Les cimetières de Bizerte : un insoutenable crève-cœur!
Samedi 7 mai 2016, sous la pluie, à Bizerte, on a honoré la mémoire de ce grand patriote et de ce leader qu’a été le regretté Habib Bougatfa (1906-1943). Un homme qui a lutté pour la dignité et l’honneur du Tunisien. Un homme que le colonialisme, face à sa résilience et à son charisme, a balloté d’exil en exil, de Ben Gardane à Borj Leboeuf (Borj el Khadra) et de prison en prison, en Tunisie et jusqu’au sinistre Fort Nicolas à Marseille. Il a perdu la vie alors qu’il était en mission, en sa qualité de président de la Fédération destourienne, quand son bateau a été coulé par les Allemands, le 5 mai 1943, dans le détroit de Sicile.
L’homme dont on s’est souvenu ce samedi a été à la pointe du combat initié par Cheikh Driss, le mufti de Bizerte, en 1932-1933, pour interdire les cimetières musulmans aux naturalisés alors que le colonialisme tentait d’effacer l’identité nationale du Tunisien, dans la foulée du congrès eucharistique célébré notamment à Carthage en 1931.
Ironie du sort ! Aujourd’hui, ces cimetières si ardemment défendus par le leader Bougatfa sont dans un état absolument pitoyable. Un véritable crève-cœur pour qui s’y rend par devoir de mémoire…car il y a des devoirs à remplir envers nos morts. Le désordre des tombes n’a d’égal que celui des herbes folles, des allées rudimentaires défoncées et boueuses et des ordures que certains- toute honte bue- n’hésitent pas à déverser à leur porte (photos). Ainsi, le cimetière d’el Aïn, dans le quartier des Andalous, est si encombré que certaines sépultures sont ouvertes, sans accord dit-on, des ayant-droits alors que d’autres tombes ont été endommagées lors de récents enterrements. Si la situation au cimetière Bannour est à peine moins pire, le désordre de cette immonde collection de boîtes de conserve rouillées contre le mur, à droite de la grille d’entrée et le bric-à-brac consternant devant la loge du gardien à gauche sont un spectacle qui fend le cœur du visiteur.
Ce lamentable état des deux nécropoles de la ville est d’autant plus étonnant qu’un nouveau cimetière a été correctement aménagé près du monument aux victimes de la bataille de Bizerte de juillet 1961, au quartier El Jala. Il semble que, jusqu’ici, très peu d’inhumations y ont eu lieu.
Pourquoi ?
Quoiqu’il en soit, cette déplorable situation n’a que trop duré.
Où sont les édiles ? Où est la société civile ?
En ville, certains suggèrent que l’on ferme définitivement El Aïn et Bannour- quitte à autoriser les familles à rouvrir seulement les tombes leur revenant en cas de décès d’un proche et dans des limites de temps décentes pour une telle réouverture. Aucune nouvelle tombe ne devrait être creusée.
Nos édiles devraient sans tarder mettre fin à la gabegie et au laisser-aller qui règnent dans « édifices immenses du souvenir » (Proust) et se rappeler que , peu avant sa mort, au cimetière de Baqi al-Gharqad, à Médine, le prophète saluait les morts et leur disait « Vous êtes à l’abri des épreuves qui atteignent les hommes » (Héla Ouardi)
Le cimetière est le lieu où « oublier le temps, oublier la vie, être en paix » (Oscar Wilde). Entre herbes folles et chaos des tombes, entre boue, ordures et animaux errants, à Bizerte, les morts ne sont pas en paix !
« Penser aux morts, c’est assurer la survie des gens qu’on a aimés, en attendant que d’autres le fassent pour nous » disait un politicien français.
Si la digne et nécessaire commémoration du martyr Bougatfa samedi veut avoir tout son sens, il faut que les Bizertins, les édiles et la société civile fassent preuve du même respect envers tous nos morts en se souciant au moins de leurs sépultures. Quand le gouverneur et les médias ne sont pas là !
Mohamed Larbi Bouguerra