Slaheddine Dchicha: De la communication présidentielle
Le verbe
Plusieurs fois ministre, plus d’une fois ambassadeur et surtout ancien avocat, l’actuel locataire du Palais de Carthage, le Président BCE est connu par sa légendaire maitrise du verbe et sa proverbiale facilité de communication. Et de fait, Il est à l’aise en arabe classique qu’il émaille volontiers de références coraniques et il manie un français truculent et élégant quoique quelque peu désuet, mais semble affectionner par-dessus tout le parler tunisien qui lui fournit plus de facilité pour donner libre cours à son humour et à ses talents de conteur …
Ceux qui ont propagé récemment les rumeurs de sa disparition, ont mesuré l’efficacité de sa redoutable rhétorique. En effet, il a laissé éclater sa colère et sa verve vengeresse en ayant recours à une allusion limpide : « Moi, je n’ai jamais séjourné dans un hôpital psychiatrique, ni en Tunisie, ni en France, ni nulle part », a-t-il confié malicieusement aux assistants à la cérémonie de signature de « l’Accord de Carthage » qui ont dû ajouter spontanément d’eux-mêmes : « contrairement à celui que vous savez… »
Du bon usage de l’accolade
Ce même mercredi 13 juillet, lors de cette cérémonie officielle qui a été organisée à la Présidence pour la signature solennelle de « l’Accord de Carthage » par les chefs de neuf partis et des trois organisations nationales, BCE a fait montre de sa maitrise d’un autre code sémiologique, le non-verbal. En effet, le chef de l’Etat s’est comporté de façon différenciée et personnalisée avec chacun des signataires qui se sont succédé après la signature pour le saluer.
Lors de cette insolite succession de personnalités qui ont défilé comme pour prêterallégeance, l’observateur expérimenté et connaisseur de la vie politique tunisienne pourrait, à la lumière du temps consacré à chacun, de la fermeté du la poignée de mains, de la proximité de l’accolade, du nombre de mots échangés, établir une échelled’importance, et jauger des rapports de forces. Tout était réglé et agencé selon une grammaire tacite.
C’est ainsi que Le Président a donné l’accolade aux chefs des trois organisations nationales : Houcine Abassi (UGTT), Wided Bouchamaoui (UTICA), Abdelmajid Ezzar (UTAP) ainsi qu’aux chefs de partis : Rached Ghannouchi (Ennahdha), Mohsen Marzouk (Mouvement projet Tunisie), Slim Riahi (UPL), Yassine Brahim (Afek Tounes), Zouhaier Maghzaoui (Mouvement Echaâb), Kamel Morjane (Al Moubadra), Issam Chebbi (Al Joumhouri) et Samir Taïeb (Massar).
Le seul qui n’a pas eu droit à l’accolade, c’était son propre fils, Hafedh Caïd Essebsi (Nidaa Tounes) !
Cette distinction n’est pas anodine. Elle semble vouloir nier ou du moins ignorer les liens filiaux en maintenant les distances et en se limitant à l’officiel et au formel. Or cela a provoqué l’effet inverse, car un élément n’a de valeur et de pertinence dans une structure que par rapport aux autres. Or l’accolade générale et systématique met en valeur son absence entre le père et le fils et ce qui se voulait distance et neutralité devient familiarité, intimité qui dispense de l’effusion !
L’absence pertinente
Cette absence crevait les yeux par sa pertinence, ceWeek End. En effet, Le président de la République n’a pas honoré l’invitation que lui a faite Mohsen Marzouk au congrès constitutif de son parti Harakat Machrou Tounes (Mouvement du Projet Tunisie) qui s’est ouvert ce samedi, au Palais des sports d’El Menzah.
Pourtant, BCE a honoré par sa présence deux autres congrès cette année : le « congrès consensuel » de Nidaa Tounes organisé par son fils, Hafedh Caïd Essebsi et qui s’est tenu le 9 janvier à Sousse ; et le 10e congrès d’Ennahdha qui s’est tenu à Radès le 20 mai.
Et ce qui était nié à Carthage, il y a à peine une semaine et ce, malgré l’accolade donnée à Mohsen Marzouk, se trouve affiché et assumé cette semaine à El Menzah ! et pour plagier Camus, on pourrait faire dire au Président : « entre l’équité et mon fils, je choisis mon fils ! »
Slaheddine Dchicha