Philippe Séguin : Révélations sur un père présumé
Et si Philippe Séguin était né d’un père juif de Tunis, Albert Hayat ? Partagé entre sa famille officielle, avec un père mort pour la France qui l’avait laissé orphelin, pupille de la nation, dans sa prime enfance, et cette ascendance, il avait gardé son secret avec lui. Dans un livre qui vient de paraître aux Editions du Moment sous le titre de Le Fils perdu de la République, Michel Taubmann nous révèle une version inédite. Bonnes feuilles.
La mère de Philippe Séguin, Denise Danièle, est issue, elle aussi, d’une famille de colons, arrivés plus récemment encore que les Séguin en Tunisie. Son père, Joseph Danièle, est venu de Nice à 28 ans, au début du XXe siècle. Il fut d’abord directeur du Crédit lyonnais à Sousse puis à Bizerte, avant de devenir agent d’affaires à Tunis. Son épouse, la mère de Denise, est née dans une famille d’entrepreneurs de travaux publics, les Nicolas.
Ils ont construit plusieurs immeubles dans le quartier juif de Tunis qu’on appelle le Passage. Denise et ses parents habitent dans l’un d’entre eux, au 44, avenue de Londres. Cette artère, rectiligne et fade, bordée de constructions modernes, faisant l’angle avec l’avenue de Madrid, reliait la ville arabe à la ville européenne. Elle longeait le vieux cimetière juif, contenant les tombes de trois saints vénérés, qui sera transformé après l’indépendance en grand jardin public. L’écrasante majorité des habitants de l’avenue de Londres étaient juifs, commerçants ou fonctionnaires modestes.
«Je ne connais pas de non-juifs habitant avenue de Londres à cette époque», témoigne Jean-Pierre Allali, auteur de plusieurs ouvrages sur les juifs tunisiens. Installée au 44, avenue de Londres, la famille «francaouie» de Denise faisait exception.
Née le 20 août 1920 à Sousse, Denise, fille unique de Joseph Danièle et d’Adèle Nicolas, fut toujours choyée par ses parents. Comme les filles Séguin, elle a étudié chez les sœurs à Notre-Dame de Sion. Sans diplôme à l’issue de sa scolarité, qui coïncide avec le début de la guerre, elle travaille comme vendeuse dans un magasin de lingerie féminine, où elle sympathise avec le gérant.
Un autre père au passé moins glorieux
Ce presque trentenaire, de haute taille, à la voix forte, est chaleureux et joyeux. Passionné de théâtre et connaissant par cœur les chansons de Charles Trenet et de Tino Rossi, ce jeune père de famille, de confession juive, n’est pas le plus fidèle des époux. Le grand sourire qui illumine son visage ne laisse pas les femmes indifférentes. Denise s’éprend de lui. Elle tombe enceinte en juillet 1942 d’un bébé qui sera Philippe Séguin. Le jeune commerçant juif est-il le père?
Beaucoup d’indices et de témoignages recueillis au cours d’une longue enquête nous incitent à l’affirmer. Les enfants de Philippe Séguin comme les descendants de son supposé père biologique ont refusé de confirmer cette paternité cachée. Mais ils ne l’ont pas non plus explicitement démentie. L’auteur respecte leur souci de discrétion. Mais il ne peut occulter ce secret de famille, très largement connu dans l’entourage de Philippe Séguin et qui ne relève pas uniquement de la vie privée.
«On ne peut rien comprendre à Philippe, explique un ancien ministre UMP, si on ignore à quel point il était coupé en deux. L’homme politique voulait incarner un patriotisme inspiré par l’exemple d’un père, Robert Séguin, mort au champ d’honneur. Mais l’homme privé souffrait d’avoir appris à l’âge adulte l’existence d’un autre père, moins glorieux.» Est-ce une volonté de semer des petits cailloux pour la postérité?
Dans ses Mémoires, Philippe Séguin écrit quelques lignes, dans le cadre d’une réflexion générale sur la cohabitation entre communautés, qui pourraient être interprétées comme une allusion à la situation de sa mère : «Rien ne faisait plus scandale dans la bonne société, écrit Philippe Séguin, que la rumeur d’une liaison, réelle ou supposée, d’une Française avec un juif - fût-il français - ou, pis encore, avec un Arabe.»
Plus qu’une rumeur
Pour le reste, les Mémoires de Philippe Séguin —les divers entretiens qu’il a accordés et les livres qui lui furent consacrés de son vivant— ne mettent jamais en doute sa filiation «officielle». «Je ne sais rien concernant le cas particulier de Philippe Séguin, confie Jean-Pierre Allali, historien du judaïsme tunisien, c’est une rumeur qui court depuis plusieurs décennies. C’est vrai, le père attribué à Philippe Séguin, bien connu dans la communauté, lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Pas seulement les traits du visage mais aussi la stature, la corpulence, la voix, grave et rauque, le rire, les expressions du visage. C’était très frappant. Est-ce vrai ? Je ne sais pas. Est-ce plausible ? Bien sûr. A cette époque, il y a eu des cas de substitution de père ou de mariages arrangés pour sauver l’honneur d’une jeune fille.» [...]
Il assiste à l’enterrement de son père biologique
Dans la nuit du 17 au 18 août [1995], à 2h45 très précisément, son père biologique, Albert Hayat, rend l’âme à son domicile personnel du 15, rue Auguste-Lançon, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Agé de 82 ans, Albert Hayat était malade depuis longtemps. Mais son état de santé s’est brutalement aggravé. Dans Paris déserté par les vacanciers, Albert Hayat est accompagné seulement par son épouse, Arlette, et un de ses fils, David, âgé de 57 ans.
Philippe Séguin, alors en vacances, revient à Paris. Un peu à l’écart du cortège, il suit l’enterrement d’Albert Hayat dans le carré juif d’un cimetière parisien. Sa présence ne passe pas inaperçue. Les participants à la cérémonie sont peu nombreux. Il est un personnage connu. Et certains membres ou amis de la famille comprennent alors le lien secret entre Albert Hayat et Philippe Séguin.
Le Fils perdu de la République,
par Michel Taubmann.
Editions du Moment, 305p., 19,95€.
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