Qui sont ces femmes pilotes de chasse de l'armée tunisienne
On lui doit un réel hommage ! Célébrant ce 15 juin son 50e anniversaire, l’Armée de l'Air tunisienne affiche un palmarès riche en trophées.En exclusivité, un reportage inédit sur les femmes pilotes de chasse et de transport.
Dorra et Olfa font partie de ces femmes tunisiennes d’exception. Toutes deux sont pilotes militaires, la première d’hélicoptère et la seconde de transport. Elles font partie de cette quarantaine d’autres femmes pilotes qui, au sein de l’armée de l’air, assument avec compétence et grand dévouement des missions de premier plan. Elles font honneur à la Tunisie. Défendre la patrie, s’attaquer à l’ennemi, traquer les terroristes, surveiller les côtes maritimes, évacuer des blessés et malades en situation délicate, acheminer troupes et équipements, elles bravent les conditions météorologiques les plus difficiles, esquivent les tirs ennemis et réussissent leurs objectifs.
En grande exclusivité pour Leaders, elles ont été autorisées à répondre à nos questions et se laisser prendre en photo. Pour la première fois, le ministère de la Défense l’a permis à une équipe journalistique. Un évènement exceptionnel oblige : la commémoration, ce 15 juin, du cinquantième anniversaire de l’Armée de l’air tunisienne. A quelques jours de la célébration du 59e anniversaire de l’Armée nationale. Reportage.
Glissée dans sa combinaison, montée à bord de son hélicoptère, sanglée dans son siège, le casque sur la tête, connectée à la radio et les mains sur les manettes, Dorra est une autre femme. Elle ne pilote pas l’appareil, elle en fait partie, l’habite et le maîtrise. De très fortes sensations lors des vols tactiques qui exigent une grande concentration.
L’hélicoptère a l’avantage d’épouser les formes du relief, montagnes, forêts et côtes, de descendre très bas et d’entreprendre des actions très percutantes. Armé de fusils à balles 12.7, le tireur qui l’accompagne suit attentivement ses instructions et ouvre le feu. Echapper à l’ennemi et lui tirer dessus: une lourde responsabilité assumée en toutes circonstances, avec succès et le sens du devoir à accomplir.
Avant chaque opération, la préparation est rigoureuse. L’étude de la cible, sa localisation, le contexte général, l’environnement précis, la météo, les contraintes et les enjeux sont passés au peigne fin. Rien n’est laissé à l’improvisation, les instructions sont claires. Dès le décollage, le suivi à partir du centre de commandement est attentif. En fonction de la situation observée sur la zone d’intervention, des ajustements peuvent être apportés. La décision finale appartiendra en bout de chaîne au pilote lui-même. Il apprécie mieux le contexte et décide. Dorra n’hésite pas à le faire, en toute sérénité. Elle asusre et assume.
«J’avais ça dans la tête»!
Si vous rencontrez en ville cette mère de deux enfants, vous ne douteriez guère de sa capacité guerrière. Une femme normale, cultivée, accueillante, l’allure sportive et les cheveux bien coiffés. Ses deux filles l’adorent et l’admirent, comme elle le voit dans leurs yeux. Elles en sont fières et suivraient peut-être ses pas.
Comment en est-elle arrivée au cockpit de l’hélicoptère militaire? Toute une saga. Fille de militaire, cette femme pilote, habitant au Bardo, a toujours baigné dans cet univers. Depuis sa prime enfance, l’uniforme la séduisait. «J’avais ça dans la tête, confie-t-elle à Leaders, mais je ne savais pas par où commencer. Le bac décroché avec une bonne moyenne lui ouvrit la voie, après une sélection rigoureuse, de l’Ecole préparatoire à l’Académie militaire (Epam). Mais, ce n’était que le premier pas. En classes préparatoires, l’idée de l’aviation lui tournait dans la tête. Elle en fera son objectif et devait, pour y accéder, exceller dans toutes les disciplines, réussissant tous les examens et tous les tests». Dorra sera sélectionnée pour faire partie de la première promotion de femmes pilotes au sein de l’Armée de l’air et ira se spécialiser à l’Ecole de Borj El Amri. Le parcours est long, il faudrait obtenir la licence de pilote de ligne, les brevets militaires successifs, avant d’être affecté dans une unité opérationnelle.
Trois ans après, elle sera commandant de bord, mais cela ne lui suffisait pas. Parallèlement, elle suivra le cours de capitaine pour accéder à ce grade. Puis, l’expérience acquise, elle sera qualifiée en tant qu’instructeur.
Est-ce difficile de prendre la décision d’ouvrir le feu sur un ennemi? «Difficile, non, nous répond-elle avec détermination. Il faut prendre en compte tous les facteurs décisifs. Nous sommes bien entraînés aux techniques opérationnelles et tactiques, et bénéficions de briefings précis et de procédures à appliquer.Il y a toujours une décision à prendre, la dernière m’appartient, sans hésitation possible».
«Toujours prête à intervenir et assurer»
Olfa est lieutenant, pilote de transport. Au sein de l’armée, le transport aérien assure une mission logistique et d’appui de grande importance. Des petits appareils à l’Hercule C130, ces avions militaires sont en état d’alerte permanent, comme les hélicoptères et autres appareils de chasse, pouvant décoller à chaque instant jour et nuit, sur ordre du commandement. A bord de son appareil L410, Olfa achemine troupes, équipements, armements et munitions. Mais aussi, en cas d’inondations et autres sinistres, ce sont des médicaments, produits alimentaires, couvertures et autres nécessités de secours et d’urgence qu’elle livre. Elle intervient également pour évacuer blessés et malades en situation très difficile.
«Je n’oublierai jamais cette jeune maman enceinte arrivée à terme qui sombre dans une dangereuse complication, confie-t-elle à Leaders. Il fallait l’évacuer du Sud tunisien vers un service hospitalier spécialisé à Sfax. Chaque minute comptait, c’était une question de vie ou de mort pour la maman, comme pour son bébé. Vous ne pouvez pas imaginer mon bonheur et celui de mon commandement lorsque tout s’est bien passé et le bébé a poussé son premier cri, sain et sauf»!
Olfa aussi était prise dès sa jeunesse par la passion de l’armée. Cette femme pilote vivant à Tunis a une grande admiration pour son père. Instituteur, son rêve était d’embrasser la carrière militaire pour servir le drapeau national. Qu’à cela ne tienne : sa fille le réalisera à sa place. Olfa suivra le même parcours que Dorra. Bac maths avec mention, elle sera admise à l’Epam de Sfax, puis ira à Borj El Amri où elle obtiendra sa licence IFR et autres brevets et qualifications pour les avions de transport. Et la voilà voler, se donnant des ailes pour la patrie.
«Du pur bonheur !»
Toutes deux sont bien entraînées, chacune dans sa spécialité, dans des exercices qui poussent à étendre les limites. Elles apprennent à combiner à la fois la sécurité du vol, l’atteinte de l’objectif désigné et à préserver les vies humaines. La grande contrainte est souvent la météo difficile et l’urgence de l’opération. Mais, elles savent s’y faire. «L’appui permanent de nos instructeurs est précieux, tout comme les encouragements de notre commandement», affirment-elles en guise de gratitude.
Dorra et Olfa nous confient qu’elles s’accomplissent pleinement dans leurs uniformes. «Nous n’avons aucun mérite particulier, autre que celui de servir la patrie parmi tous ces hommes et femmes au sein de l’Armée», disent-elles. Leur grand bonheur, c’est lorsqu’elles atterrissent, arrêtent le moteur et descendent après une mission réussie! «C’est du pur bonheur!», nous assurent-elles d’une même voix, avant de repartir chacune vers son avion.
Taoufik Habaieb
Photos Mohamed Hammi/Leaders