Plan stratégique de développement: La montagne accouche d’une souris !!!
Vous allez voir ce que vous allez voir ! Nous avait-on promis. Le plan stratégique de développement accompagné d’une note d’orientation, viennent d’être publiés à grands renforts de communication.
Pas moins de 9 mois de travaux interministériels et de sous commissions diverses pour définir les contours d’un nouveau « vivre ensemble » plus radieux et apaisé. Un plan qui se veut ambitieux mais réaliste, pour sortir le pays de sa dérive récessive, et l’amener à une nouvelle phase de développement socialement plus juste, économiquement plus viable,écologiquement plus soutenable.
Un document dense, dont on ne peut, ici, ne restituer que la philosophie d’ensemble et les principales caractéristiques. Quelques mots tout d’abord sur la forme, notamment de sa note d’orientation.
Il n’aura échappé à personne qu’à peine diffusée, elle fait déjà l’objet de vives polémiques. Aux dires de membres du gouvernement comme de responsables politiques de cette majorité parlementaire, circuleraient encore plusieurs versions, et que celle relayée par la presse ne serait en fait que celle du ministre en charge du dossier et par là de la responsabilité de son seul ministère ! Tout de même, cela fait désordre. Un couac qui en dit long sur l’unité de vue et la solidarité gouvernementale ! Pourquoi un tel désaveu public ? Qu’est-il reproché à ce jeune et fringuant ministre ? Où se situent les pommes de discorde ? Nous n’en saurons rien, du moins pour l’instant. Admettons qu’il s’agit d’une mouture provisoire. Que dit-elle ? Comment articule-t-elle différents moments, du diagnostic à l’expression d’objectifs et aux moyens qu’il convient de mettre en œuvre ?
Introduisant le propos, la note rappelle quelques vérités d’évidence (nouvelle législature, climat sécuritaire indécis, environnement instable), des vérités qui vont parfois jusqu’à enfoncer des portes ouvertes (pas de vision stratégique depuis 5 ans !). La démarche méthodologique est, on ne peut plus classique : Diagnostic, nouvelles exigences, formulation d’un modèle de développement alternatif (excusez du peu !) puis enfin une mise en perspective à l’horizon 2020, par la mobilisation des énergies et des ressources s’inscrivant dans un ensemble de réformes structurelles. Très vite, cependant, on est surpris par le manque de précision et de rigueur.Il est vrai que la note d’orientation semble avoir été traduite de l’arabe au français ! Mais tout de même, laisser passer des fautes d’orthographe et de goût comme « avantages comparatives (p 4) » ou « faire passer la Tunisie dans le classement de « Doing Business » du 60e rang au 40e rang mondial (Israël), p.16 !Utiliser 12 fois le terme de « gouvernance » sur 20 pages, cela frise le bavardage intempérant. Usons d’indulgence !
Mais venons-en au fond. En quoi la vision présentée, serait-elle un véritable plan de développement,qui plus est stratégique,et non pas tant un simple programme économique de législature fruit d’un compromis laborieux des quatre partis politiques au pouvoir ? Le doute est tout de même permis !
Un catalogue de bonnes intentions et de vœux pieux…Pour sûr ! Mais comme nous l’avons mentionné plus haut, des raisonnements spécieux, des logiques fallacieuses…aux limites de paralogismes incongrus ou tautologiques (augmenter l’activité culturelle de 30%, augmenter de 30% les versements des tunisiens à l’étranger (ils apprécieront), diffuser les valeurs de l’altruisme et de l’abnégation, enraciner l’esprit d’entreprenariat chez les promoteurs,favoriser l’économie sociale et solidaire, pilier du dialogue social et partenaire pour « encadrer » les mouvements politiques (oui vous avez bien lu) qui verrait sa part dans la population active passer de 0,5% à 1,5%…).J’en passe et des meilleurs.
Tout cela (p 14)sur fond de 19 réformes structurelles à entamer et à mener à bien en 5 ans !
Certains se sont insidieusement moqués de la bévue de traduction de la ministre de la culture….
Je crains que le ministre du développement n’ait oublié aussi de relire sa copie !
Plus sérieusement, peut-on raisonnablement parler de « stratégie » sous-jacente à l’exposé de cette note, comme aux tenants (objectifs) et aboutissants (résultats attendus) de ce plan. Inutile de rappeler ici qu’une multiplicité d’objectifs tous prioritaires (parfois contradictoires ente eux) n’a jamais fait une stratégie. Celle-ci lorsque qu’elle existe s’exprime de manière simple et unifiée. Or on décèle les prémisses d’une stratégie dans le passage « d’une économie à faible coût à un hub économique »
p15. On pardonnera le franglais, « hub » voulant dire plateforme économique (nœud central d’un maillage) au sein d’un espace géo-économique. Cette terminologie économique renvoie donc à une approche géostratégique situant la compétitivité du site « Tunisie » dans un meilleur positionnement « dans les chaines de valeur à l’échelle mondiale ». On ne sait pas très bien à quoi fait allusion, à quoi se réfère ce terme: Un dragon à l’instar de la Corée, de Taiwan, ou de la Thaïlande, ou encore un point de passage obligé commercial et logistique, attirant sièges sociaux et tertiaire supérieur à l’image de Singapour ou Dubaï. A dire vrai, nous ne sommes qu’à moitié surpris ! Car cela fait déjà quelques temps que cette notion encore assez vague et peu circonscrite, flotte dans l’imaginaire du ministre, et de quelques autres avec lui. Planifier, mais personne ne s’en étonnera, consiste à explorer le champ des possibles de manière à la fois prospective et prévisionnelle, les 2 méthodes ne se confondant jamais. Alors sans doute cette stratégie, certes encore balbutiante est-elle le reflet d’une opinion moyenne des élites au pouvoir imaginant une tertiarisation poussée (port en eau profonde et par là un partenariat avec Bolloré, un port bancaire assurantiel et financier à l’image de Tanger). On fera observer que les signes avant-coureurs (mais le sont-ils vraiment) de cette stratégie sont bien là avec d’une part, l’exhumation des « grands projets » des tiroirs de l’ancien régime, et d’autre part, la confirmation de la priorité donnée aux technologies de l’information, Le site « Tunisie » compte tenu de ses avantages compétitifs ne saurait avoir un devenir industriel ni encore moins agricole !
En effet on ne trouve trace ni d’une politique industrielle (par exemple, énergies nouvelles ou biotechnologies), ni celle d’une politique agricole (reconquête d’une sécurité alimentaire). Aucun chapitre, aucun paragraphe.Ces deux activités semblent être considérées comme hors de portée.
A n’en pas douter il y a une certaine logique dans cette ébauche ou reconduite, -c’est selon-, de perspective économique et sociale. Mais alors pour qui cette « tertiairisation supérieure » ? Est-ce bien une approche « inclusive » ? Quid de la double fracture sociale et régionale ?
Mais il y a encore bien plus grave. Comme il s’agit de planification et donc de modélisation, nous nous sommes penchés sur les données disponibles (p 21-22) et là surprise, ce sont très exactement les mêmes chiffres que ceux avancés lors du plan Jasmin, puis un peu plus tard par le programme de Nida Tounès : Un même montant global d’investissements de 125 Mds DT sur 5 ans répartis sur 3 enveloppes inchangées respectivement 45 Mds pour le public, 64 Mds pour le privé et 18 Mds pour les IDE. Des hypothèses que l’on trouvait déjà dans le document du SDES de 2010. Tout ça pour ça !
Ajoutons qu’en bon économiste qui se respecte, nous nous sommes livrés à un petit exercice, assez classique, qui consiste à réaliser une interpolation entre les chiffres de 2016 et ceux de 2020 afin de dégager les cheminements et les taux de croissance s’y afférant. Et là ô surprise…on observe des évolutions surprenantes pour ne pas dire totalement fantaisistes, et ce quelle que soit la méthode adoptée (cheminement linéaire, exponentiel, ou logarithmique). Imaginez-vous, le taux de croissance de 1% aujourd’hui passerait à plus de 5% en 2017 pour dépasser 7%, voire 8%, les années suivantes. Atteindre ces niveaux –du jamais vu sur plusieurs années consécutives- laisse supposer un triplement du niveau d’investissement tant du public que du privé, qu’un quadruplement de celui des IDE.
A vrai dire et avec le minimum de distance prise par rapport aux chiffres que restitue la modélisation, on a le sentiment, que dire, la conviction qu’il s’agit en réalité d’un exerciceacadémique et conventionnel auquel s’est livré ce ministère. Des projections assez loin des réalités qui ignorent les inerties intérieures, la dérive des grands équilibres comme les contraintes extérieures.
Que dire encore d’un taux de chômage passant de plus de 15% à 11% en cinq ans. Compte tenu, d’un côté, de l’évolution démographique et de la pyramide des âges, de la population arrivant sur le marché du travail, et de l’autre côté, du déploiement d’investissements en recherche de productivité (intensifs en capital, et plus faiblement créateur d’emplois) et la structure de l’offre d’emplois dans le secteur privé, il y a fort à pronostiquer que le niveau de sous-emploi calculé ne soit qu’une chimère de plus.
Au-delà des vœux pieux que d’aucuns salueraient, l’approche est inconsistante et irrecevable !
Ce n’est pas un plan stratégique, mais un calcul scolaire et empirique de chemin de croissance, comme on en fait tant, en première année de licence que de grandes écoles de commerce !
Dommage ! L’examen de passage risque d’être d’autant plus difficile que le ministre lui-même ne semble pas si confiant en ses propres chiffres. Il n’envisage pas moins de 3 scénarios:
Un cas plausible, un scénario optimiste et un pessimiste ! De quoi en troubler plus d’un !
Hédi Sraieb
Docteur d’Etat en économie du développement