Opinions - 02.07.2015

Sommes-nous tous coupables?

Sommes-nous tous coupables?

Suite à la tragédie de Sousse, j’ai noté le grand intérêt qu’a accordé la presse internationale, surtout aux Etats-Unis, à cet événement. J’ai attendu également avec grand espoir des décisions fermes de la part du gouvernement pour rassurer la population et les tour-opérateurs étrangers, ainsi que les investisseurs.

Malheureusement, les mesures annoncées par le Gouvernement ont plutôt accentué le pessimisme qui prévaut dans le pays,en particulier parmi les acteurs économiques.

Cela ne rassure personne, y compris nos amis et partenaires à l’étranger. Encore une fois, il n’y a pas eu d’annonce de mesures fermes signalant un engagement significatif de l’Etat dans sa lutte contre les terroristes et les criminels qui les soutiennent.

J’ai retenu que certains médias en Occident considèrent que la révolution tunisienne a permis la prise du pouvoir par les islamistes, qui auraient eux-mêmes pris le contrôle de plusieurs institutions nationales, le gardant après leur sortie du Gouvernement. A vrai-dire, on constate que la révolution a été mise à profit par tous les opportunistes pour s’implanter sur la scène politique.Ceux-là agissent au sein de petits partis politiques nouvellement créés, sans aucune assise populaire, avec l’appui de certains hommes d’affaires et de journalistes qui ont soutenu l’ancien régime.

Il faut y ajouter les trafiquants devenus de vrais barons du commerce illégal, grâce à l’appui de certaines organisations politiques et d’une minorité de la population du sud.Tout cela au vu et au su d’une Assemblée dite nationale récemment élue et d’un nouveau gouvernement, bénéficiant de la confiance de la majorité des partis politiques.

Ainsi l’enjeu est d’expliquer l’origine des déboires qu’a connus la Tunisie depuis quelques mois en matière sécuritaire,social et économique ?

Bien sûr, la lutte contre le terrorisme aux frontières comme à l’intérieur du pays a nécessité des efforts énormes de la part des ministères de la défense et de l’intérieur. Mais on a remarqué qu’après les élections, à l’exception d’Ennahda, les partis politiquesont connu un relâchement dans leurs activités, surtout le parti NidaaTounes, pourtant majoritaire. Ce parti a été atteint par la gangrène des luttesinternes, pour le pouvoir et les postes prestigieux au Gouvernement, suite à l’élection de BéjiCaidEssebssi à la présidence de la République.

Ajoutons à cela le gouvernement de M. Essid, qui a entamé ses activités avec lenteur, et a ainsi suscité le réveil «du diable», quis’est manifesté en de multiples grèves et poussées régionalistes,permettant à certaines forces comme l’UGTT de s’imposer comme un partenaire politique courtisé par tous. Ceci a contribué à la détérioration de la situation économique et sociale et àla violation des loispar ceux qui se proclament défenseurs des droits des travailleurs etdes régions pauvres.

Oui laTunisie a été simplement victime des «coups bas» par quelques pseudo-révolutionnaires,par la mafia des trafiquants et par les extrémistes des partis Islamistes. On a observé qu’au moment où des foules de manifestants dans le sud brûlent des municipalités, des hôpitaux, et des postes de police, certains bloquent les routes des camions de marchandises à l’exportation. D’autres s’opposent par la force à ceux qui veulent reprendre letravail dans la compagnie des phosphates.Tout cela est commis au nom de la liberté et de la démocratie.Par ailleurs, dans bien des cas, les travailleurs du secteur public, suivis par ceux du privé, ont entamé des grèves, souvent illégales, avec la bénédiction de certains partis politiques ou syndicalistes n’obéissant plus à la centrale.

Le Gouvernement ne disposant que de très peu de ressources financières (venant d’emprunts à l’étranger ou simplement de dons), était incapable de donner suite aux demandes de hausses prohibitives de salaires. Ainsi, un Gouvernement faible avecdes caisses vides a été jeté comme une proie à l’opinion publique, au moment où la population souffrait du chômage et de la hausse des prix. Beaucoup se sont alors ligués contre le gouvernement, sachant que le pays allait vers la ruine et la banqueroute. Seulement quelques politiciens, associations civiles et journalistes ont eu le courage de dénoncer ces mouvements destructeurs,qui ont terni l’image du pays auprès des investisseurs étrangers. En effet,beaucoup d’entreprises ont simplement fermé et se sontinstallées ailleurs, surtout au Maroc.Cela n’a nullement découragé les vagues de grèves de s’amplifier.

Tout compte fait, ces mouvements sociaux et politiques ont préparé leterrain, et aidé les cellules dormantes des extrémistes à planifier leurs attaques contre le pays. Ce qui est scandaleux après l’événement de Sousse, est que certains n’ont trouvé mieux que de seulement condamner le gouvernement, soi-disant incapable de défendre le pays. Hélasla Tunisie a été trahie par nombre de politiciens et d’extrémistes religieux, permettant à des terroristes de porter un coup douloureux à notre économie et à notre prestige à l’étranger.

Monsieur le Premier Ministre, il est vrai que tous ces facteurs ont contribué largement à notre situation économique, précaire. Mais permettez-moi d’ajouter que vous-même, votre Gouvernement et le Président de la République sont également responsables de cette situation, à cause de vos hésitations, de votre attentisme,et de l’absence d’actions concrètes et rapides concernant plusieurs dossiers brûlants. A titre d’exemple, on s’attendait dès la prise de vos fonctions à une large mobilisation de l’administration de l’Etat pour plus de productivité dans le travail, de discipline, et de respectdes horaires, afin de soulager les citoyens de certaines procéduresadministratives inutiles. Il s’agit de remettre les institutions de l’Etat en marche et de renforcer l’application de la loi. Malheureusement rien n’a été fait et notre administration reste totalement désorganisée.

Aussi, à la suite de l’attentat de Sousse et des tragiques pertes humaines, tous les tunisiens s’attendaient à l’annonce de l‘Etat d’urgence. C’est la pratique suivie dans tous les pays du monde. On se rappelle des décisions prises par le président Bush à la suite l’attentat du 11 septembre 2001 à New York. Il a immédiatement activé la loi « Patriot » ou « Freedom »donnant les mains libres à la NSA, à la CIA et au FBI de prendre les mesures qui s’imposaient pour défendre la Patrie et assurerla sécurité des citoyens américains. La priorité de défense de la patrie a ainsi primésur toutes les autres priorités, y compris la liberté et la démocratie. Lespartis politiques et le peuple américain se sont rangés sans réserve derrière cette décision présidentielle. Les pays amis ont fait de même.

Ceux qui ont essayé de s’opposer à cette loi se sont retrouvés rejetés par toute la communauté. La démocratie n’est applicable que dansune patrie libre et jouissant de la sécurité. Voila ce qui s’est passédans un pays défenseur de la liberté, des droits de l’Homme, et de la démocratiedans le monde. L’Angleterre a suivi le même exemple lors de l’attentat de Londres. Oui, Monsieur le Premier Ministre,nous ne sommes ni l’Amérique, ni l’Angleterre, mais on peut au moins s’inspirer de leurs expériences et de celles desautres.

Cela dit, on doit aussi se demander quel était le rôle de l’acteur principal, à savoir le citoyen tunisien, au cours des événements de ces derniers mois. Il est clair que nos concitoyens n’ont pas encore compris que la démocratie et la liberté impliquent des devoirs et des sacrifices.

A ce sujet, aucun effort d’éducation n’a été investi par le gouvernement, les partis politiques, ou même les associations, en vue d’inciter le citoyen à respecter les lois du pays, et à remplir ses devoirs vis-à-vis de l’Etat. On a continué comme dans le passé à exiger tout du gouvernement, en l’accusant en même temps de toutes les défaillances. Il s’agit d’un dossier sérieux qui exige une campagne de conscientisation dans tout le pays, avec l’aide des médias, des associations de la société civile, des écoles et des Imams. Une telle campagne doit faire l’objet d’une stratégie précise et d’une évaluation continue.

Il faut ainsi tout faire pourconvaincre chaque citoyen que la sécurité du pays ne sera acquise que si on est conscient de nos devoirs, dans un esprit d’unité et de solidarité, où la priorité est toujours donnée aux plus démunis. Comme l’a dit Kennedy, "Avant de vous demander ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays".

Salah Bourjini
(Ancien Représentant/Résident des N. Unies)