Opinions - 22.08.2015

Mansour Moalla : Le tourisme, un secteur mal géré

Mansour Moalla: Le tourisme, un secteur mal géré

Le tourisme est un problème d’une grande et triste actualité. Le mal dont souffre le secteur est né dès les premiers temps de la création des premiers hôtels. Ce mal, c’est la mauvaise gestion du secteur.

Je m’en suis aperçu dès l’origine. J’avais en effet, en tant que membre du gouvernement, de juillet 1967 à octobre 1968,  la gestion du secteur touristique en même temps que l’industrie et le commerce. C’était la période quelque peu euphorique et folklorique de la création des premiers hôtels qui étaient à cette date au nombre de 28, je m’en souviens très bien. J’ai tenu à visiter tous ces établissements pour me faire une opinion sur la politique à adopter pour le développement du secteur de manière durable et efficace.

Je me suis persuadé d’abord que ce développement était nécessaire pour l’expansion économique du pays, ce dernier n’ayant pas beaucoup de secteurs procurant des ressources importantes en devises pour le pays. La Tunisie a toujours souffert d’un déficit commercial important avec l’extérieur. Les exportations de biens étaient insuffisantes pour couvrir les importations et le sont encore aujourd’hui avec la même importance. Les échanges de services avec l’extérieur ne dégageaient pas un excédent suffisant pour couvrir le déficit des échanges de marchandises.

Les revenus provenant des transferts de nos travailleurs résidant à l’étranger ainsi que les recettes provenant du tourisme étaient faibles de sorte que pour couvrir le déficit commercial et le remboursement du principal de la dette extérieure, nous devions emprunter et c’est ainsi que s’est constituée une dette devenue de plus en plus importante menaçant la solvabilité du pays. Ce qui est le cas encore aujourd’hui avec les évènements qui ont provoqué une crise économique qui dure et s’aggrave depuis 2011.

L’on comprend ainsi pourquoi, en visitant en 1967-68 les 28 hôtels, je me suis rendu compte que le développement du tourisme est en même temps une nécessité et la seule possibilité pour doter la Tunisie d’un grand secteur économique dont l’avantage était de nous procurer des ressources en devises de nature à nous éviter un grave déficit extérieur constituant un obstacle majeur à l’expansion économique du pays.
Tout en me rendant compte de cette nécessité et de son importance majeure, je m’étais rendu compte, à l’occasion de mes visites, qu’il y avait une absence totale de stratégie à long terme pouvant permettre au tourisme de devenir le principal pourvoyeur de devises du pays pour lui permettre d’échapper à un déficit extérieur qui risquait de s’aggraver dangereusement.

L’absence de vision globale et de politique à long terme a conduit à la création d’unités hôtelières individuelles par des hommes d’affaires sans expérience dans ce domaine poursuivant un objectif de gain rapide et agissant individuellement en l’absence d’une coordination effective initiée ou imposée par l’administration du secteur. Cette abstention et cette absence «politique» s’expliquaient à l’époque par l’intervention excessive dans les secteurs agricole et commercial pour la création et la généralisation des coopératives.

On voulait dissiper cette crainte de «socialisation» en évitant ou en ajournant au moins une intervention aussi «tapageuse» dans les secteurs de l’industrie et du tourisme qui, du reste, ne pouvaient guère se prêter à une «coopérativisation» généralisée.

Ce qui fait que le secteur touristique a fait ainsi un mauvais démarrage: improvisé, artisanal, fragile malgré sa prospérité apparente. La faiblesse mortelle avec laquelle s’est fait le démarrage était l’inefficacité commerciale qui était évidente.

En effet, chaque hôtelier qui disposait de quelques dizaines de lits à l’époque croyait pouvoir «vendre» son produit tout seul et obtenir des prix suffisamment rentables. C’était encore possible étant donné l’offre réduite et l’attrait d’un nouveau marché pour les tour-opérateurs installés en Europe et qui étaient les principaux «acheteurs».

Il était évident que cette offre «dispersée» ne pouvait guère tenir devant des acheteurs puissamment organisés. Les «vendeurs» tunisiens allaient donc très vite être obligés de vendre à des prix bas imposés par leurs partenaires, étant eux-mêmes non organisés et ne disposant guère d’une force de «résistance» et de négociation leur permettant d’obtenir des prix convenables. Contraints ainsi de vendre à des prix bas, ils ne pouvaient plus offrir un service de qualité, d’où une dégradation continue des prix de vente et une crise financière de l’ensemble du secteur qui n’aura plus la capacité de résister.

J’étais donc convaincu dès 1967-68 que le secteur, s’il ne s’organisait pas, ne pouvait que décliner. D’où la nécessité de l’inviter, ou si nécessaire, de l’inciter et de le pousser à s’organiser pour résister à la puissance des partenaires acheteurs et pouvoir ainsi négocier des prix convenables, maintenir et améliorer la qualité du service et la continuité d’une activité rentable et durable. Ce qui malheureusement n’a pas été le cas. J’avais suggéré d’agir dans ce sens en encourageant la création d’une force de vente plus consistante par une action coordonnée des opérateurs du secteur et réserver en conséquence les avantages accordés au secteur (de nature fiscale et financière) à ceux qui acceptent d’instaurer ainsi une force de vente de nature à obtenir de meilleurs prix, à maintenir la qualité de service et la prospérité de leurs installations. Complexés par l’accueil fait aux coopératives, les responsables gouvernementaux n’ont pas osé intervenir de manière décisive.

Devant cet échec, l’anarchie et la non-organisation allaient continuer et aggraver les dangers de nature à menacer le secteur et c’est ainsi que devant l’instabilité, la violence et le terrorisme, il s’est trouvé sans défense et a été agressé.

On a vu ainsi une négligence individuelle coupable qui a «vidé» ainsi nos hôtels pour une période qui risque de durer et ceci du fait de l’inorganisation et de l’improvisation.

Le secteur se perd ainsi dans l’arriération. Ce point de vue est confirmé par l’exemple de la Turquie. Les Turcs sont venus examiner notre expérience à ses débuts et ont bien compris la faiblesse de son organisation, notamment dans le domaine commercial.

Ils ont agi en conséquence et ont veillé à installer en Europe, et particulièrement en Allemagne, leurs propres services commerciaux pour bien connaître le marché et comprendre les meilleurs moyens de l’aborder, notamment avec les tour-opérateurs. Nos hôteliers ont aggravé leur cas en donnant la priorité au marbre et au luxe des locaux édifiés à force de crédits et de dettes.

Nombre d’hôteliers chez nous ont vendu ou loué leurs installations. L’expérience acquise dans le domaine s’effrite d’une manière régulière. L’incapacité s’installe. Comment, après l’attaque du Bardo, surtout, ne pas adopter la moindre vigilance et ne pas pouvoir repérer le terroriste qui s’installe comme «touriste» et se transforme en tueur, plongeant l’ensemble du secteur du tourisme dans la crise la plus redoutable depuis l’origine. Où sont les responsables ? Les dirigeants? De l’insouciance ? De l’indifférence ? De l’incapacité ? Trop, c’est trop.

Cette crise aura probablement un avantage. En tout cas, il faut l’espérer. Elle devra changer notre gestion du secteur touristique, la rendre plus organisée, plus scientifique, plus compétente : il y va de l’intérêt des promoteurs mais surtout de l’intérêt du pays qui n’a pas beaucoup de secteurs dont l’objectif principal est de lui procurer des ressources en devises et lui permet en même temps de créer des emplois et de réduire le chômage.

Le secteur du tourisme contribue en effet doublement à la solution des deux problèmes structurels de la Tunisie : la réduction du déficit de la balance des paiements et l’amélioration de notre capacité de création d’emplois et donc de résorption du chômage. Ne le traitons pas en amateurs…

 

M.M.

Tags : tourisme   Tunisie  
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7 Commentaires
Les Commentaires
Wahid Ibrahim - 22-08-2015 12:36

Chaque jour qui passe nous apporte des nouvelles de cascades d'annulation de la destination Tunisie par les plus grands Tour-Operators européens et ce au moins jusqu'au printemps prochain. Ce qui veut dire que ces partenaires jusque-là incontournables ne comptent affréter aucun siège avion, ni allouer aucun lit hotelier . Cela veut dire aussi que certains hôtels vont se trouver obligés de mettre les clés sous la porte, de renvoyer leur personnel, d'arrêter de payer leurs fournisseurs et cesser d'honorer leurs dettes auprès des banques . Pour les plus solvables du moins. Cela veut dire aussi qu'on ne verra plus des groupes de touristes circuler dans les souks, fréquenter les restaurants , visiter les musées et les sites archéologiques... Face à cette triste perspective, que faire ? Aucune campagne de publicité, quelqu'en soient la puissance et les budgets consacrés ne pourra faire rétablir le flux de touristes pour la bonne et simple raison que la Tunisie, n'étant plus programmée, disparaîtra des vitrines réelles ou virtuelles des TO et des réseaux de distribution. Le problème étant posé en ces termes si simples, ma naïveté indécrottable me fait avancer la proposition suivante : Les compagnies aériennes tunisiennes, les hôteliers et les agents de voyages tunisiens devraient sans tarder se mettre autour d'une table et s'entendre pour créer des structures de tour-operating sur les marchés concernés par les annulations . Ces structures qui agiront également en réseau de distribution opéreront à partir des locaux de Tunis Air, de l'ONTT, des autres compagnies et sur les réseaux et proposeront des tarifs hyper-compétitifs pour des forfaits basiques composés de transport aérien en Low Cost et de séjour en LPD. Ces packages minimalistes devraient être d'une compétitivité telle qu'ils provoqueront un véritable électrochoc positif dans l'esprit des consommateurs et des distributeurs qui voudraient y souscrire . L'esprit de l'opération ne doit pas être celui d'une méga-braderie mais celui d'une stratégie d'offre adaptée à une triste et inéluctable réalité . L'essentiel est que la Tunisie ne disparaisse pas du paysage des marchés récalcitrants Il va de soi que cette production exceptionnelle devra bénéficier de campagnes tactiques ( avec indication des régions de séjours et des prix) sur les médias appropriés, des campagnes incitant à l'achat immédiat et au départ à courte échéance. En outre, la formule LPD qui se trouve aux antipodes de "l'abominable" All-Inclusive incitera le touriste à dépenser en extras aussi bien à l'hôtel de séjour que dans les restaurants des environs. En somme, elle améliorera la circulation des touristes dans les espaces extra-hôteliers et créera une nouvelle dynamique dans le niveau de dépenses touristiques. Cette formule dont le bilan final ne peut être que positif cassera, pour un moment, le sempiternel couple "TO-Hôteliers", ouvrira la voie à de nouvelles techniques de commercialisation et amorcera concrètement et sérieusement l'internationalisation des entreprises touristiques tunisiennes . .

Alcanabal - 22-08-2015 15:47

Monsieur Moalla c'est une excellente analyse que vous livrez aujourd'hui. Quel dommage que vos recommandations n'ai pas été suivie d'effet! Vu de l'extérieur, Tunisie rime avec tourisme low cost, mauvais service et j'en passe... Oui je sais que mes propos peuvent heurter et/ou choquer mais il faut parfois accepter de regarder la vérité en face et rebondir pour améliorer les choses. Un exemple flagrant, quand un touriste Français en manque de soleil l'hiver réfléchi à une destination proche dans un bel hôtel avec un service de qualité, celui-ci pense direct au Maroc et ça c'est terrible, d'autant plus que la Tunisie à beaucoup plus de potentiel que ce concurrent! Un autre exemple, un proverbe dit: "on a pas 2 fois l'occasion de faire une première bonne impression" La première bonne impression elle commence quand on pose le pied dans l'aéroport ou le port, un accueil souriant dans des locaux propres et organisés serait le bienvenu. Puis vient la route qui permet de rejoindre son hôtel, que penser d'un pays ou les poubelles brulent au bord des routes, routes dont les lignes blanches sont inexistantes, ou l'éclairage et cassé et les rails de sécurité tordus? Est-ce que ça donne envie de manger dans un restaurant ou le jus des poubelles voisines mélangé à des odeurs d'urine agressent vos narines? Ajoutez à cela un espace aérien verrouillé et toutes les conditions sont réunies pour aller à la catastrophe. Personnellement, je pense que les attentats ont été la bonne occasion pour certains tour opérator de se désengager à moindre frais de la Tunisie, n'oubliez pas que ce sont avant tout des financiers, et que d'autres destinations dans la zone Euro-med sont en train de grimper parce que justement ces pays ne vont pas reproduire le mauvais exemple. Regardez les sites d'avis comme Tripadvisor et les reportages tv sur les hôtels Tunisiens, c'est édifiant! Heureusement de vrais hôteliers Tunisiens amoureux de leur métier se battent et de nouveaux établissements luxueux bien gérés avec un service digne de ce nom sont en train d'apparaitre, c'est une des solution, la montée en gamme, mais le pays à 15 ans de retard. Pour le reste, chaque crise à toujours un côté bénéfique, les meilleurs resteront les autres vont mourir, c'est comme ça il faut l'accepter! Des solutions existent pour sauver une partie de cette industrie et créer des emplois, encore faut-il que la volonté soit présente mais ça c'est une autre histoire...

laroussi - 22-08-2015 16:11

votre analyse sur le tourisme tunisien est exacte vous avez décelé ses faiblesses dès les années 70. Moi c'était les années 80. 80% des hôteliers ne sont pas des professionnels ils jouent individuel et ne pensent qu'à leur intérêt personnel et la facilite des crédits pour s'enrichir j'ai assisté à maintes reprises à des salons en europe et j'ai remarqué avec stupefaction le manque de professionalisme il faut dire tout haut on ne sait pas vendre le produit Tunisie les salons du tourisme en europe c'était des vacances le chef avec dse compagnies suivez mon regard,,,,, bref il faut donner la possiblité aujourdui à des jeunes chevronnés le pouvoir que ce soit dans l'hotellerie et les agences de voyages l'occasion de s'exprimer et mettre ces anciens dans le placard moi je suggere une chose simple les hotelier endette doivent rendre leur hotel au profit des des vrais professionnels et je peux vousciter des dizaines et des dizaines et enfin les directeurs des delégations du tourisme à l'étranger doivent travailler pour le tourisme tunisien et non pas pour leur intérêt personnel avec des tour operators étrangers et je peux vous donner des exemples bref il faut une révolution dans ce secteur si on continu avec les mêmes je peux vous assurer que notre tourisme ne se relèvera pas ancien tour operator en france qui vous salue

Zaafouri - 22-08-2015 17:37

lorsqu'un expert en la matière comme M Mansour Moalla parlait du secteur et de ses creux durables depuis les années 70 et que ses crises sont les mêmes ces jours là on ne pouvait dire rien sauf enterrer ce secteur pour toujours vu qu'il souffrait des mêmes maux depuis des décennies Lorsque M Mansour examinait et analysait et exhibait et que rien n'a était changé dès lors on ne pouvait que dire qu'il est tard de changer la stratégie pour sauver des milliers de personnes et bien évidemment les hommes d'affaires Les hôteliers ne cessaient de se libérer de leur fardeaux à savoir L'ENDETTEMENT qui consistait l'élément de base dans toute nouvelle démarche et reprise du secteur en plus agir en tant que corps uni est toujours plus efficace et ne pouvant pas imposer nos choix si on n'est pas capable d'assurer le minimum de service à nos invités à savoir la sûreté " in and out " il demeure important également créer une cellule de crise pour gérer les problèmes qui pouvaient naître et les résoudre avec l’efficacité nécessaire soit dans les aéroports ou dans les hôtels de séjours vu les réclamations des invités et des touristes qu'il faut y travailler pour minimiser les approches certes il nous faut un travail énorme et qu'il faut commencer par nous même avant avant de recourir aux afflux Algériens et surtout MAINTENIR les PROMOTIONS il n'est en pas question que ces promos soient virtuelles et n’existaient pas seulement dans la télé et les panneaux non plus dans les hôtels ce qui menace la CRÉDIBILITÉ déjà inexistante entre les parties

BYL - 22-08-2015 23:34

Cette crise est peut etre une chance unique pour la Tunisie.Sortir de la main mise quasi structurelle des ''tours opérators''. Créer une task force tunisienne pour vendre notre tourisme, là est le défi! Hélas peut etre , le tunisien individu et structures sont trop individualistes pour cette ''révolution'' telle que la suggère Mr W. Brahim.

Taoufik FAKHRI - 23-08-2016 09:24

Il faut parler d' l'opportunisme des promoteurs qui se sont sucré copieusement au passage avec la complicité des banques. Ils laissent des dettes abyssales qui compromettent l'avenir mêmes de certaines banques, surtout les publiques. Les hoteliers, comme les industriels rechignaient à recruter les cadres universitaires d'où la médiocrité des résultats, sur tout dans le commercial et le marketing. Il fallait opérer un promotion "corporate" avec les grandes entreprises et les institutions. étrangères, donc dynamiser les représentants dans les pays émetteurs. 3viter l'arnaque et prétendre qu'un hôtel est un cinq étoile alors qu'il ne correspond pas aux normes internationales, Ceci a aboutit à ce que les tours opérateurs établissent leur propre évaluation et leur propre nombres d'étoiles. Les inspecteurs de l'ONTT on peur des barons et laissent faire. On particulier pour le nombre de saisonniers. La promotion s'est basée sur le bas prix: "la Tunisie est la destination la moins chère!" Cette approche marketing simplice est suicidaire car elle provoque un effet pervers; Ce ne sont pas les fonctionnaires qui doivent faire la promotion

BENJEMIA - 23-08-2016 09:54

MR Mansour Moalla dresse un bilan touristique accablant de la gestion touristique. Le 16 Janvier 2015, j'ai déjà écrit un article : Vers une nouvelle de la politique touristique tunisienne que vous trouverez sur le site: MTDPT.ORG, qui va dans le même sens. Mon expérience d'1/4 de siècle dans le secteur de tourisme en France m'ont permis d'arriver à ce constat: Des hôtels 4 étoiles qui sont gérés comme des 3 étoiles et dont les chambres sont commercialisées comme des 2 étoiles

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