Nobel : pourquoi les Tunisiens ont fait la fine bouche
Il n'est jamais trop tard pour bien faire. La Tunisie officielle a attendu un mois pour rendre un hommage solennel au Quartet. A cet effet, une grande cérémonie a lieu ce lundi 9 novembre à Carthage, soit un mois jour pour jour après l'annonce de l'attribution du Prix Nobel de la Paix au Dialogue national. Ce prix fut un véritable appel d’air pour une révolution qui présentait, cinq ans après son déclenchement, des signes d’essoufflement. Il arrivait au bon moment alors que le pays faisait eau de toute part, que Nida Tounes, le parti majoritaire, s’engageait dans un processus irréversible d’autodestruction et que l’économie entrait en récession. Et pourtant ce prix n'a pas été fêté comme il se devait. Pire, il semble relever de l'histoire ancienne, quasiment oublié comme s'il s'agissait d'un mauvais d'un souvenir qu'il fallait refouler. Depuis cinq ans, la Tunisie a accumulé les mauvais résultats dans tous les domaines. dégringolé dans tous les classements internationaux. Elle était devenue l'homme malade du Maghreb comparée à nos voisins algérien et marocain et voilà qu'on fait la fine bouche s'agissant d'une distinction dont on n'osait même pas rêver.
A l’instar d’un grand nombre de chaînes européennes, France 24 avait consacré un débat sur l’attribution du prix Nobel de la paix à la Tunisie. Alors que les deux invités mauritanien et marocain avaient pris des accents dithyrambiques pour saluer cette distinction, l’invitée tunisienne s’est évertuée, comme par accès de modestie, à relativiser sa portée et à tempérer l’enthousiasme de ses interlocuteurs à leur grand étonnement. Dans la Tunisie post-révolution, le patriotisme est devenue une notion ringarde. Il n'est pas de bon ton d'extérioriser sa joie ni sa fierté quand bien même il s'agirait d'une distinction aussi prestigieuse que le Prix Nobel de la Paix.
Comme cette invitée de France 24, beaucoup de Tunisiens ont accueilli la nouvelle avec incrédulité et méfiance d’autant plus que le Quartet n’était ni favori, ni même outsider. A force de se complaire dans l’autoflagellation, de pratiquer la méthode Coué à l’envers, ils ont fini par se convaincre que cet honneur était hors de leur portée.
Dès lors, il ne fallait pas s'étonner que ce prix n’ait eu droit qu’à la portion congrue dans les médias : à peine quelques manchettes dans la presse et des émissions spéciales d'une platitude affligeante à la télévision avant de tomber aux oubliettes et de céder la place à des sujets dont on ne pouvait pas dire qu’elles étaient de la plus haute importance pour le pays: les révélations de Moez Ben Gharbia depuis son exil volontaire de Genève, la démission de deux ministres, sans oublier les grèves, les attentats, les épidémies, les accidents de la route... Bref tout ce qui pouvait alimenter la sinistrose ambiante.
Il a suffi que François Hollande reçoive les membres du Quartette et pose avec eux sur le perron de l’Elysée et que les grands journaux parisiens consacrent leur Une au prix Nobel de la paix pour que nos compatriotes commencent à prendre conscience de l'importance de cette distinction et du parti que notre pays peut en tirer. Pour un pays en récession, il sera peut-être le sésame qui nous permettra de réussir là où les forums, séminaires et visites de prospection de nouveaux marchés ont lamentablement échoué.
En recevant les membres du Quartet, le président Hollande les a presque sermonnés. «Le temps presse. Il faut capitaliser sur le Nobel. Car, au-delà du 10 décembre, date de remise du prix, l’effet prix Nobel n’opèrera plus». Il a fallu un étranger pour nous le rappeler alors qu'il s'agit de vérités d'évidence qui n'auraient pas dû nous échapper. Décidément, le complexe de l'ancien colonisé a encore de beaux jours devant lui.
Comme un de nos illustres ancêtres, Hannibal, on sait vaincre, mais on ne sait pas profiter de nos victoires. Jusqu'à quand ?
Hédi Behi