Mahmoud Bouali: Si l'on pouvait résumer une vie aussi bien remplie!
Même après avoir quitté ses fonctions de bibliothécaire et d’archiviste auprès de plusieurs institutions, Mahmoud Bouali resta fidèle à son habitude de constituer des dossiers, contenant coupures de presses, livres, magazines ou documents manuscrits, selon les thèmes sollicités par de parfaits inconnus, des écrivains célèbres, des chercheurs ou nous autres membres de sa famille. Il y a de cela quelques mois, il me remit une liasse de dossiers dont l’un d’eux titré « Bilan ». A l’époque, il se portait très bien pour quelqu’un de son âge et il était loin de moi l’idée qu’aussi vite j’aurais besoin de me pencher sur son contenu: une chronologie précise de sa vie.
Le 2 juillet 2015 à 91 ans, Mahmoud Bouali nous a quittés pour rejoindre notre mère Safia partie huit ans plutôt. Il a toujours été un père attentionné pour ses six enfants, un beau-père respectueux, un adorable grand-père pour ses quinze petits-enfants ainsi qu’un super papy pour ses deux arrière-petits-enfants; il n’oublia jamais leur date d’anniversaire.
Mahmoud Bouali est né le 5 juin 1924 au 8, rue du Menuisier à l’ombre du mausolée Sidi Mehrez, le Saint protecteur de Tunis. Les festivités marquant sa naissance, étant le premier mâle dans la famille Bouali depuis un quart de siècle, furent brutalement arrêtées par l’annonce du décès de son père dans des circonstances tragiques. Sa vénérée mère se dépensa sans compter et fit concessions et sacrifices afin que son fils devienne « quelqu’un ». Malgré les conditions de vie précaires de sa famille – leur patrimoine immobilier ostentatoirement spolié - Mahmoud fut un brillant élève. Il dû travailler comme garçon de café, apprenti épicier, ouvrier-meunier ou agent à la poste afin de subvenir à ses besoins et ceux de sa mère tout en parcourant les œuvres de Voltaire, l’histoire de France ou les poèmes anglais. Il réussit avec brio à tous les examens et les certificats où il se présenta.
En 1943 , à l’âge de 19 ans il fut nommé instituteur de langue française à l’école franco-arabe de Gafsa. C’est là que sa vocation d’historien est née, après qu’on lui relata les crimes commis par les troupes françaises à l’encontre de la population civile locale. Revenant à Tunis, il fut nommé à l’annexe du prestigieux collège Sadiki, où on le prenait pour un élève à cause de son très jeune âge. Il exerça son métier d’instituteur dans d’autres établissements de Tunis, ses élèves gardent de lui le souvenir impérissable d’un patriote, glissant subtilement dans les cours des poèmes militants ou des faits épiques de l’histoire de la Tunisie que les programmes, établis par la direction de l’enseignement du protectorat, passaient sous silence. En avant-garde sur le système éducatif, il projetait pour ses élèves des diapositives et des films documentaires afin de mieux illustrer son cours.
A la fin des années quarante, il se fit remarquer auprès de l’intelligentsia et des hommes politiques par ses premiers articles à propos de l’Histoire de la Tunisie parus au journal « Le Petit Matin », quotidien paraissant à Tunis. Quelques mois après l’indépendance, on le sollicita pour constituer et alimenter la bibliothèque et les archives du Ministère des Affaires étrangères. Depuis cette date et jusqu'à sa retraite, son bureau à la Kasbah était un passage obligé pour tout diplomate en partance pour un poste à l’étranger. C’est là, chez « Si Mahmoud » qu’ils allaient prendre connaissance de l’historique des échanges diplomatiques, économiques ou culturels avec leur pays d’affectation. Sa réputation de rectitude sans faille, de patriotisme inconditionnel, sa mémoire phénoménale, sa connaissance précise et référencée de l’Histoire de la Tunisie allaient lui offrir l’opportunité tant rêvée d’approcher le Zaïm Habib Bourguiba.
Du 3 octobre 1958 au 5 octobre 1987, pendant trente ans il fut le bibliothécaire, l’archiviste et le documentaliste de la Présidence de la République, lisant, répertoriant et classant au jour le jour le courrier privé et officiel, constituant les albums photos des visites à l’étranger ou les audiences que le président accordait à ses invités. Selon l’actualité, Mahmoud Bouali, déposait sur la table de chevet de Bourguiba des livres, un marque-page indiquant subtilement la page à lire.
Un jour, mon père rentra triste, déprimé, abattu, inconsolable, Habib Bourguiba n’arrivant plus à lire. Mon père décida alors de ne plus retourner à son bureau du Palais de Carthage, la raison qui le fit venir au service du Président étant devenue caduque.
Mahmoud Bouali, en parallèle à ce qui fut évoqué, a contribué à la création du Musée de l’Armée Nationale, au Palais de la Rose à La Manouba. Vice conservateur, il assura la visite guidée pour les personnalités de haut rang. Plus tard, il contribua à la fondation du Musée de la Justice.
Auteur, selon une comptabilité qu’il tenait à jour, de 15720 articles en langues arabe, française, anglaise et italienne publiés dans les médias tunisiens : « Le Petit Matin », « l’Action », « La Presse », « Essabah », « Majalet al Idhaa », « Dialogue », « Al Difaa », « Il Corriere di Tunisi », « Tunisia News », « l’Hebdo Touristique » « Al Hidaya », « Majalet al Amn ». Il est l’auteur des éphémérides parues entre autres au journal « La Presse ». Mahmoud Bouali était un habitué de la Maison de la radio et de la télévision tunisienne. Il a fourni le contenu de plus de cinq milles émissions radio et participa à des centaines de programmes télévisés.
Mahmoud Bouali à part son aide, par la fourniture de documents rares ou des conseils avisés à l’écriture de centaines de livres et d’articles, avait signé de son nom une douzaine d’ouvrages historiques dont « Le Temps de la non révolte », « La sédition permanente », « Introduction à l’histoire constitutionnelle de la Tunisie », « Le soldat tunisien trois milles ans de gloire »…
(Biographie rédigée par Hamideddine Bouali
d’après une chronologie constituée par Mahmoud Bouali)