Gazoduc Transtunisien : Les coulisses d’une négociation
Au début des années 90, le patron de la SNAM (entreprise d’Etat italienne opérateur du gaz en Italie) vient trouver les responsables tunisiens pour évoquer un renforcement du gazoduc transtunisien en vue de transporter des quantités supplémentaires de gaz. Il n’est pas question alors dans son esprit d’investir pour un deuxième ouvrage similaire au premier, mais simplement de réaliser des loops sur quelques portions du tracé, qui auraient normalement suffi à faire l’affaire pour les nouveaux achats de gaz algérien tels qu’envisagés à ce stade.
La partie tunisienne a alors fait valoir qu’une telle opération ne saurait en aucun cas être considérée comme relevant d’un nouveau projet, mais simplement comme une extension naturelle de l’ouvrage existant. Ce qui, pour le gaz supplémentaire transitant par la Tunisie au-delà de 12 milliards de mètres cubes par an, se traduirait par l’application mécanique d’un taux majoré à 6% (au lieu du taux de base de 5,25 %), puis à 6,75% (à partir de 16 milliards de mètres cubes), comme prévu dans l’accord conclu à la fin des années 70.
En revanche, si un deuxième gazoduc était posé à côté du premier, avec la même capacité, il devenait possible de défendre le principe qu’il s’agissait là d’un ouvrage nouveau, virtuellement autonome par rapport au premier et se suffisant à lui-même. Il serait dans ce cas justiciable d’un accord séparé dont les termes pourraient être identiques au premier accord, le barème applicable aux nouvelles quantités en transit pouvant alors être «ré-initialisé» en repartant du taux de base de 5,25%.
L’idée à la base de cette négociation, c’était qu’il fallait miser sur le volume, plus que sur le taux. Et en effet, la SNAM a été ainsi encouragée à aller au-delà des achats supplémentaires de gaz alors envisagés en ce début des années 90, et à se décider à doubler les quantités achetées en Algérie et devant transiter par le territoire tunisien (soit 24 milliards de mètres cubes par an en tout, au lieu des 12 de départ).
Des esprits chagrins croient plus malin après coup d’agiter comme exemple à suivre le cas marocain, concrétisé quelques années plus tard avec un taux de prélèvement fiscal plus élevé (7%). On peut cependant retourner l’argument. En effet, la capacité de l’ouvrage traversant le Maroc (Gazoduc «Maghreb-Europe»), fixée à 8 milliards de mètres cubes par an fin 1996, a été augmentée en 2004 de 40% à 11 milliards de mètres cubes par an, et les choses en sont restées là depuis lors. En 2011, un nouveau gazoduc (le «Medgaz») a été posé entre l’Algérie et l’Espagne, avec une capacité de 8 milliards de mètres cubes par an, mais il relie directement les côtes algériennes et espagnoles sans passer par le Maroc.
La deuxième idée sous-jacente au choix d’une duplication contractuelle pure et simple prenait en compte le facteur délai. Car sur la base ainsi définie d’un “copier-coller”de l’accord initial dans des termes identiques, l’affaire pouvait être réglée rapidement. Cette dimension temporelle est aujourd’hui invisible aujourd’hui, maintenant que les délais sont écoulés. Mais il apparaissait bien à l’époque que sa prise en compte pouvait s’avérer tout aussi payante que l’effet volume. En effet, les calculs d’actualisation montraient que signer un tel accord le jour J rapporterait tout autant à l’Etat tunisien qu’un accord hypothétique qui serait conclu une année plus tard avec des rentrées fiscales supérieures de 10%. Et l’argument a porté quand le projet d’accord final a été examiné par le Conseil ministériel tenu sous la présidence de Si Hamed Karoui, avant d’être soumis à l’Assemblée nationale.
C’est ainsi que le doublement du gazoduc a été lancé dans des délais records, pour le bénéfice de toutes les parties prenantes: Tunisie (en tant que pays de transit), Algérie (en tant qu’exportateur), et Italie (en tant qu’acheteur du gaz).
Kemal Rekik
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