La radicalisation n’est pas une maladie mentale mais un mode de pensée!
Tunis, Sousse, Paris, Bruxelles, Istanbul, Nice: le terrorisme islamiste se propage au quatres points cardinaux, à la vitesse du son, tel un cancer qui se métastase, franchissant à chaque fois un nouveau cap dans l'horreur, parvenant à prendre en défaut la vigilance des forces de sécurité. L'humanité tout entière semble tétanisée face une situation inédite dont même les scénaristes de films d'épouvante d'Hollywood n'ont jamais imaginée. Que peut-on faire face à des monstres qui sont prêts à tout. Que peut-on faire pour enrayer le fléau. D'abord prendre conscience de sa gravité. C'est fait. Mais aussi l'analyser. Ce n'est pas encore la cas. Le terrorisme islamiste reste un phénomène sous analysé.
Cette lacune, le congrès de l’une des plus vieilles associations de psychiatres de France, le Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française (Cpnlf), qui s’est tenu début juin à Toulouse a tenté de lors de sa 114e session annuelle tenu début juin, de combler.
De notre envoyé spécial - Dans cet espace francophone, une question était dans tous les esprits, actualité terroriste oblige : la radicalisation est-elle une maladie mentale?
Différents experts, venant principalement du Maghreb et de France, ont essayé, chacun à partir de son expérience propre, de répondre à cette délicate question.
Il fut d’abord souligné que le terme en lui-même est assez nouveau dans son acception actuelle. Les médias avaient utilisé bien d’autres noms pour décrire la question : intégrisme, fanatisme, extrémisme, etc.
L’anthropologue franco-iranien serait celui qui a ancré l’utilisation du terme aux dépens des autres lors de la publication de son livre en 2014 intitulé La Radicalisation, Ed. Sciences de l’Homme. Il définit la radicalisation comme un «processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel».
Utilisation qui ne fut pas sans soulever d’énormes critiques, comme celles de la philosophe Marie-Josée Mondzain qui a publié en avril 2016 sur Médiapart une tribune virulente : «La parole publique appelle radicalisation l’engouffrement de toute une jeunesse dans l’islamisme et désigne, sous le terme de déradicalisation, le travail d’assainissement – voire de libération – de ces déradicalisés, qui sont en fait des déracinés ». Elle ajoute: «Radicalité, qui a la même racine que... « racine »: radix. Je m’inquiète en effet de la confiscation de la radicalité au nom des dangers de la «radicalisation».
Dépassant la question de la terminologie, qui reste entière, le débat s’est ensuite orienté sur le fait de savoir si le phénomène de la radicalisation est un sujet pour le psychiatre.
La plupart des études menées dans les pays anglo-saxons surtout ne retrouvent pas des pathologies psychiatriques au sens clinique du terme chez les personnes radicalisées même si des ressemblances peuvent exister avec certaines pathologies mentales. Néanmoins, il a été reproché à ces études leur faible nombre de sujets examinés et de nombreux biais méthodologiques.
Finalement et suivant en cela les approches faites par le psychiatre français Boris Cyrulnick, on s’est intéressé au mode de pensée radical qui a été décrit comme un mode de pensée linéaire, casuistique, refusant toute forme de complexité. Le mode de pensée radical serait dichotomique (le bien d’un côté, le mal de l’autre), les problèmes de l’humanité résulteraient de son manque de croyance et où la charia, si elle était partout appliquée sur terre, représente l’unique solution.
Un autre auteur a été beaucoup cité, il s’agit du Tunisien Fethi Ben Slama, qui venait d’éditer un livre, Un furieux désir de sacrifice, le Surmusulman, où il analyse le fait que le processus de radicalisation opère surtout chez les jeunes déracinés, dénarcissisés, qui ont une identité vague, flottante et où l’adhésion à des conduites religieuses extrêmes représente un processus de guérison. Car en se fondant dans le collectif religieux, ils se libèrent de leur identité primaire qui les faisait souffrir et acquièrent une identité nouvelle qui vient stimuler leur moi et leur retourne une image acceptable d’eux-mêmes.
Il fut aussi proposé de ne pas considérer la radicalisation comme un processus binaire (oui ou non) mais comme un processus progressif dans lequel une personne peut cheminer jusqu’à l’extrême mais aussi s’arrêter en cours de chemin, gardant une pratique religieuse pure et une foi intacte sans pour autant passer aux actes violents.
Niveau 0
- Comportement social tolérant et ouvert
- Convictions religieuses absentes ou présentes avec possibilité d’autocritique
- Pratique religieuse absente ou présente sans caractère impérieux
- Acceptation de l’Autre et implication dans des activités sociales sans sélection sur une base religieuse de son entourage
- Respect de la différence et du droit de l’Autre
Niveau 1
- Comportement social restreint sur le milieu professionnel ou les personnes partageant sa foi • Conviction religieuse présente mais sans exaltation
- Pratique religieuse sans faille
- Evite de se mélanger à ceux qui ne partagent pas sa foi comme boire ou manger avec eux
- N’a pas de tendances agressives, mais une tendance au prosélytisme peut exister
Niveau 2
- Restriction de relations sociales sur le milieu professionnel ou les proches partageant une pratique exigeante de la foi
- Convictions et pratique religieuses très fortes
- Considère les non- pratiquants comme des impies et des égarés
- A une forte tendance au prosélytisme
- S’engage dans des actions caritatives pour promouvoir la religion
- Refuse la violence pour lui-même mais manifeste de la compréhension envers ses coreligionnaires qui la pratiquent.
Niveau 3
- Adhésion religieuse très forte avec parfois une exaltation mystique
- Vision dichotomique du monde en bien et en mal
- Engagement très fort dans les activités caritatives
- Restriction de la vie sociale à son environnement communautaire ou co-religieux
- Vie familiale et tenues vestimentaires très marquées par ses convictions
- Refus du mode de vie du monde environnant
- Sentiment très fort d’être lui et ses coreligionnaires victimes d’injustice
- Reste sensible à la souffrance d’autrui
- Ne passe pas à l’acte violent
Niveau 4
- Tous les éléments du niveau 3
- Prêt au passage à l’acte violent
- Insensibilité à l’égard de la souffrance qu’il pourrait causer à autrui
- Prêt à se sacrifier pour sa cause
- Traits de personnalité psychopathiques, schizotypiques ou paranoïaques parfois présents.
Niveau 5
- Passage à l’acte violent
Les niveaux 0, 1, 2 ne seraient pas dangereux, la lumière jaune devrait s’allumer au niveau 3 et un travail d’encadrement devrait être entrepris. Le niveau 4 est le dernier palier avant de commettre l’irréversible et devrait mener à une intervention intensive.
Il fut unanimement souligné que toute intervention psychologique, si elle a lieu d’être, doit rester respectueuse de la personne de l’individu et de sa manière de vivre sa religion et ne doit pas se faire sous la contrainte.
Enfin, les questions relatives à la prévention, qui sont d’ordre politique, social, économique, culturel et religieux, ont été abordées. Des intervenants de Tunisie, d’Algérie et des médecins des services des urgences psychiatriques de Paris ont relaté leurs expériences avec les victimes d’actes terroristes survenus dans leurs pays respectifs et de leurs difficultés propres à faire face à ce genre de situations auxquelles il faut malheureusement désormais se préparer.