Mohamed Larbi Bouguerra: Résister…résister encore... résister toujours
Rendant compte du massacre perpétré à El Kantaoui, plus d’un quotidien londonien affichent en première page ce samedi 27 juin 2015, cet énorme titre : «Il riait en tirant».
Il riait à la perspective d’un aller direct pour un paradis plein de houris, en ce deuxième vendredi du mois sacré de ramadan? Rire animal en fait, rire d’un individu qu’on a lobotomisé, un individu sans encéphale, n’ayant plus qu’une colonne vertébrale commandant son doigt sur la gâchette. De manière primale. Rire d’un lâche qui s’en prend à des femmes et des hommes sans la moindre défense.
Spinoza enseignait : «Ni rire ni pleurer mais comprendre».
Nous sommes meurtris et révoltés face à ce bain de sang, cette quarantaine de morts, nos hôtes, des amoureux de notre pays. Certains y venaient depuis plusieurs années ; ils avaient pris des habitudes et noué des amitiés. Nous sommes meurtris face à ce coup lâche porté à une industrie qui nourrit tant de Tunisiens. Nous sommes meurtris face à ce vendredi noir qui frappe notre pays, après les dix-huit morts de l’accident de train au Fahs, le 16 juin dernier.
Nous sommes meurtris mais déterminés. Déterminés à résister à ces barbares qui veulent instituer «le califat» de l’Indonésie à la Mauritanie sous le commandement d’al Baghdadi, et à partir de Mossoul qui a été un haut lieu de la culture. Mossoul aujourd’hui gémit, écrasé sous la botte de la Hisbah, la police religieuse et où sévissent la pénurie et l’arbitraire. Mais savent-ils, ces barbares, que si le pouvoir et la culture de l’Islam ont dominé pendant certaines périodes historiques, c’est en tolérant le savant juif Maïmonide, le poète chrétien Al Akhtal et une très large palette de philosophes et de penseurs originaux tels Ibn Sina, Ibn Rochd, al Maâri…et non en coupant les têtes ou en voilant les femmes? Hélas, par la cruauté et l’ignorance de ces gens, on écrit aujourd’hui : «La traînée de sang que laisse derrière lui l’intégrisme armé remplit d’horreur et incite à la réaction la plus énergique» (Laurent Joffrin, Libération, 27-28 juin 2015, p. 3). Ainsi, par la faute de ces barbares incultes, quiconque se réclame de la culture arabo-musulmane est actuellement partout stigmatisé, traité de «cinquième colonne» et regardé avec suspicion.
Nous sommes déterminés à mobiliser toutes les énergies pour lutter contre le terrorisme: il nous faut assurer la protection des Tunisiens et des touristes, surveiller ces lobotomisés, être sur le qui-vive. Le gouvernement doit augmenter les moyens de la police et de l’armée, arrêter et châtier légalement les complices, exercer toute la force de la loi comme rétorsion légitime contre ces lâches sanguinaires et leurs maîtres à penser.
Notre gouvernement doit s’armer d’audace et s’aligner sur Confucius quand il dit : «Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui voulaient le contraire et l’immense majorité de ceux qui ne veulent rien faire».
Assez d’hésitation. Assez de calculs face à ceux qui publiquement éructent des slogans et des mots d’ordre salafistes, takfiristes et considèrent que la démocratie et la Constitution sont des abominations. Quant à notre société civile —et à la communauté nationale en général—, elle doit surtout préserver l’unité nationale, notre bien le plus précieux, notre talisman pour mettre en déroute les prêcheurs de haine et les assassins. Elle doit abandonner la nonchalance et le laisser-aller. «Je hais les indifférents écrivait Gramsci en février 1917. Un homme ne peut vivre véritablement sans être un citoyen et sans résister. L’indifférence, c’est l’aboulie, le parasitisme et la lâcheté, non la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents. L’indifférence est le poids mort de l’histoire».
Sus à l’indifférence ! Sus à l’irresponsabilité ! Soyons citoyens et résistons!
Que de fois avons-nous vu des passagers, des sacs, des valises…passer comme une lettre à la poste, alors que les portiques magnétiques sonnaient et que la lumière rouge flashait ! Il faut que tous comprennent que nous sommes en guerre et que la patrie est en danger. Guerre à distance aussi menée par certains pouvoirs que la démarche démocratique de notre pays révulse.
La discipline, l’ordre, la rigueur, le respect de l’Etat et de la loi sur la route, à l’aéroport, dans les lieux publics, face au représentant de l’Etat, doivent s’exercer sans faille aucune. Car si Mossoul aujourd’hui gémit, c’est que cette ville maintenant «cadenassée et quasiment coupée du monde» par l’EI «était depuis longtemps à la dérive, gangrenée par la corruption, minée par les conflits…, jamais vraiment réorganisée après la chute de Saddam Hussein et du régime baasiste» (Lire Allan Kaval, le Magazine du Monde, 27 juin 2015, p. 33-38).
Résister, résister encore, résister toujours devant la barbarie et l’intolérance, résister par l’union nationale, la discipline et le respect de la loi.
Tel est le mot d’ordre de la Tunisie du 14 janvier car, comme le disait en 1973 le compositeur-chanteur-poète Léo Ferré, «Les microbes de la connerie que vous n’aurez pas manqué de nous léguer, montant de vos fumures….Soyez tranquilles ! Nous avons déjà des machines pour les révoquer». (*)
M.L.B.
(*)Cité par Pascal Boniface in « Les pompiers pyromanes. Ces experts qui alimentent l’antisémitisme et l’islamophobie », Max Milo éditeur, Paris, 2015.
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