News - 02.08.2015

Comment la chambre à coucher de Bourguiba a été sauvée

La chambre à coucher de Bourguiba

En l’apprenant, le président Bourguiba aurait affiché un large sourire. D’apaisement et non de revanche contre un geste vulgaire commis contre sa mémoire et l’histoire de la Tunisie. Pour avoir enduré de son vivant tant de trahison et d’ineptie, le Combattant suprême ne se serait pas offusqué de voir sa chambre à coucher «profanée», là où il a passé quelques rares nuits paisibles, mais surtout des milliers de nuits blanches, d’épuisantes insomnies à cause des épreuves subies et des charges de la République.

Débarquant à Carthage le 12 décembre 2011, Moncef Marzouki avait hâte de la visiter. Il y prendra immédiatement une courte et unique sieste. Découvrant son emplacement exceptionnel donnant sur une terrasse qui offre une vue unique sur la baie de Tunis, il  y jettera son dévolu. Si Bourguiba l’avait choisie, c'était parce qu'il en avait de bonnes raisons. Mais, comme il ne devait pas résider au palais même, mais à Dar Essalem, dans la même enceinte, il demandera à la transformer en salon. A la première audience qu’il y accordera, les réseaux sociaux s’enflammeront de protestations et railleries. Plus jamais il ne l’utilisera. Il se contentera juste de la traverser pour accéder à la terrasse qui sera son lieu de prédilection.

Nous sommes dans « la zone privée » du palais de Carthage, au premier étage, réservé uniquement au chef de l’Etat et à des membres de sa famille. Rares sont ceux qui ont eu la chance d’y accéder. Un officier de sécurité qui a exercé plus de 20 ans à Carthage confie à Leaders que c’était un mystère pour lui comme pour nombre de ses collègues. Une entrée séparée conduit à gauche à la grande salle du Conseil des ministres et à droite aux salons privés, escaliers et ascenseurs pour monter à l’étage.

Les lieux sont majestueux, spacieux et silencieux. Marzouki y avait aménagé son vrai bureau avec baies vitrées qui donnent sur la mer. D’autres bureaux avaient été affectés à son assistante et son premier conseiller. Sous Caïd Essebsi, Mohsen Marzouk prendra la pièce de l’angle, jadis occupée par Wassila, mitoyenne à celle de Bourguiba. A son départ, c’est Salim Azzabi, conseiller principal, qui sera installé à l’étage, à la demande expresse du Président.

L’ascenseur s’ouvre tout près de la suite présidentielle. De grandes portes donnent sur l’entrée, sur un meuble figure le Coran. A droite, on accède directement à la chambre à coucher, spacieuse, bien éclairée le jour par les nombreuses fenêtres et le soir par des luminaires soigneusement choisis. La pièce est tapissée de papier peint. Au milieu trône un grand lit. Les draps brodés sont aussi simples que raffinés. Deux grands fauteuils font face au lit et au fond de la salle est installé un petit salon de style. Sur des meubles décoratifs, on trouve des chandeliers, photos souvenirs, bibelots et quelques plats décorés. Ici nous sommes dans l’intimité de Bourguiba : simple, modeste, digne certes d’un chef d’Etat, mais guère ostentatoire. Comme on en trouve partout dans les maisons de charme et hôtels particuliers de moyenne catégorie. A gauche de la chambre, la salle de bain, aujourd’hui condamnée, et à droite, la porte communiquant avec la chambre mitoyenne de Wassila.

Ici, tout est luxe (relatif), calme et volupté. Une grande sérénité y règne. Un lieu d’histoire, de mémoire et d’exception.  Visitée à l’improviste, fin juillet, la chambre à coucher de Bourguiba est préparée comme si elle devait l’accueillir immédiatement. Propre, aérée, climatisée, les rideaux sont ouverts pour laisser ceux en voile filtrer la lumière. La gouvernante générale du palais, Mme Mahjoub, y veille personnellement, s’assurant chaque jour auprès de ses équipes du bon ménage qui y est effectué. Lorsqu’elle a reçu l’instruction du président Caïd Essebsi de la remettre en l’état, sa joie était immense, partagée d’ailleurs par l’ensemble du personnel de l’intendance. Les plus anciens, affectés au service de Bourguiba en gardent des souvenirs vivaces. Les plus jeunes qui ont vécu le démontage de ses meubles ont eu un pincement au cœur inoubliable. Tous se sont alors enthousiasmés pour sa restauration. Heureusement qu’avant de tout démonter, la gouvernante générale avait demandé qu’on prenne la chambre à coucher en photo, dans ses moindres détails. «C’est pour l’histoire ! confie-t-elle. J’exécute les ordres, mais je préserve la mémoire». Grâce à ces photos, elle reconstituera alors la chambre à coucher comme elle était initialement. A elle seule, c’est une pièce de musée, sauvée par Caïd Essebsi.

 

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