Opinions - 20.05.2015

Schizophrénie diplomatique

Schizophrénie diplomatique

Depuis 2011, le prestige de la Tunisie ne cesse de se dégrader. Alors que les options diplomatiques tunisiennes étaient claires et cohérentes, celles-ci sont devenues floues et ambigües autant qu’imprévisibles et versatiles. Dans un domaine où les erreurs et les bévues se paient très cher, les autorités de la Tunisie ne cessent d’accumuler les gaffes diplomatiques et les cafouillages dans la conduite de la politique étrangère, affaiblissant du même coup sa position au sein de la société internationale. La Tunisie était l’un des chefs de file du nationalisme arabe et dans nombre de domaines elle était citée comme exemple. Actuellement on ne sait plus si on peut toujours se fier à ses positions tant elles sont en contradiction avec la ligne directrice jusqu’alors suivie et les idéaux de modernité.

La conjoncture n’aidant pas, la diplomatie tunisienne est devenue incohérente et des erreurs élémentaires sont commises par ceux qui n’y ont pas droit. La Libye semble aussi avoir une mauvaise influence sur la politique étrangère tunisienne et noircir son karma.

Nous passerons sur les erreurs des premiers jours post-rébellion telles que l’affaire Baghdadi Mahmoudi qui a vu le pays violer toutes les conventions qu’il a signées se rapportant aux droits de l’homme et au droit diplomatique et consulaire, comme les règles du droit d’asile, ainsi que sur les bourdes inexcusables du Président Moncef Marzouki et des divers gouvernements, telle que la rupture des relations diplomatiques avec la Syrie. Les autorités Tunisiennes ne savaient-elles pas que la rupture de relations diplomatiques avec un Etat étranger était un acte des plus graves dans le droit diplomatique et consulaire ? On se le demande encore ! Il est impérieux de signaler que la rupture des relations diplomatique n'intervient qu'en dernier ressort. Cette rupture ne pourrait résulter que d'un différend lorsque celui-ci comporte une gravité telle que toute mesure était insuffisante pour le règlement. C’est ce qui ressort des dispositions de la convention de Vienne de 1961 dans son article 3.
Ces derniers temps, les choses semblent empirer avec le ministre des affaires étrangère actuel. Toute la politique étrangère tunisienne semble aller à la dérive. Empreinte d’ambiguïté elle ne dispose d’aucune ligne de conduite générale ni d’une quelconque cohérence.

Les affaires sont réglées par à-coups successifs, de manière empirique. En ces temps de crise, le blason de la Tunisie semble terni par des apprentis de la dernière heure et aucune mesure n’a été adoptée en vue de consolider la souveraineté tunisienne en proie à des querelles intestines au sommet.
 
Il faut souligner l’absence de position ferme à l’encontre de la Libye. Un Etat voyou qui domine et gène notre voisinage et que l’on traine comme un poids encombrant dans le sillage de notre histoire passée et présente. La Tunisie entretient des relations diplomatiques avec deux gouvernements libyens, celui officiel et basé à Tobrouk et la milice armée sise à Tripoli. Du coté tunisien, on explique cette position par un souci sécuritaire sans avancer d’argumentation convaincante. La Tunisie a reconnu le gouvernement officiel de Tobrouk en même temps que l’ensemble de la communauté internationale. Mais par la suite, ces dernières semaines elle a aussi intensifié sa diplomatie avec les groupes armés de Tripoli. Pour ce faire, la Tunisie a réactivé son consulat à Tripoli. Ainsi la Tunisie s’est-elle trouvée assise entre deux chaises. Or quand on est assis entre deux chaises c’est qu’on est assis par terre. Et c’est le cas de notre pays qui veut ménager la chèvre et le chou. Mais cette position provoque la susceptibilité du gouvernement officiel car en fait pour ce dernier la position tunisienne révèle non pas une intention de neutralité mais plutôt une acceptation de la partition toujours possible de la Libye. Ce qui est mal perçu à raison par le gouvernement officiel libyen et qui serait une erreur stratégique.
 
S’ajoute à cela le manque de coordination entre la Présidence de la République et le Ministère des affaires étrangères et l’affichage en place publique des contradictions entre les deux services. Le ministre semble confondre ses positions personnelles avec les devoirs de sa charge et croit pouvoir fixer en toute indépendance la politique internationale du pays.
Le Ministre des affaires étrangères affirme des prises de positions qui engagent le pays sans en référer en haut lieu et le Chef de l’Etat ne se prive pas de l’opportunité de clouer au pilori son ministre et de le désavouer devant des millions de téléspectateurs, donnant une piètre image de la gestion de la ‘’Chose Publique’’. (Voir la déclaration du 3 avril 2015 sur France 24).

En février dernier, le même ministre avait déclaré que la Tunisie serait diplomatiquement représentée en Libye par deux consulats. Une affirmation qui a été interprétée comme une reconnaissance des deux pouvoirs actuellement en conflit en Libye, l’un à Tobrouk (reconnu par la communauté internationale) et l’autre à Tripoli. Cette déclaration avait rapidement suscité la colère du gouvernement de Tobrouk dont le porte-parole a déclaré que “La diplomatie tunisienne devra accorder ses violons pour une action plus cohérente. La Tunisie ne devra ménager aucun effort dans sa lutte contre le terrorisme et, dans ce cadre, des révisions de sa diplomatie sont évidemment à l'ordre du jour”. En avril dernier, il avait mis les pieds dans le plat avec la Turquie, l’accusant ouvertement d'encourager le terrorisme. Par deux fois la Tunisie s’est vue rappelée à l’ordre en raison de ses positions irrationnelles.
Aucune ligne de conduite n’est envisagée concernant la mort des deux journalistes tunisiens. Un diplomate et un employé de l'ambassade tunisienne à Tripoli avaient déjà été détenus en 2014 pendant plusieurs mois par une milice libyenne avant d'être libérés. L’incident était passé presque inaperçu alors qu’il y avait violation de la Convention de Vienne de 1961 relative aux relations diplomatiques.

La Tunisie manque à tous ses devoirs consulaires tels qu’affirmés dans la convention de Vienne de 1963 relative aux relations consulaires, à savoir protéger ses ressortissants résidant en territoires étrangers. A quoi cela sert-il d’avoir des consulats si ceux-ci n’assument pas les devoirs de leur charge et assurent la sécurité des Tunisiens résidant et travaillant en Libye. Ce n’est pas une faveur mais un devoir de l’Etat.

Depuis l'été 2014, à mesure que la Libye basculait dans le chaos, la Tunisie a appelé à plusieurs reprises ses dizaines de milliers de ressortissants à quitter ce pays. Mais en fait aucune mesure n’a été prise par l’Etat tunisien pour le rapatriement des ressortissants tunisiens ni pour leur accueil sur le territoire national. En fait la Tunisie n’a pas les moyens matériels pour assumer et assurer le séjour de ces personnes ni pour leur emploi. Appeler les ressortissants tunisiens à quitter ce pays cela veut dire rejoindre la Tunisie pas leurs propres moyens à leur risques et périls et qu’ils se débrouillent une fois en Tunisie ce qui est scandaleux pour un Etat vis-à-vis de ses ressortissants.
Aujourd’hui la Tunisie fait face à un kidnapping massif des Tunisiens en Libye puisque, en fait, c’est toute la colonie tunisienne qui est menacée par les islamistes soit des milliers de nos concitoyens. Le secrétaire d’Etat aux affaires arabes et africaines a essayé de minimiser la prise en otage des 172 ressortissants tunisiens en représailles de l’arrestation d’un chef de milice libyen le 14 mai lors de son passage à l’aéroport de Tunis-Carthage. "On va tenter et faire les efforts pour résoudre ce problème au niveau politique. Je suis optimiste. Au ministère des Affaires étrangères, il y a un suivi de près matin et soir. Je serai chargé de ce dossier", a déclaré à la radio Shems-Fm le secrétaire d'Etat chargé des Affaires arabes et africaines après l'arrestation d'au moins 172 Tunisiens. Pour ce monsieur cela semble une affaire politique banale. ‘’Tenter’’, ‘’faire les efforts’’, on estompe le gravité de l’atteinte et le camouflet diplomatique subi.
Force est de constater que la chancellerie tunisienne brille par son incompétence et son ignorance du B A BA du droit international et du droit diplomatique et consulaire. Cela n’est d’ailleurs pas une surprise compte tenu du CV du ministre concerné.
Comment restaurer la confiance des touristes étrangers dans l’Etat tunisien quand celui-ci est incapable de protéger ses ressortissants alors que c’est son devoir et que sa population ne lui fait plus confiance.
Mardi 19 mai 2015
 Monji Ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis