Opinions - 25.01.2016

Humanité outragée

Humanité outragée

On viole l’humanité en toute impunité ! Les extrémistes de l’organisation criminelle Etat islamique ont déclaré la guerre à la culture, à l’histoire et à la civilisation. Par des moyens disproportionnés, ils s’appliquent à détruire des sites et un héritage classés au patrimoine culturel commun de l’Humanité en Irak et en Syrie au mépris de toutes les valeurs internationales et de toute considération de l’humanité. Tout ce qui a précédé leur système de référence est effacé de manière systématique. La civilisation ne doit pas remonter avant la période qu’ils ont élue, ce qui est le summum de la stupidité et de l’obscurantisme.

Les Nations Unies ont affirmé, le 27 février 2015, que le groupe Etat islamique « doit être battu et que l’intolérance, la violence et la haine qu’il soutient doivent être éradiquées ». De son côté, l’Unesco (la Directrice générale), a demandé en urgence une réunion du Conseil de Sécurité sur la protection du patrimoine mondial au Moyen Orient. Elle a aussi lancé un appel à la société internationale pour lui demander d’agir contre cette suppression préméditée et sauvage de notre mémoire commune. Des actes qui pourraient et doivent être qualifiés de « crimes de guerre » et même de crimes contre l’Humanité, puisque c’est le patrimoine commun de l’humanité qui est vandalisé et la civilisation qu’on assassine. En ce sens, il est impérieux de protéger par tous les moyens les biens appartenant à l’humanité toute entière et faisant partie de l’héritage des générations futures, afin qu’il reste quelque chose à transmettre de notre culture et de notre Histoire. D’un trait de bombes, d’un tour de roues de Bulldozers et l’on efface impunément et sans aucun scrupule des siècles d’histoire et de mémoire de l’Homme, des lustres de civilisation. Sommes-nous arrivés au XXIème siècle pour assister à l’avènement d’un nouvel âge des cavernes ? Pour certains groupes d’individus, qui ne méritent pas le nom d’hommes, c’est ce qu’il semblerait puisqu’ils renient leur appartenance à l’humanité pour affirmer leur déracinement comme la nouvelle force qui doit soumettre le monde. Les vandales de l’Etat islamique sont en train de profiter de l’intérêt mondial pour le patrimoine historique de Syrie et d’Irak comme moyen de diffusion d’un message de mort. Les sites sont devenus entre les mains des terroristes de Daesh une arme médiatique pour plier le monde à leur volonté.

Et que font les Etats devant un tel outrage ? La liste des destructions commence à devenir particulièrement longue depuis le Moyen Orient jusqu’à l’Afghanistan. Après Mossoul et tous les autodafés perpétrés par l’organisation de l’Etat islamique, c’est au tour de la cité de Palmyre de devoir mourir une deuxième fois. Le dynamitage du temple de Bêl (Baal) et de Baalshamin qui ont pourtant résisté 5 000 ans mais pas à la folie et au fanatisme. C’est ensuite l’Arc de triomphe de la cité à l’entrée de la grande colonnade (unique au monde) qui a été mis à bas. Tous le site de Palmyre est piégé et miné tout comme l’Amphithéâtre et que fait le monde devant ce désastre inhumain ? Il assiste en spectateur et compte les points. Notre mémoire, le patrimoine de nos enfants, part en fumée sans susciter de vraies réactions. Il semblerait que les vielles pierres, les statues et toutes les allégories de ce passé n’intéressent que de manière très superficielle, c’est-à-dire pour faire de l’argent touristique. Sinon tous ces vestiges ne sont pas au gout des chefs d’Etat qui n’y voient plus qu’un tas de sable une fois le rouleau compresseur daesh passé. Les vieux papiers millénaires ne font pas le poids face aux enjeux économiques ou face au jeu qui se joue sur l’échiquier politique mondial.

Personne ne nous fera croire que ces faits de vandalisme internationalisé à grande échelle se sont faits à l’insu des services de renseignements de tous les Etats du monde. Ce serait vraiment absurde car cela démontrerait soit l’incompétence phénoménale de ces services, ce qui serait peu crédible, soit qu’il y a de leur part un laisser faire. Daesh est la créature de l’occident, créée pour neutraliser le monde arabe il a été lâché sur le Moyen Orient pour déstabiliser cette région. Mais elle est devenue
incontrôlable et se défoule sur la culture. Tant qu’elle sert les intérêts, on laisse faire daesh et l’on feint l’ignorance quand il s’agit d’indifférence délibérée. Les destructions, des Bouddhas de Bâmiyân, du musée de Mossoul, les livres anciens brûlés, la tombe de Jonas, Ninive, la cité de Palmyre et bien d’autres sites, ne sont pour ces inconscients du pouvoir occidental et de leurs satellites que des dommages collatéraux avec lesquels il faut composer. C’est tout bonnement SCANDALEUX !!!

Combien de temps doit-on encore endurer l’imposture de l’organisation Etat islamique, imposture humaine et surtout imposture religieuse. Allah est invoqué à tout bout de champs, pour n’importe quelle tâche de la vie quotidienne et également pour n’importe quelle mesquinerie, ou acte de vandalisme ou encore assassinat et atrocités. L’Islam est utilisé comme cache misère psychologique des frustrés de daesh et bouclier offensif d’attaque pour celles et ceux qui veulent retrouver le paradis perdu et qui croient en avoir les moyens. Autant de questions et peu de réponses ! Daesh cultive et diffuse l’idéologie de la mort et de la destruction, de la terre brûlée au-delà de la notion de victoire. L’idée qui transparaît et qui est paradoxale est qu’il faudrait mourir pour exister, pour devenir Homme et pour marquer l’histoire. Mais à la fin le résultat obtenu est une double deshumanisation. L’impression qu’ils partagent est que le sentiment humain parasiterait la personne dans sa mission divine de régénération du monde et le désir de mort comme preuve de fidélité donnée à Dieu. La musique, le chant, le théâtre, le dessin et la sculpture sont considérées comme des formes d’idolâtrie. C’est une grille paranoïaque qui se dresse en vue de barrer, d’isoler et d’éliminer ce qui est considéré comme le vrai islam pour l’empêcher d’exister. Faire table rase de la culture. Des villes antiques toutes entières sont détruites et par la suite réputées n’avoir jamais existé. Les désastres s’enchaînent avec chaque fois les destructions des centres monumentaux et de la richesse humaine. C’est toute une mémoire des peuples qui est effacée. C’est comme si s’opérait un gigantesque formatage de la mémoire historique de l’Humanité.

En ce sens, il est impératif de protéger, par tous les moyens, ces biens de l’Humanité afin d’avoir encore quelque chose à transmettre, de notre culture et de notre Histoire, aux prochaines générations. L’oeuvre de classement des sites au patrimoine universel par l’UNESCO est sa contribution à la mission générale de maintien de la paix et de la sécurité internationale des Nations Unies, par l’entretien et la conservation, la garantie et l’accès de tous au patrimoine mondial. Dans ce but, des textes internationaux ont été conclus entre les Etats et qui font office de fondement juridique contraignant pour lutter contre la démolition et la destruction d’oeuvres et de sites classés. (Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 14 mai 1954 et Convention sur la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 novembre 1972, le protocole additionnel aux Conventions de Genève, du 8 juin 1977 relatif aux situations de guerres civiles). Par ailleurs, nous trouvons le Traité de Rome relatif au Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI). Il y a aussi tous les textes engageant la responsabilité internationale des Etats en cas de non-respect ou de violation de leurs obligations internationales, en l’espèce, du non-respect de l’obligation d’assurer la préservation, la conservation et la garantie de ce patrimoine mondial.

Tout cet arsenal juridique adopté à l’initiative de l’UNESCO, tend à la protection du patrimoine culturel des Etats et mondial et porte sur la protection de ces biens en cas de conflits armés. Il vise à assurer, la garantie que plus aucun bien du patrimoine commun de l’humanité ne soit détruit, dans un contexte de guerre. Dans ce sens, la Convention du 16 novembre 1972 relative à la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel et le Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, sont des textes forts de la protection des biens culturels. Ces conventions prohibent la destruction du patrimoine culturel et engage la responsabilité des belligérants en cas de faits constatés. Ils disposent que pour assurer une protection efficace, il revient aux « Etats parties […] de prendre toutes mesures juridiques, scientifiques, techniques, administratives et financières pour l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la réanimation de ce patrimoine » (Article 5 de la convention de 1972 relative à la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel). Le texte de 1977 précise qu’« il est interdit de commettre tout acte d’hostilité dirigé contre les monuments historiques, les oeuvres d’art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples»( Article 16 du 1er protocole additionnel).

Le droit pénal international, quant à lui, offre une autre solution à travers la Convention de Rome du 17 juillet 1998 instituant la CPI. C’est une plateforme juridique dont le recours a été notamment évoqué pour le cas irakien sans qu’il s’en soit suivi une mise en oeuvre (La cité antique détruite par l’organisation de l’Etat islamique en Irak, un « crime de guerre » selon l’Unesco). On doit toutefois déplorer le fait que malgré la création de la Cour dans le but de punir les atteintes criminelles aux droits de l’Humanité par les institutions individuelles des Etats, sa compétence demeure limitée. En effet la Cour n’est compétente que pour des infractions exhaustivement prédéfinies : Les crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre et les crimes d’agression (Article 1 du Statut de la Cour Pénale Internationale). De plus, la compétence de la Cour ne vaut qu’à l’égard des Etats parties à la convention ou de ceux qui acceptent et souscrivent à cette compétence. Dernière limite à la force contraignante de la Cour, celle-ci n’intervient que si l’Etat compétent pour juger de l’affaire se retrouve dans une situation d’impossibilité de répondre à cette fonction par une voie juste et équitable de droit.

Le fait que l’organisation de l’Etat islamique ne soit pas un Etat en droit n’est pas en soi un problème, pas plus que le fait que l’Irak et la Syrie ne soient pas parties au Statut de Rome, car l’organisation de l’Etat islamique est composée de ressortissants étrangers, d’Etats parties, qui eux peuvent être poursuivis et traduits devant la CPI. En effet, la CPI est habilitée à juger des individus qui agiraient en leur nom ou dans le cadre de démembrements des Etats comme éléments institutionnels (es qualité). Cette hypothèse est d’autant plus plausible que de nombreux nationaux de pays d’Europe ont rejoint le Djihad au Moyen Orient sous la bannière de Daech. Toutefois il reste difficile d’engager une telle mesure, car en tant que Tribunal, il lui faut une qualification des faits entrant dans ses titres de compétence ou que les Etats des ressortissants qui ont rejoint daesh et qui pourraient inculper leurs nationaux de terrorisme ou d’association criminelle avec une organisation terroriste le lui demandent.

Au titre du Statut de Rome, une peine maximale d’emprisonnement de 30 ans peut être prononcée contre les vandales de daesh s’ils étaient jugés. La CPI prévoit également « si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient », une peine d’emprisonnement à perpétuité. En ce sens et contrairement aux conventions initiées par l’Unesco, le Statut de Rome serait un moyen efficace puisqu’il prévoit de véritables mesures pour sanctionner les atteintes contre le patrimoine mondial, pour peu que les conditions strictement définies de la compétence de la C.P.I. soient réunies.

En outre, en cas de faillite du mécanisme de ces conventions spéciales en matière de protection du patrimoine, il est possible d’engager la responsabilité des Etats pour les contraindre à respecter leurs obligations à l’égard des tiers et Etats Parties en actionnant le droit des traités de 1969. De plus, pour faire face à ceci, la Commission du Droit International a adopté un texte de codification, un projet d’article, sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite le 12 décembre 2001. Selon ces dispositions, le non-respect de ses obligations internationales par l’Etat entraine, de facto, la mise en cause de sa responsabilité et la nécessaire réparation du préjudice subi ainsi que de possibles restitutions, sous condition qu’elles soient matériellement mesurables, possibles et non disproportionnées (quid d’un bien inestimable) (Article 34, 36 et 37 du Projet d’Article de la Commission du Droit International sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite du 12 décembre 2001).

Du côté de la jurisprudence, il reste toutefois important de noter qu’il existe des qualifications juridiques et notamment celle exposée par le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) désignant la destruction du patrimoine comme entrant dans le champ du crime contre l’Humanité (Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie, le PROCUREUR C/ Miodrag JOKIC, 18 mars 2004).

Il est dommage de voir sacrifié des valeurs de civilisation sur l’autel de tergiversations politiques et de toujours s’en remettre à la volonté des Etats pour les vraies décisions. Ah si l’Humanité pouvait parler….

Lundi 25 janvier 2016
Monji Ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Université de Tunis-El-Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis