Pendant que NidaaTounès se saborde, Ennahdha se consolide
Ce qui est en train de se passer à NidaaTounès n’est surprenant qu’en partie. Bien sûr, Il est étonnant qu’un parti dont la majorité des membres sont des femmes et des hommes de qualité aux convictions démocratiques reconnues ; un parti qui a remporté haut la main deux importantes élections ;un parti enfin de gouvernement, responsable et aux manettes depuis quelques mois… Il est non seulement étonnant mais surtout affligeant que ce parti-là compte dans ses rangs des individus et des groupes qui, en lieu et place du débat et du dialogue, ont recours à la violence et à la force et usent de méthodes de voyous, méthodes que l’on croyait révolues et l’apanage des seules milices fascistes.
Cela dit, ce qui se passe à NidaaTounès n’est pas tout à fait surprenant car depuis sa formation, ses composantes diverses et variées laissaient présager des divisions en son sein voire redouter son éclatement, ce qui semble s’être produit ce Week End. En effet, malgré la tentative de médiation, il est vrai trop tardive, du « père fondateur du Parti », Béji Caïd Essebsi, la rupture semble consommée entre deux clans qui n’ont cessé cesderniers jours de se défier à coup de manœuvres de toutes sortes : menaces, délégitimation de l’adversaire, huissiers, réunions excluant l’autre partie…
Désormais, depuis ce début novembre,Nidaa comporte deux clans prêts à en découdre : l’un est formé autour de la direction légitime, incarnée par le bureau politique et le bureau exécutif, et à leur tête le président du parti et son secrétaire général, respectivement Mohamed Ennaceuret Mohsen Marzouk. Le deuxième clan, contestataire voire «putschistes», est mené par Hafedh Caïd Essebsi, le vice-président du Parti et fils du chef de l’Etat et Ridha Belhaj, chef du cabinet du président de la république …
Trois ans à peine après sa fondation, pas tout à fait un an après l’investiture de son fondateur à la Présidence de la République et exactement neuf mois après l’accession des siens au gouvernement, NidaaTounès connaît sa crise la plus grave. Pourquoi ?
Comme spécifié plus haut, la première raison est structurelle. Après tout, Nidaa n’est pas un parti mais plutôt un rassemblement, étant donné la diversité des tendances qu’il abrite : en effet qu’y a-t-il de commun entre pêle-mêle : Bourguibistes, anciens RCD, modernistes, libéraux, hommes de gauche voire gauchistes , conservateurs, destouriens…socio-libéraux… Cette diversité idéologique, correspondant à une diversité sociale , à une diversité d’intérêt et à une diversité de projets, inciterait à répondre par la négative, mais il n’en est rien. Tout ce monde s’est retrouvé en 2012 réuni par BCE autour d’un projet réduit au plus petit dénominateur commun : « tous contre un ». Le un en question, c’est Ennahdha.
Au lendemain des élections législatives de 2014, un premier désaccord a lézardé la façade. Ennahdha, l’ennemi de la veille, l’est resté pour certains et s’est transformé pour les autres en allié-associé …Après la formation du gouvernement et la constitution des cabinets ministériels et présidentiels, les ambitions personnelles et leur cortège de déceptions et de jalousies ont élargi la lézarde mais le parti a tenu cahin-caha.Le projet de loi de réconciliation économique et l’approche des échéances, internes (le Congrès du Parti) et externes ( Les Municipales et les Régionales voire les Nationales dont l’anticipation éventuelle est envisagée par le microcosme) ont aggravé les désaccords et instauré un climat délétère qui favorise les manipulations et les pressions de toutes sortes auxquelles se livrent depuis quelques temps des affairistes, des opportunistes et des aventuriers dont seuls les intérêts et les appétits comptent.
L’intérêt du Parti et celui du Pays commandent l’intervention du fondateur au lieu de rester « à égale distance des deux clans », d’autant que cette distance n’est pas égale puisqu’elle se trouve raccourcie du côté du clan qui comprend son fils et le chef de son cabinet. Afin de dissiper tout soupçon de népotisme et toute dérive dynastique, s’il ne veut pas voir son œuvre détruite, s’il tient au succès de la transition démocratique et à préserver le pays des conséquences d’une grave crise, il se doit de redevenir ce qu’il n’a cessé d’être, le vieux renard et l’habile négociateur qui connaît son parti, qui connaît les arcanes du pouvoir et les intrigues qui s’y trament.
Il doit siffler la fin de la partie et se rappeler et faire rappeler que l’adversaire d’hier ne s’est pas volatilisé par miracle, il est là plus que jamais, embusqué, à l’affût et attend son heure et la faute de l’adversaire.BCE connaît son ancien adversaire mieux que personne, il enconnaît le projet pour le pays. Il sait que les prochaines élections vont être très difficiles : l’abstention sera très forte car la désillusion et la déception des électeurs sont très grandes et la division de Nidaa réduira les choix et amplifiera le « à quoi ça sert ! ».
Pendant le sabordage de Nidaa, Ennahdha se consolide et se prépare. Le parti islamiste est organisé et discipliné, il sait fait taire ses dissensions et continuer son travail souterrain en « vieille taupe ». Il est planqué et s’insinue partout, participe au pouvoir, l’épie et le surveille mais discrètementafin que le jour venu, il n’en soit ni comptable ni responsable. Il se serait ainsi « refait une virginité » aux dépens des tapageurs nidaistes.
Depuis un an, tandis que ses représentants au gouvernement se forgent discrètement une réputation de compétents, Rached Ghannouchi s’emploie à se forger l’image d’un sage, d’un modéré, il communique tous azimuts, par livre, interviews, conférences, voyages. Il prodigue ses conseils à tout propos et à toutes sortes d’interlocuteurs, il rencontre tout ce qui compte, il se rend indispensable, incontournable. A force, il a acquis un rôle semblable à celui du guide suprême iranien.
Pendant que NidaaTounès se saborde, Ennahdha s’adonne à la réislamisation de la société, par les écoles, les mosquées, les jardins d’enfants, les associations caritatives…et le fruit tombera cuit la prochaine fois et c’est Ghannouchi qui choisira avec qui gouverner mais cette fois-ci pour cinq longues années, le temps nécessaire pour imiter le Grand frère, RecepTayyip Erdogan qu’il s’est empressé de féliciter pour la victoire aux législatives de l’AKP qu’il considère comme « une défaite de l’anarchie, des coups d’Etat et des contre-révolutions dans la région ». Une maîtrise de la Novlangue à faire pâlir de jalousie Georges Orwell him self.
Slaheddine Dchicha