A propos de l’enseignement supérieur et de ses exigences actuelles
Depuis la révolution, il y a de cela cinq ans, divers secteurs et activités économiques, politiques et sociales ont connu des métamorphoses et voire même des bouleversements en vue de s’adapter aux nouvelles exigences auxquelles aspire le peuple tunisien. En effet, certains secteurs sont progressivement entrain de redresser la pente et élaborer un plan de route pour aspirer à des conditions et des performances meilleures. Par ailleurs, l’enseignement supérieur, secteur clé et levier principal de développement économique, social et culturel, semble ne pas figurer sur la liste des priorités du pays. En effet, même la tentative de reforme, engagée dans des conditions largement discutables, bute encore sur des difficultés de mise en œuvre. A ce titre, plusieurs spécialistes et universitaires ont contribué, à travers différents médias, à apporter des éclaircissements, des critiques souvent constructives et des propositions dans le but d’améliorer le rendement de ce secteur qui n’a presque pas connu de réformes profondes depuis belle lurette. Dans ce cadre, j’expose ci-dessous quelques réflexions modestes concernant certains dossiers, fortement corrélés et interdépendants, qui affectent directement le développement de l’enseignement supérieur en matière de qualité et de valeur ajoutée.
1- Rôle de l’Université, Vision globale et nouveaux enjeux
Notre système universitaire a été principalement mis en place pour satisfaire aux exigences du secteur public et privé en termes de professionnels (ingénieurs, médecin, avocat, …) et de formateurs (instituteur, formateur, enseignant-chercheur, …). Tel était, à mon sens, le rôle principal du système universitaire Tunisien depuis l’indépendance. De nos jours, le monde a changé et le rôle de l’université est devenu plus ouvert sur le monde socio-économique. En effet, le développement économique qu’ont connu certains pays, en particulier la Corée du Sud, le Singapour, le Japon, l’Allemagne... a été souvent épaulé par des universités axés sur le développement technologique, la recherche appliquée, l’innovation, les startup … , mis à part leur rôle classique d’enseignement et de recherche aussi ; très ancré dans la réalité et le contexte de ces pays.
Aujourd’hui, notre université ne peut plus se permettre de jouer le même rôle qu’avant, nous devons changer de cap et inciter les acteurs à sortir du classique et injecter une bonne dose de « Qualité » dans toutes les composantes du système universitaire qui souffre de la massification (quantité). Maintenant que le nombre d’étudiants est en baisse d’une année à l’autre, profitons-en pour former des jeunes épanouis, dotés d’une formation de qualité et capables de bien communiquer. Le développement de l’esprit entrepreneurial est plus que jamais une nécessité, il permettrait à des jeunes de créer leurs propres entreprises au lieu de se présenter en rangs serrés pour demander de l’emploi.
Par ailleurs, la loi 1712/07 promulguée en 2007 pour inciter les enseignants chercheurs à encadrer (pêle-mêle) des thèses et des mastères, a très vite conduit, entre autre, à une augmentation significative des diplômés de troisième cycle (mastères et thèses), ce qui a causé pour certaines disciplines (biotechnologie, chimie, lettres et sciences humaines …) une saturation du secteur et par conséquent plusieurs jeunes se trouvent sans emplois avec un niveau bac+10 et plus. Cette loi, peu commode dans la déontologie universitaire internationale, gagnerait à être révisée le plus rapidement possible. En effet, les mesures incitatives devraient être orientées pour encourager les chercheurs (enseignants et étudiants) à contracter des actions de recherche avec le tissu socio-économique, tout en contrôlant le flux pour éviter de former des jeunes dans des disciplines saturées.
Notre système universitaire est donc désormais soumis à des nouveaux enjeux et défis qui exigent par ailleurs des changements profonds au niveau des méthodes d’enseignement, d’évaluation des connaissances et surtout au niveau du volet recherche scientifique qui devrait se rapprocher davantage de son milieu socio-économique et se focaliser sur des choix stratégiques du pays (l’énergie, l’agriculture, l’eau, la santé, l’environnement, le transport, …).
2 - Statut des universités et des établissements universitaires
Du plus ancien au plus récent, la plupart des établissements universitaires sont régis par des textes de lois très anciens voire caduques, en particulier, en ce qui concerne le statut des établissements, celui des enseignants et du personnel. En effet, tous les acteurs universitaires savent que le statut actuel est très rigide, il est en particulier, le facteur majeur du manque de réactivité et donc de compétitivité de l’université sur tous les plans. Depuis 2013, le ministère de l’enseignement supérieur a tenté d’ouvrir le débat sur l’autonomie des universités et l’accent a été mis sur le statut EPST qui confère à l’université une flexibilité sur le plan financier, sans lui permettre de recruter son personnel et encore moins de définir ses filières ou sa stratégie de recherche. Un statut que l’Université Virtuelle de Tunis (UVT) a acquis depuis janvier 2016, elle est ainsi la première université tunisienne ayant ce statut. Les premières constatations réalisées auprès de l’UVT, laissent croire que le statut d’EPST permettra de faire évoluer la gestion des établissements universitaires vers de meilleures performances. Notons qu’il est difficile de généraliser ce jugement aux autres universités qui gèrent beaucoup plus d’étudiants, d’enseignants, de filières et de structures. Mais faut-il encore développer davantage les efforts et se donner un objectif en la matière (passage d’au moins 2 universités par an) car on ne peut pas se permettre de faire les choses à moitié. Il faut donc, à mon sens, généraliser progressivement ce statut et l’élargir pour l’autonomie académique et l’autonomie de gestion.
Il convient de noter au passage qu’autour de nous, en Europe et ailleurs, la tendance depuis quelques années est la fusion d’universités et le regroupement d’établissements pour plus de stabilité, de visibilité, et d’efficacité. Il est plus qu’urgent que nos responsables d’universités et d’établissements y réfléchissent, car 13 universités pour environ 300.000 étudiants, cela fait un système universitaire fortement émietté et éparpillé. Cette dispersion est sans doute la principale cause du manque de visibilité dont souffrent les universités tunisiennes. Le classement de Shanghai, dont les critères sont peu adaptés à échelle, répertorie les meilleures universités au monde en favorisant les plus grandes d’entre elles !
Par ailleurs, les universités et les établissements récemment créés en Tunisie, sans vision stratégique ni objectifs clairs, méritent d’être repensés avec un ancrage plus fort dans leur tissu socio-économique régional. Je cite à titre indicatif un mini-campus universitaire au sud tunisien, conçu pour une capacité d’accueil de 2500 étudiants, avec une résidence universitaire et un restaurant pour 600 places et qui est désertés d’étudiants et d’enseignants : uniquement 130 étudiants et quelques enseignants en profitent ! Et ce, en dépit des équipements modernes récemment installés. N’était-il pas plus opportun de penser à des filières en relation avec les activités de pétrole et de matériaux de construction dominants les activités industrielles du sud Tunisien.
3- Ouverture sur le monde socio-économique
L’ouverture de l’université sur le monde socio-économique ne peut plus se contenter d’être une activité optionnelle, comme c’est le cas actuellement. Elle est désormais une véritable nécessité, aussi bien au niveau formation qu’au niveau recherche scientifique. Il faut souligner au passage les efforts entrepris dans la dernière décennie pour la professionnalisation de certaines formations universitaires, la mise en place des centres de recherche, des technopoles et des pépinières d’entreprise, sans oublier le volet formation continue du personnel des entreprises par les universités, qui mérite encore plus d’attention. Malgré tous ces efforts louables, le partenariat université entreprise est loin d’avoir l’ampleur qu’il devrait. Il pourrait y avoir un nouvel élan si des mesures incitatives seront mises en place pour la coopération avec le secteur industriel.
Certes, il est déconseillé de calquer les expériences d’autres pays en la matière, mais il convient de citer en l’occurrence le modèle sud-coréen qui a impressionné le monde entier par la forte interaction université-entreprise et qui pourra constituer une source d’inspiration pour la réforme de notre système universitaire.
4- Vie estudiantine
L’accomplissement des étudiants au sein de leurs établissements universitaires est de surcroit une condition de leur épanouissement personnel au sein de la société à moyen et long terme. En effet, la vie universitaire des étudiants ne doit en aucun cas se réduire au suivi des cours et à la préparation des contrôles et des examens. Des diverses activités sportives, culturelles et scientifiques doivent avoir leurs places aussi bien au sein des établissements que dans les foyers universitaires. Les clubs permettent de découvrir les sciences, apprendre en s’amusant, imaginer et mettre en œuvre des solutions technologiques, s’ouvrir aux autres, développer un esprit d’équipe…
Il est à remarquer à cet effet, que les clubs de robotique - à l’ENIM et dans la plupart des autres instituts et écoles d’ingénieurs - ont gagné ces dernières années de plus en plus d’importance chez nos étudiants de disciplines technologiques. En effet, à l’image de la micro-informatique dans les années 1980, la robotique est de nos jours une discipline en pleine expansion. C’est ainsi qu’en France par exemple, on ne compte plus les ateliers et les sections permettant de se former et de s'initier à ce domaine dans les lycées comme dans les universités. En Tunisie, aussi, plusieurs compétitions de robotiques ont été organisées durant cette année universitaire, rassemblant des dizaines d’étudiants et des élèves ingénieurs, sans oublier l’implication des élèves du secondaire dans les clubs « jeune science ».
A l’instar de la robotique, un autre type d’activité concerne le développement d’applications informatiques - particulièrement celles mobiles d’entre elles - est en train de gagner beaucoup de terrain chez les jeunes étudiants, à l’image de « ImagineCup » qui est une compétition mondiale bien connue pour les étudiants. Elle donne l'opportunité de construire des projets en équipes. Les étudiants devront utiliser leur créativité, leurs passions et leurs connaissances afin de créer des solutions intégrées, de différentes natures, qui peuvent modifier la façon dont nous abordons la vie. Il est impératif de renforcer ces différentes activités à travers des associations avec des moyens financiers importants et par le soutien des industriels, ceci ne pourra que consolider davantage la formation et l’épanouissement de nos étudiants en anticipant l’assimilation de la connaissance et la maîtrise des clés des nouvelles technologies. A cet effet, il convient de suggérer l’allègement de la charge d’enseignement hebdomadaire pour favoriser les activités culturelles et sportives. Ce fut l’une des idées fortes de la réforme menée récemment à l’ENIM et qui a permis de baisser le nombre d’heures d’enseignement en présentiel de plus de 20%, ce qui a favorisé une forte implication des étudiants dans les différents clubs et associations de l’établissement.
Un grand merci à tous mes amis, qui se reconnaîtront, pour les fructueuses discussions autour des dossiers évoqués dans cet article.
Abdelmajid Ben Amara
Professeur,
Directeur de l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Monastir,
Président du Réseau Méditerranéen des Ecoles d’Ingénieurs.