News - 16.07.2016

Comment sauver nos jeunes du jihad?

Comment sauver nos jeunes du jihad?

Combien sont-ils? Deux mille? Trois mille? Ou davantage? Un seul Tunisien embrigadé par Daech et ses dérivés, c’est déjà de trop. Malgré les coups durs assénés par les forces sécuritaires tunisiennes—armée, police et garde nationale—aux jihadistes, la guerre contre le terrorisme est loin d’être terminée. Elle sera longue, pénible, exténuante, mais guère impossible à gagner. Tout dépend de la stratégie inclusive adoptée, de sa mise en œuvre et de l’étroite coordination entre les différents mécanismes concernés de l’Etat. Mais aussi de l’implication des Tunisiens eux-mêmes, des familles, de la société civile et des partis politiques.

les statistiques avérées sur le nombre des Tunisiens partis au jihad sont controversées. Sans en préciser le nombre exact, le ministre de l’Intérieur, Hédi Mejdoub, affirme que les effectifs mentionnés dans les médias sont «exagérés». Crisis Group mentionne dans son dernier rapport (juin 2016) que le nombre des jihadistes tunisiens oscille entre 3 000 et 6 000, ajoutant que près de 600 seraient retournés dans leur pays d’origine.

Pour sa part, Gérard Bronner — difficile à démentir — estime (voir encadré) que la Tunisie vient en première place «dans la liste des principaux pays pourvoyeurs de combattants (par million d’habitants) avec: 51 combattants par million d’habitants, bien avant l’Arabie saoudite (19), le Kosovo (18), Bahreïn (17). Les pays européens sont très loin derrière: la France (0.74), la Belgique (0.8), le Danemark (1.42).» Il ajoute que «l’âge moyen des volontaires se situe vers 26.27 ans et 61% sont célibataires».

Que savons-nous au juste? Qui centralise toutes les données, les traite et les analyse? Qui s’occupe de ceux qui reviennent au pays, se présentent ou pas à la justice, et de ceux qui sont en prison, prévenus ou condamnés? Sont-ils tous irréductibles ? Ou peut-on dialoguer utilement avec certains parmi eux et les aider à se reprendre, se repentir et se réinsérer? De combien de psychologues, psychiatres et psychanalystes dispose l’administration pénitentiaire pour prendre en charge les dizaines de centaines de détenus impliqués dans des affaires de terrorisme? Dans l’organigramme officiel, ces tâches ne sont pas clairement affectées à des services précis. Tout comme la prévention de la radicalisation.

Repêcher son enfant avant qu’il ne soit trop tard

Premier vecteur déterminant, en effet, à prendre en charge, la radicalisation, ce processus évolutif qui conduit, étape par étape, au passage à l’acte. Le témoignage des familles est édifiant : elles n’ont rien vu venir. Leur enfant était quasi-normal. Un peu replié sur lui- même, très pris par ses copains, figé devant son ordinateur, un peu mystérieux, multipliant les «déplacements avec la bande», mais sans plus. Leur surprise sera totale lorsqu’elles recevront de lui un coup de fil leur apprenant qu’il est en Libye, en Syrie, en Irak ou ailleurs. Leur deuil sera total et leur peine immense lorsqu’un jour, un autre coup de fil passé par un «ami» leur annoncera sa mort.

Lors des premières vagues de départs au jihad, l’enrôlement des jeunes qui affectait aussi les familles, avec souvent un arrosage d’argent, était tellement sacralisé qu’il était célébré en ultime acte religieux. Leur mort était érigé en «martyr», claironné par des youyous et des Allah akbar ! Des familles rivalisaient en nombre d’enfants partis au jihad ou, mieux, «élevés au paradis». La propagande de Daech commence à perdre de son intensité et de son pouvoir de persuasion. Mais, son action demeure dévastatrice, ne se limitant plus aux zones rurales et périurbaines, recrutant ses proies dans toutes les couches sociales, de plus en plus celles aisées.

L’effroi des familles est immense: toutes ont peur de voir un jour leur progéniture rejoindre Daech, avec la grande angoisse d’apprendre qu’ils sont passés à l’acte terroriste, au péril de leur vie. Dans cette inquiétude qui les habite, leur détresse est immense tant elles ne savent pas à qui se vouer, qui contacter, qui est susceptible de les aider? Si les discours officiels sur la prévention de la radicalisation sont éloquents, aucune prise en charge effective des familles concernées n’est clairement concrétisée. Tout le monde en parle, mais rien ne se fait. Aucun centre spécialisé n’est officiellement affecté à cette déterminante tâche. Du coup, les familles errent entre les différents ministères: Intérieur, Justice, Affaires étrangères, présidence du gouvernement, présidence de la République... Mais souvent, c’est trop tard. Au mieux, elles espèrent récupérer la dépouille de leur enfant.

Quelle prévention de la radicalisation?

N’y a-t-il pas de stratégie tunisienne multidimensionnelle de lutte contre le terrorisme, incluant une analyse approfondie du phénomène jihadiste, prescrivant les mesures de prévention, fixant les priorités et précisant les tâches de chaque partie? Deux documents ont été élaborés à cet effet en 2014, puis 2015, par les gouvernements successifs de Mehdi Jomaa, puis d’Habib Essid. Le premier est qualifié de plus analytique et le second de concret. La synthèse des deux est aujourd’hui plus que nécessaire, encore plus la publication de cette stratégie, du moins dans une version publique, et sa mise en œuvre bien coordonnée. La prévention de la radicalisation reste la pierre angulaire de cette stratégie. Le rôle des familles est essentiel.

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Taoufik Habaieb