News - 21.08.2015

Syrie : les terroristes décapitent un archéologue emblématique du site de Palmyre

Syrie : les terroristes décapitent un archéologue emblématique du site de Palmyre

L’information qui a circulé le mercredi 19 courant est sidérante : Khaled Assaad, universitaire syrien de 82 ans qui avait été pendant cinquante ans (de 1963 à 2003), conservateur du site archéologique de Palmyre, a été décapité, la veille, par les hordes du prétendu Etat islamique. La pancarte qui était attachée à son corps, alors qu’il allait être décapité sur une place publique de Palmyre en présence de plusieurs dizaines de personnes, indiquait les trois motifs  de l’exécution: l’éminent archéologue était accusé d’avoir été un partisan du régime en place, d’avoir longtemps gardé les idoles du site et d’avoir participé, à l’étranger, à des rencontres  scientifiques avec des infidèles.

La responsabilité première de la communauté internationale

Le site de Palmyre est classé, depuis 1980 sur la Liste du Patrimoine mondial. Ses monuments, d’une rare beauté et d’une monumentalité parfois exceptionnelle, sont loin d’être dégagés dans leur totalité. Ce que le visiteur peut en voir, aujourd’hui, date, essentiellement, des trois premiers siècles de l’ère chrétienne. Il s’agit des vestiges d’un carrefour caravanier séculaire d’où se dégage la tradition locale mêlée aux influences perses et servie par les techniques gréco-romaines. Mais l’histoire de la ville est bien  plus ancienne. Avant de prendre le nom de Palmyre, attesté depuis le milieu du Ier siècle avant Jésus-Christ, elle s’appelait Tadmor, appellation sémitique mentionnée dans des documents du VIIIè siècle avant Jésus-Christ et qui est en usage, aujourd’hui, en Syrie. Découvert vers le milieu du  XVIIè siècle, le site archéologique, qui compte aujourd’hui parmi les plus grandioses du Proche-Orient, a accueilli depuis la fin du XIXè siècle  des équipes d’archéologues originaires d’un grand nombre de pays.


Depuis le mois de mai 2015, le site de Tadmor et la ville de 70.000 habitants qui se trouve dans sa proximité sont aux mains des terroristes qui se sont constitués en ’’Etat islamique’’. Des destructions d’objets archéologiques ont eu lieu dès les  premiers jours de l’occupation de la ville et du site. C’est le cas notamment du magnifique Lion d’Athéna, découvert par des archéologues polonais il y a une quarantaine d’années. Les sévices contre la population et les défenseurs du site et de la ville ont commencé il y a trois mois ; ils ont  eu, parfois, pour cadre des monuments somptueux du site en vue de mise en scènes macabres. A la fin du mois de mai dernier, plusieurs centaines  de soldats de l’armée syrienne  et de civils ont été massacrés  avec, pour certains d’entre eux, une mise en scène théâtrale dans … le théâtre du site, datant de l’époque romaine.

 

Au lendemain de la décapitation de Khaled Assa, Mme Irina Bukova, la Directrice générale de l’UNESCO a publié un communiqué dans lequel elle déclarait, entre autres paroles creuses, que l’œuvre de Khaled Assaad «se poursuivra et restera hors d’atteinte des extrémistes. Ils ont assassiné un grand homme, mais il ne feront jamais taire l’histoire». La même responsable avait publié, quelques mois auparavant, des communiqués comparables lorsque des sites et de musées archéologiques irakiens avaient été saccagés ou pillés par des acolytes des assassins de Khaled Assad.  Mais ce ne sont pas les états d’âme de la Directrice générale d’une organisation dépourvue de tout pouvoir contraignant qui vont mettre fin aux crimes des terroristes. Mme Bukova  le sait bien, elle qui a imploré, en vain, au printemps dernier, le Président du Conseil de Sécurité de l’ONU afin qu’il réunisse son assemblée dans le but d’envisager des sanctions contre les pilleurs et les saccageurs du patrimoine archéologique irakien. A ce jour, aucune réunion de ce genre n’a eu lieu. Ainsi le Conseil de Sécurité de l’ONU dont émane l’UNESCO donne la preuve qu’il n’est pas prêt à assumer son  devoir face à un danger qui menace les intérêts supérieurs de l’Humanité. C’est à se demander à quoi sert l’inscription des sites et des monuments sur la Liste du Patrimoine mondial…

La responsabilité particulière des Etats arabes qui ne s’indignent plus de rien

Les malheurs subis par les musées archéologiques irakiens lors l’invasion du pays par les forces étrangères n’ont pas ému les dirigeants arabes. A l’ALECSO, la consigne était de  se taire et de laisser faire. La même attitude prévalait, au cours du printemps dernier, quand des sites et des musées irakiens ont été saccagés et pillés. C’est à se demander, aussi, à quoi sert l’ALECSO si ce n’est à offrir des fonctions juteuses à des fonctionnaires recommandés par les  Etats dont ils relèvent. Il est à noter que la Mosquée-Université d’Al Azhar s’est fait remarquer, au mois de mai dernier, par une déclaration dans laquelle elle considérait que la sauvegarde de Palmyre devait constituer «une bataille pour l’humanité toute entière»

 

Finalement théorique, la responsabilité des Etats arabes n’enlève rien au devoir de chacun de ces Etats. En effet, qui interdirait à la Tunisie, par exemple, d’exprimer son indignation face à ce qui vient de se passer à Palmyre. Dans notre pays, la Commission nationale UNESCO/ ALECSO/ ISESCO est présidée par le ministre de l’Education qui se trouve être un archéologue doublé d’un historien. Ce représentant de l’Etat et du milieu universitaire pourrait profiter de l’une de  ses apparitions (quotidiennes ou presque) dans les médias, pour condamner l’horreur qui vient d’avoir lieu à Palmyre. Notre ministre de la Culture, historienne de formation, elle aussi, et actuellement en charge du Patrimoine, pourrait agir dans le même sens, maintenant que les festivals d’été ne l’accaparent plus.

 

Le Gouvernement tunisien a beaucoup apprécié la solidarité internationale quand notre pays a vécu les drames du Bardo et de Sousse, causés par des terroristes dont les agissements ont amené le chef de l’Etat à décréter l’Etat d’urgence, il y a plus d’un mois. Il a montré combien il était accaparé (mais honoré aussi, semble-t-il), par les nombreux visiteurs de marque étrangers qui sont venus faire le ’’pèlerinage’’ du Bardo et de Sousse. La bonne logique et la simple bienséance exige de rendre la pareille qui consiste à montrer qu’on est sensible aux malheurs des autres. En cette matière, nos amis occidentaux ont toujours une longueur d’avance. Il suffit de considérer combien de journaux, télévisés, imprimés et électroniques ont fait leur une avec le tout dernier drame de Palmyre. On ne compte plus les déclarations des ministres et des chefs d’Etats même des pays occidentaux qui se sont indignés face au dernier massacre. En Italie, «Les fêtes de l’Unité» organisées, le mercredi 20 août par le parti du Premier ministre, Matteo Renzi ont été dédiées à la mémoire de Khaled Assaad. Dans le même pays, le ministre de la Culture, Dario Franceschi a décrété, pour le même jour, que les drapeaux de tous les musées et de tous les lieux de culture dépendants de l’Etat fussent mis en berne.

 

Nos ministres de la Culture et de l’Education  qui parlent beaucoup, ces jours-ci, de la lutte contre le terrorisme par l’éducation et la culture, dans le cadre d’un gouvernement harmonieux, pourraient s’associer dans une démarche par laquelle ils demanderaient à la vaillante ALECSO de tenir une assemblée extraordinaire qui traiterait du terrorisme à partir du terrain qui est le sien. Ce serait là des travaux pratiques qui permettraient aux Tunisiens de faire le tri entre les convictions réelles et les discours de circonstance. L’histoire toute récente ne nous a-t-elle pas, malheureusement, montré que ce qui se passe, aujourd’hui, chez les autres pourrait être notre lot de demain? 

 

21/ 8/ 2015
Houcine Jaïdi
Professeur d’histoire ancienne à l’Université de Tunis
 

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