Point de vue sur l’Habilitation Universitaire
L’Université de Tunis El Manar (UTM) a convié récemment l’ensemble du corps enseignant pour une matinée de discussion sur l’Habilitation Universitaire (HU) à la salle polyvalente de la Faculté des Sciences de Tunis (FST). Cette initiative louable fait suite à la journée marathon organisée il y a près d’un an par l’UTM, qui a rassemblé à l’Institut Pasteur un grand nombre de Chercheurs et d’Enseignants-Chercheurs, pour discuter des structures de Recherche (voir Leaders du 6/5/2015). Elle témoigne de la volonté d’écouter les « gens du métier » pour concevoir des modifications de la législation en vue de pallier les carences qui existent dans les textes en vigueur, dont certains datent du début de l’indépendance.
Comme à l’accoutumée, ce genre de rencontre a suscité des réactions passionnées et/ou passionnantes, qui vont des doléances personnelles à l’énumération des insuffisances des textes existants. Toutefois, dans le cas présent, l’UTM a pris l’initiative de charger une commission qui a élaboré un document préparatoire rappelant les textes promulgués à ce sujet en 1993 et contenant des propositions qui ont été soumises à la discussion.
L’habilitation Universitaire (HU) est un tremplin, certifié par une attestation (pas un diplôme) qui permet aux Maitres-Assistants (MA) de postuler au grade de Maitre de Conférences (MC). Selon les textes, elle « sanctionne la reconnaissance scientifique de haut niveau du candidat ». Tout Maître-Assistant justifiant d’une activité de recherche effectuée après sa thèse et qui a fait l’objet d’articles – dont le nombre minimum est fixé par la commission des thèses et d’habilitations concernée - a la possibilité de présenter sa candidature devant cette commission qui désignera deux rapporteurs. Si les rapports sont favorables, le candidat ‘ soutient ‘publiquement son habilitation devant un jury composé de cinq membres (Prof. et MC). Selon les textes, les « délibérations (de ce dernier) donnent lieu à l’établissement d’un rapport confidentiel signé par les membres du jury et transmis au Doyen ou Directeur de l’établissement qui adresse copie au Président de l’Université concernée. Si le rapport est favorable, le Doyen ou Directeur délivre au candidat une attestation d’habilitation ». Le résultat de la soutenance doit donc être confidentiel jusqu’à délivrance de l’attestation. Dans la pratique, il n’en est rien et le résultat est déclaré publiquement par le Président du jury après la discussion consécutive à la soutenance. Cette déclaration est suivie par une cérémonie d‘’arrosage’ autour de tables garnies par la famille et les amis du candidat avant même la soutenance. Dans ces conditions, le jury se trouve acculé à délivrer un avis favorable, de peur de décevoir l’assistance, voire de subir son courroux. Cette entorse à la loi est entrée dans les mœurs et il est impossible de s’y opposer actuellement.
La deuxième écueil ,et non des moindres, est que la plupart des candidats ont compris que la préparation de l’habilitation se résume en une opération arithmétique consistant à ramasser le nombre d’articles requis. Tous les moyens sont bons pour y parvenir, y compris celui, adopté par certains, qui consiste à sortir des articles à la suite de stages de courte durée, effectués dans des laboratoires étrangers bien équipés. D’autres se contentent d’effectuer quelques travaux dans le même axe que celui de leurs thèses. Quelle est l’ampleur de ces raccourcis dans les habilitations ‘soutenues’ jusqu’ici ? Le document préparatoire n’en dit pas un mot. Quoi qu’il en soit, même si elles sont minimes, ces pratiques ne manquent pas d’amener les candidats à réfléchir à des voies de moindre effort.
Mais il y a plus grave : les rapporteurs supposés être de la spécialité ne le sont pas toujours, et les rapports ne sont presque jamais discutés. Certains rapports sont conciliants, voire complaisants. Un collègue en physique m’a raconté que des rapporteurs ont donné un avis favorable sur des dossiers très légers et ont préféré s’éclipser de la réunion de lecture de leurs rapports, pour échapper aux demandes de justifications qui peuvent leur être formulées par des collègues étonnés par ces candidatures.
L’habilitation Universitaire a été instituée chez nous par le décret n° 93-1824 du 6/9/1993. Ce texte détaille en long et en large les dispositions administratives et ne comporte que très peu d’indications sur le caractère scientifique du dossier. Il est inspiré du texte français (arrêté du 23 Nov. 1988) dont il reprend intégralement certaines phrases en oubliant toutefois celles qui insistent sur le caractère innovant des travaux présentés par les candidats. Pourtant c’est ce caractère-là qui est le plus important, sinon quelle est sa raison d’être. Comme le souligne le texte français (Circulaire no 89-004 du 5 janvier 1989), l’habilitation ne doit pas avoir « pour objet de sanctionner l’achèvement d’un cursus universitaire » et « ne doit en aucun cas être considérée comme un second doctorat, de niveau supérieur, comme l'était auparavant le doctorat d'Etat par rapport au doctorat de troisième cycle ». De ce fait, elle doit sanctionner une capacité de sortir des sentiers battus en incitant les candidats à se détacher de leurs travaux de thèse et présenter un projet de recherche innovant. Le candidat doit également faire preuve d’une très bonne maitrise de la langue (ce qui n’est pas toujours le cas actuellement) et d’une capacité propre de rédaction des articles scientifiques, en particulier en anglais. Le candidat doit enfin être capable de diriger de menus travaux et de corriger, sans l’aide d’un patron, les textes soumis par les jeunes dont il a la charge.
Telle qu’elle est pratiquée actuellement, l’Habilitation Universitaire est un simulacre de distinction dont les candidats ont appris à détourner les difficultés. Elle n’atteste pas de plus de compétence. Puisse l’initiative de l’UTM déboucher sur une conception ambitieuse de ses objectifs et veiller à son application.
Mohamed Jemal
Professeur émérite à la FST