News - 02.07.2015

Walid Bel Hadj Amor : Assez de l’incurie

Walid Bel Hadj Amor : Assez de l’incurie

«Les actes terroristes se suivent et ne se ressemblent pas. Ils se succèdent, et même si les modes opératoires sont similaires, la symbolique de ces actes est différente, ce qui laisse penser que l’escalade est voulue, planifiée. Nous avons d’abord connu les attaques ciblées visant les personnalités politiques, avant de voir les terroristes concentrer leurs actions contre les forces publiques. Le premier objectif était donc de saper l’appareil d’Etat.»

Depuis, la stratégie a évolué vers des actions de plus grande envergure, visant l’économie du pays et donc plus directement la population. L’attaque du Bardo a été l’étape clé dans ce basculement au niveau des cibles, de l’appareil d’Etat vers l’économie du pays. Elle visait concomitamment l’Assemblée nationale, symbole de l’Etat, et le musée, haut lieu culturel et touristique.

L’attentat de Sousse consacre une nouvelle étape, qui vise plus particulièrement les fondements économiques, avec un double objectif, isoler la Tunisie et prolonger la crise. Il s’est attaqué à nos invités venus soutenir notre pays et notre économie, malgré l’attentat du Bardo, et en cela cet acte est intolérable.

Cette escalade pose la question de la réalité des réseaux terroristes et de la planification supposée de ces actes. Cette question est importante tant elle conditionne les réponses politiques et sécuritaires à apporter. Cette fois, le terrorisme frappe directement l’économie, profitant du laxisme politique et de l’insuffisance criante des moyens logistiques et de renseignement mis en œuvre. Cette frappe ignoble porte un coup au processus démocratique qui a aujourd’hui besoin, plus que jamais, de la relance économique pour être stabilisé, et amorcer une nouvelle étape de transition sociale.

S’il s’agit d’actions planifiées, dans une stratégie d’escalade, il faut s’attendre à ce que le mouvement s’amplifie, pour se concentrer petit à petit sur des objectifs économiques, qui toucheront les populations de manière plus précise et plus directe. Ce qui rendra cette guerre plus difficile en augmentant le nombre de cibles potentielles qui iront au-delà des édifices publics, symboles de l’Etat, mais engloberont tous les sites économiques et de préférence ceux qui engagent des intervenants étrangers. Toujours le même leitmotiv : saper et isoler.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le gouvernement hétéroclite en place ne bénéficie pas du soutien politique nécessaire pour engager les réformes dont le pays a besoin. Pourtant, il faudrait profiter de l’élan patriotique du moment pour lancer un plan d’action qui lui permettrait de reprendre l’initiative, trop longtemps abandonnée à une minorité agissante et revendicatrice. Les libertés sont aujourd’hui menacées plus que jamais, et ce n’est pas en renonçant à rétablir l’ordre qu’on redonnera confiance dans le processus en cours.

Les déclarations qui se sont enchaînées, au cours des vingt-quatre heures qui ont suivi cet attentat, n’engagent cependant pas à l’optimisme, tant elles ont été en deçà des attentes d’une audience prête à apporter son soutien au gouvernement, pour peu qu’il passe à l’action et frappe vite et fort.

La saison touristique est finie, alors plutôt que de songer encore à mettre un cadavre sous respiration artificielle, ne vaudrait-il pas mieux prendre les devants et mettre cette situation à profit pour apporter sans complaisance une réponse définitive? Quitte pour cela à décréter de nouveau l’état d’urgence, qui est certes une mesure d’exception, mais qui est, dois-je le rappeler, organisée par le droit international dans le cadre du pacte international des droits civils et politiques de l’ONU. Ou est-ce qu’encore une fois, le pouvoir politique va reculer devant les opposants libertaires, prêts à sacrifier l’ordre au nom de leurs idéaux de liberté.

A situation exceptionnelle, réponses exceptionnelles, et je ne serai pas le premier à m’élever contre des mesures d’exception, pour peu qu’elles soient mises en place dans une vraie démarche de sauvegarde, sous le contrôle de l’Assemblée et de la société civile. Des mesures qui iraient, pourquoi pas,  jusqu’à décréter l’état de siège dans les zones frontalières, en particulier au sud du pays.

Nous sommes à la croisée des chemins. En ne faisant rien qui soit à la hauteur des enjeux, nous risquons de mettre en péril l’ensemble de l’œuvre réalisée au cours des quatre dernières années. Et même si cette œuvre n’est pas une franche réussite, il n’en reste pas moins que la trajectoire doit être maintenue. Et si des mesures de sauvegarde de notre souveraineté et de notre économie doivent être mises en œuvre, alors il n’y a aucune hésitation à avoir. Le processus démocratique est face à un défi de taille, démontrer sa capacité à adopter des mesures d’exception sans renoncement aux principes. Refuser d’affronter cette réalité aujourd’hui risque de porter demain un coup fatal au processus, qui ne se relèvera pas d’un échec, face au danger qui guette.

Nier le danger et la nécessité d’agir sera nécessairement un appel d’air au retour de la dictature, qui apparaîtrait alors comme la seule solution face aux dangers.  Fermer les mosquées dissidentes et les écoles coraniques déviantes, mettre hors la loi les associations qui encouragent et financent le terrorisme, lancer des rafles dans les quartiers dont on sait qu’ils abritent les terroristes, harceler les terroristes et leurs soutiens, combattre les trafics en tous genres qui alimentent les bases arrière de ces factions, sont autant d’actions qui ne sont en rien liberticides.

Bien au contraire, il s’agit de sauvegarder ce qui reste de nos libertés constitutionnelles, et d’éliminer la vermine et les traîtres qui se repaissent dans le climat ambiant.

La démocratie doit être capable de s’adapter aux contextes exceptionnels, œuvrer à mettre en place des mesures de sauvegarde sans que les libertés publiques ne soient sacrifiées sur l’autel de la sécurité. C’est une mission historique dévolue aujourd’hui à la société tunisienne, qui doit inventer des solutions devant une menace réelle, non conventionnelle au sens du droit. La lutte contre le terrorisme est une guerre qui, pour être efficace, risque de restreindre les libertés démocratiques.

Dans ce cas, comment donner un minimum de garanties contre le retour à un régime autoritaire et policier, d’autant que nous ne jouissons pas encore d’institutions fortes, à l’instar des démocraties historiques ? Le conflit qui naît ainsi entre deux valeurs sociales, sécurité et liberté, doit être géré dans une recherche d’équilibre et non de subordination. Les mesures à prendre doivent être proportionnées au risque encouru par la collectivité.

La question est d’autant plus lancinante que nous sommes face à une menace intérieure, et que nous devons éviter la banalisation tant pour le risque que pour les mesures d’exception. Celles-ci doivent être provisoires et largement encadrées.

Malgré les faiblesses de nos institutions, nous pouvons imaginer un cadre spécifique pour assurer le contrôle et éviter les dérapages, sous le couvert des associations des droits de l’homme, de l’ordre des avocats ou encore de l’association des magistrats.  J’aimerais être sûr que le gouvernement n’a pas peur de prendre les mesures qu’il faut. J’aimerais être sûr que nos représentants élus sont capables de prendre la mesure du danger et des attentes.
 

W.B.H.A

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