Ancienne chef de Service d’Hématologie à l’Hôpital Aziza Othmana, Pr Aïcha Hafsia, née Ben Zakkour, vient de s’éteindre à l’âge de 75 ans. Après un bac au Lycée de la Rue de Russie (1959) et une année préparatoire en médecine (PCB) à l’Institut des Hautes Etudes de Tunis (1960), elle sera admise à la Faculté de Médecine de Paris où elle soutiendra avec succès son doctorat (1967). Elle y terminera sa spécialité en hématologie en 1970.
De retour à Tunis, elle sera médecin spécialiste (1971), gravissant les échelons jusqu’à professeur hospitalo-universitaire (1982). Fondatrice de l’Association tunisienne des Hémophiles et de la Société tunisienne d’Hématologie, elle sera membre de la Fédération mondiale des Hémophiles. Militante de l’UGET depuis ses années universitaires, elle a été également membre fondateur du Syndicat des Médecins et Pharmaciens hospitalo-universitaires. Hommage par son fils, Dr Ghassen Hafsia !
Ma mère était un homme
L’autre jour, perdu dans mes pensées, une idée a jailli dans mon esprit. C’était une évidence, comment n’y ai-je pas pensé plutôt ? Eh oui, ma mère était bel et bien un homme ! Si on prend des critères purement arabo-musulmans, ma mère ne peut avoir été qu’un homme.
Je m’explique : Ma mère a été la première parmi sa large fratrie et l’une des rares personnes de sa génération à avoir fini ses études primaires et secondaires. C’était dans les années cinquante. Alors pouvez-vous imaginer mon grand-père permettre ceci et même se permettre d’envoyer sa fille toute seule à l’étranger finir ses études universitaires s’il n’était pas convaincu qu’elle était un garçon ?
D’autre part, elle s’est mariée avec un étudiant, sans dote, au consulat, en présence de deux personnes seulement (les témoins) et sans la présence des familles. Mes parents n’ont même pas fêté leur mariage, ils sont simplement rentrés à la cité universitaire en métro et des amis ont cotisé pour leurs organiser une fête surprise...dans leur chambre. Est-ce que vous en connaissez beaucoup de femmes tunisiennes qui auraient accepté de se marier dans ces conditions ? Voilà, vous pouvez vous-même en tirer les conclusions.
Ma mère travaillait matin et après-midi, ça lui arrivait même de travailler le soir. Elle voyageait trois à quatre fois par an, toujours pour le travail. Entre temps, nous passions des semaines entières chez ma grand-mère ou sous la garde de mon père. Je ne peux imaginer ce dernier accepter tout cela s’il n’était pas convaincu qu’elle était un homme.
Je n’ai jamais vu ma mère ranger nos lits ou repasser nos vêtements. Exceptionnellement, elle nous faisait des plats cuisinés et il fallait toujours lui dire que c’était délicieux car sinon elle se fâchait. Elle nous faisait notre bain pendant des heures plusieurs fois par semaine et nous faisait elle-même les piqûres de vaccins à la maison. Bien-sûr, on acceptait tout ceci car inconsciemment on la craignait comme un homme.
Le patron de ma mère lui a demandé de rentrer au pays pour monter avec lui le premier service d’hématologie dans le pays. Il lui a même délégué ce service, une fois parti à la retraite. Elle a donc dirigé une équipe de plusieurs dizaines de personnes pendant des années et occupé plusieurs hauts postes au sein de différentes instances hospitalo-universitaires et corporatives. Elle a même milité depuis le jeune âge au sein d’un parti et d'un syndicat. Certes elle dirigeait également des femmes, mais en y repensant, ces femmes étaient probablement elles-mêmes des hommes. Je ne comprends pas comment, tout ce beau monde, a pu accepter et respecter ma mère au travail, s’ils ne la voyaient pas comme un homme.
Même l’administration et la société, probablement considéraient ma mère comme un homme puisqu’elle a été le seul témoin de mon cousin pour son mariage sans que cela ne pose aucun problème.
En fin de compte, le seul qui considérait ma mère, sa belle-fille, comme une femme c’était mon grand-père qui la voyait même comme héroïne car elle avait donné naissance à trois petits garçons transmetteurs du nom de famille.
En m’engouffrant dans mes pensées, une idée bizarre me vient en tête : Et si ma femme aussi était un homme, mes filles, mes tantes, mes cousines, mes nièces, mes amies, mes collègues…
Finalement, les femmes tunisiennes : Toutes des hommes sauf ma mère par respect.
En tous cas, Œdipe ou pas Œdipe, même si ma mère était un homme, c'était un Grand Homme.... euh je voulais dire, une Grande Dame.
Merci Mima Aïcha !
Dr Ghassen Hafsia