Un grand parti progressiste, vite!
L’initiative présidentielle visant à former un gouvernement dit « d’union nationale » a été rejetée par le Front Populaire, entre autres. Sans doute à juste titre tant « la feuille de route » proposée était éloignée des priorités économiques et sociales avancées de longue date par la seule coalition de gauche représentée au Parlement et tant cette initiative ressemble à une manœuvre politicienne visant à masquer l’échec d’un gouvernement inapte à redresser le pays et à lui fixer un cap. Cependant,force est de constater que la situation est pour le moins paradoxale : face aux deux blocs conservateurs (Nida Tounès et Ennahdha) qui exercent le pouvoir depuis 2011 avec les résultats très mitigés que l’on connait, la gauche (et en particulier le FP) aurait souhaité apparaitre comme une alternative. Tel n’est pas (encore) le cas. D’abord du fait d’une représentation parlementaire issue des élections de 2014, honorable mais insuffisante. Ensuite, parce que le FP non seulement ne représente pas toute la gauche tunisienne loin s’en faut mais - malgré quelques tentatives de structuration - reste empêtré dans des tiraillements internes peu attractifs. Quant aux autres partis classés à gauche (comme El Massar, par exemple), leurs errements stratégiques et le flou de leur positionnement (qui perdurent) les ont fait quasi disparaitre de la carte électorale.
Statu quo et désenchantement
Pourquoi la gauche en est-elle (encore) là ? Le passé éclaire sans doute le présent. La clandestinité dans laquelle elle était confinée et la répression subie expliquent, partiellement au moins, le fonctionnement plutôt opaque et le manque d’ouverture de la plupart de ses composantes et ce en dépit du changement de contexte majeur que connait le pays depuis quelques années. Si l’émiettement de la gauche lors des élections de 2011 a conduit à envisager de s’unir avec pour aboutissement le FP, il n’en demeure pas moins que la rivalité perdure entre ses composantes du fait de divergences idéologiques non complètement résolues d’une part et en raison d’une bataille de « leadership » aussi bien au seinqu’entre les partis constitutifs de la coalition, d’autre part.Malgré ces difficultés, le FP a réussi à mener une campagne à peu près cohérente sur le plan programmatique lors des élections législatives. Hamma Hammami, porte-parole du FP et candidat à la présidence de la République, obtenait même une inattendue 3ème place avec près de 9% des suffrages, à l’issue d’une campagne « recentrée » et efficace dont le succès était toutefois pour une grande partie due à sa légitimité historique. Mais passé ces scrutins, la machine FP semble se gripper et n’avance plus, faute d’avoir résolu ses contradictions internes. C’est sans doute la raison également de son incapacité à fédérer autour d’elle d’autres formations de gauche ou progressistes même si des discussions ont régulièrement lieu. La dynamique s’est enrayée. Pourtant, chacun pressent que dans le contexte politique actuel, sans une entité regroupant une grande partie des forces de progrès dans notre pays, « l’alternative » progressiste restera lettre morte. Le risque majeur de cette situation de statu quo à la fois organisationnel et politique est d’accroitre le désenchantement de la population vis-à-vis des partis en général et des progressistes en particulier, incapables de s’unir. Il est donc plus que temps de bouger : pas seulement en paroles mais aussi et surtout dans les actes.
Démocratie interne
Alors, que faire ? D’abord se poser les bonnes questions : y-a-t-il une réelle volonté de se poser en alternative (comme proclamé par le FP) pour, au moins à terme, être en capacité de gouverner ? Comment s’organiser pour ce faire ? C’est la réponse à cette interrogation incontournable qui déterminera le reste, c’est-à-dire les problématiques de l’attractivité militante, de l’efficacité et de la cohérence politique. Et donc de la crédibilité susceptible de conduire au pouvoir. Ne faut-il pas dès lors envisager sérieusement la création d’un grand parti progressiste susceptible d’attirer tous ceux qui, engagés politiquement ou non, se sentent « de gauche », en se donnant les moyens de ses ambitions ? Comme nul ne peut militer durablement et être intéressé par l’action politique (en dehors d’un noyau dur d’inconditionnels) s’il n’a le sentiment que sa voix est prise en compte, l’instauration d’une véritable démocratie interne au sein de cette grande formation progressiste doit être la règle. C’est ainsi que des courants de pensée divers pourront cohabiter à la condition que chacun s’engage à accepter les orientations politiques majoritaires telles que votées par les militants. La prise de décision « consensuelle » qui prévaut dans beaucoup de formations politiques, a fortiori quand il s’agit de coalitions, est au mieux un leurre et au pire, l’autre nom de l’immobilisme. C’est pourquoi il faut appeler à l’organisation rapide d’assises de la gauche, ouvertes à la société civile, qui pourraient aboutir à la constitution de ce « parti du progrès » selon des règles démocratiques claires et acceptées par tous ceux qui ont réellement la volonté d’offrir à nos concitoyens l’alternative progressiste tant attendue.
Vœu pieux au regard des réticences à abandonner le confort de sa « chapelle » ? Crainte de perdre le contrôle ou pire sa « pureté idéologique » ? Faut-il alors désespérer de la gauche et de sa volonté réelle de gouverner, comme le prétendent ses détracteurs ? Ce qui est certain c’est qu’à moins d’un regroupement le plus large possible des forces progressistes non pas de façade mais dans un grand parti structuré et surtout démocratique, la Tunisie risque d’être longtemps dirigée par des conservateurs de tout acabit dont l’échec est, hélas pour le pays, patent. La Révolution « de la dignité » mérite mieux que cette perspective bien peu enthousiasmante.
Hakim Bécheur
Coordinateur d’Al-Qotb en France, membre du Front Populaire