmes, ceux qui sont impliqués dans des meurtres, des crimes contre l’humanité. là elle peut appliquer la loi comme le souhaitent les politiciens.
Le terme Djihad n’est cité dans aucun article de la loi organique relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchissement d’argent. C’est le terme terroriste qui est utilisé sans pour autant le définir, ce qui pourrait rendre la tâche difficile aux différents intervenants du dossier du retour des djihadistes. Mais on pourrait alléger le travail si on s’attèle dès maintenant à mettre en œuvre un processus de Prévention, d’Accueil des revenants, de Contre radicalisation et de Réhabilitation. D’autre part, il est préférable de jouer carte sur table pour résoudre ce problème de retour des djihadistes et d’annoncer clairement les mesures à prendre.
Mohamed Nafti