Blogs - 09.01.2016

Une révolution, dites-vous?

Une révolution, dites-vous?

La commémoration dans quelques jours de la révolution du 14 janvier intervient alors que le pays traverse la crise la plus grave de son histoire, parce que multiforme : politique, économique, sociale, sécuritaire et surtout identitaire. Car les Tunisiens sont en proie à une crise d’identité. Ils doutent d’eux-mêmes, ne reconnaissent plus leur Tunisie, ne se reconnaissent plus. Qu’a-t-on fait d’eux et du pays. Plus les années passent et plus le pays s’enfonce dans la crise. Avec la tenue des élections législatives, on croyait en avoir fini avec l’instabilité politique, la crise économique, les sit-in, les grèves, les attentats terroristes. Après la déconstruction, voici venu, enfin, le temps de la reconstruction, pensait-on. Mais très vite, il a fallu déchanter. L’année 2015 qui devait marquer le retour à la normale aura été de bout en bout une « annus horribilis », où rien ne nous aura été  épargné,  ni les attentats terroristes, avec leur cortège de martyrs, ni les grèves, d’une ampleur sans précédent, ni les mauvais chiffres de l’économie, ni même le feuilleton tragicomique des luttes intestines à Nidaa Tounès, pourtant grand vainqueur des élections.

Tous ces évènements ne pouvaient manquer d’interpeller les Tunisiens. Rome n’est plus dans Rome. Des fillettes de dix ans se suicident ; la jeunesse, sans perspective d’avenir, se réfugie dans la consommation de zatla ; comme dans toutes les révolutions, où l’autorité de l’Etat se délite, le surmoi disparaît ; le taux de criminalité augmente. Pays connu pour son pacifisme, l'urbanité de ses habitants, la qualité de ses élites, la Tunisie sombre dans la déraison. Des Tunisiens tirent sur d'autres tunisiens. Ce n’est certainement pas un hasard si la Tunisie est devenue le principal exportateur de terroristes et si c’est à eux qu’on confie la sale besogne : la torture des prisonniers de Daech, les décapitations. On a l’impression de vivre un cauchemar. Qu’a-t-on fait au bon Dieu pour mériter tous ces malheurs qui se sont abattus sur nous depuis le 14 janvier 2011 ? Les Tunisiens sont loin de regretter Ben Ali, mais ont l’impression de tomber de Charybde en Scylla. Ils ont beau positiver, se dire que tout finira par s’arranger, il y a toujours un évènement qui les ramène aux dures réalités comme s’il y avait une fatalité de l’échec. Au lendemain de la révolution, « les experts «  nous ont assuré, la main sur le cœur, qu’avec la démocratie, nous aurons un point de croissance supplémentaire. Renchérissant, Rached Ghannouchi nous a promis, sans rire, un  point supplémentaire parce que dorénavant avec Ennahdha, «nous serons plus proches de Dieu». Cinq ans après, le pays a dégringolé dans tous les classements internationaux, dans celui de Davos comme dans l’Indice de développement humain, pour n’en citer que les plus connus et les significatifs. En 2015, le pays est même entré en récession, ce qu’il ne lui était jamais arrivé depuis 60 ans. Il semble même que la classe moyenne, épine dorsale de la société tunisienne, ait perdu, depuis 2011, 40% de son pouvoir d’achat.

Mais pourquoi occulter les bienfaits de la révolution, nous objectera-t-on. Nous avons la démocratie et la liberté de la presse. Le grand mot est lâché : au fait, la démocratie, parlons-en. On s’est soulevé contre UNE dictature, mais  pour ensuite la troquer contre une multitude de dictatures, celle des journalistes, véritables faiseurs et défaiseurs de rois, celles des syndicalistes, des avocats, des hommes d’affaires qui manipulent l’opinion au gré de leurs intérêts à travers les journaux de caniveau. Et puis, on ne peut pas vivre indéfiniment de démocratie et d'eau fraîche.

 Dans ce sombre tableau, on est bien en peine de déceler la moindre lueur d’espoir. La situation est même grosse d’une seconde révolution, d’autant plus que la classe politique fait preuve d’une incurie affligeante. Avec elle, tous les désespoirs sont permis tous. A peine constitué, le gouvernement Essid 2 est déjà critiqué de toutes parts. Et quel meilleur révélateur que ce triste spectacle que nous offre un parti que nous avons porté sur les fonts baptismaux depuis sa création, soutenu mordicus lorsqu’il était en butte à l’hostilité de la quasi-totalité de la classe politique, pour en faire au bout de deux ans la principale formation politique devant le trentenaire mouvement Ennahdha... Et porté au pinacle son président-fondateur, perçu comme l'homme providentiel qui allait nous délivrer des griffes des islamistes et conduire l’œuvre de redressement du pays. Mais, il y a loin du rêve à la réalité. On avait pensé que Si Béji, avec son expérience, la sagesse que lui conféraient son âge et sa connaissance de l’histoire, serait à l’abri de toutes les tentations, y compris la tentation dynastique. Il n’aura été, comme l’a dit Beethoven de Napoléon, au lendemain de son sacre empereur des Français, «qu’un homme ordinaire».

Hèdi Béhi