News - 27.04.2015

GAFSA : La bénédiction de l’histoire et la malédiction du phosphate - Une feuille de route pour sauver le bassin minier

GAFSA : La bénédiction de l’histoire & la malédiction du phosphate - Une feuille de route pour sauver le bassin minier

GAFSA (ou CAPSA comme les Romains l’ont nommée), région antique, mythique et huit fois millénaire, fut le berceau de la civilisation humaine en Afrique. De tout emps et de toutes les ères, GAFSA a été une pièce maîtresse de la Tunisie. A ce propos, nous ne pouvons pas évoquer l’histoire  tunisienne contemporaine sans parler des enfants prodiges de GAFSA :

  • Ahmed TLILI & Houcine Ben KADDOUR fondateurs et dirigeants historiques de l’UGTT.
  • Lazhar CHRAITI commandant des Fellagas dans les montagnes de Orbat et Sidi Aich.
  • Fadhel KHALIL, Younes AZZOUZ & Ridha BEN ALI grands hommes d’état et bâtisseurs de la Tunisie moderne.
  • Mahmoud BEN NACEUR, premier cardiologue tunisien.
  • Mohamed GAMMOUDI, premier champion olympique tunisien.
  • Abou El Kacem Mohamed KERROU, poète, écrivain et historien Tunisien.

Cependant, le destin de cette si belle région nous rappelle sans cesse celui de SISYPHE dans la Grèce antique. Une peine éternelle semble être infligée à GAFSA : elle est condamnée à offrir les meilleurs de ses enfants et de ses richesses naturelles (Olives, pistaches, dattes, olives et phosphate) à la Tunisie et ceci est un devoir sacré et en aucun cas une faveur. Mais le pouvoir central a fait de Capsa une région outragée, brisée et martyrisée (1) à cause de son caractère inébranlable et rebelle.

GAFSA outragée, brisée et martyrisée(1)

De nos jours, le bassin minier de GAFSA est devenu, à la fois, une région moribonde et une véritable poudrière. C’est une catastrophe à quatre dimensions que vit actuellement le bassin.

Catastrophe économique

Depuis la découverte du phosphate par Monsieur  Philippe THOMAS, la Compagnie de Phosphate de GAFSA (CPG) ,ou la Cobbanya comme la nomme les gafsiens, constitue la pierre angulaire de l’activité économique du bassin minier. Il fut un temps, pas si lointain, où GAFSA fut la CPG et la CPG, GAFSA. Tout le monde y travaillait. La Cobbanya payait la consommation en eau et électricité de tous les foyers du bassin minier. Elle prenait en charge l’éducation des enfants des mineurs. Les bons de lait, d’El Aid et d’« El Hindam » furent les piliers de tout le commerce régional. Mais, rien n’est éternel. Hélas, les temps changent !!! La CPG ne peut plus embaucher autant de monde qu’avant. Et, comble d’horreur, concurrence mondiale oblige, la Cobbanya fut d’obligée d’adopter un plan de restructuration drastique.
Et le cauchemar commença !!!

Depuis plus d’un siècle, encore aujourd’hui (et je ne l’espère pas pour toujours !), l’économie de la région est tributaire de la CPG. Le tissu économique est rudimentaire. Et par voie de conséquence, le coup de la restructuration fut rude, très rude !!!
Il suffit de se promener dans les rues de Metlaoui, jadis appelée Petit Paris, pour se rendre compte de l’ampleur de la crise : chômage de masse, oisiveté de la jeunesse, des quartiers fantômes et des tentes de Sit-In partout, on sr croirait dans un camp de réfugiés…

Catastrophe écologique

L’industrie chimique, étant très gourmande en eau, les conséquences écologiques des activités de la Cobbanya et du Groupe Chimique Tunisien (GCT) sont incalculables.
Depuis l’entrée en service de l’usine de Mdhilla, toutes les sources d’eau des oasis de GAFSA, KSAR, LELLA & El GUETTAR ont tari. Les piscines romaines (Oued El Bey), ô combien célèbres!, sont à sec. Le même sort pour Ettarmil. La nappe phréatique est à son plus bas niveau historique. Les nombreuses laveries de phosphate ont pollué d’une manière irréversible l’eau de GAFSA.
Résultat : la production des pistaches, des dattes, des grenades à l’oasis de GAFSA est en chute libre depuis près de deux décennies. Certaines régions de GAFSA offrent aujourd’hui un véritable paysage lunaire. L’entrée en service de l’usine de Mdhilla 2, construite par les chinois, va probablement faire disparaître à jamais les oasis historiques de GAFSA, KSAR, LELLA & EL GUETTAR.

Catastrophe sanitaire

Tous les professeurs de médecine vous le diront, le trio : GAFSA-MDHILLA-GABES constitue le triangle de la mort en Tunisie. Dans cette région, on recense le taux le plus élevé de personnes atteintes de cancer (conséquence inhérente aux industries chimiques). Et pourtant, il n’y a aucun CHU dans cette région. Les patients sont obligés à se déplacer au moins 300 Km pour se faire soigner.

Catastrophe sociale : Divide ut regnes

En fondant la CPG, les ingénieurs et ouvriers français ont importé avec eux le modèle syndical français. Les ouvriers gafsiens ont hérité cette tradition syndicale. Et le bassin minier fut toujours un bastion de l’UGTT et un foyer de mouvements sociaux. Après l’indépendance, et afin de réduire à néant tout souffle de contestation, l’état a attisé les rivalités tribales (Diviser pour régner) : des quotas pour chaque tribu au sein de la Cobbanya, un quartier pour chaque tribu… Bref, des pratiques du moyen-âge…
Et malheureusement, la crise économique, que connaît la région, a amplifié ces phénomènes dramatiques. C’est le règne de la xénophobie, de la haine, de l’envie et du fameux  « l’enfer, c’est l’autre »…

Le Prométhée Libéré : La feuille de route pour sauver la région de GAFSA

Cette fabuleuse odyssée gafsienne nous met devant une évidence d’une clarté aveuglante. Le destin de GAFSA ressemble à celui de Prométhée. GAFSA est à la Tunisie, ce que Prométhée est à l’humanité.
Le pouvoir central à Tunis a toujours redouté GAFSA comme ZEUS redoutait Prométhée.

Cependant, la mythologie grecque dit que ZEUS a accordé sa clémence à Prométhée pour l’avoir averti de ne pas épouser Thétis. A ce propos, j’ai la conviction ferme et inébranlable que la deuxième république viendra au secours de cette région mythique parce que c’est sur les terres de Capsa que notre armée nationale a éradiqué le terroriste le plus dangereux, le tristement célèbre Lokman Abou Sakhr.
Voici, ma modeste contribution, une feuille de route en quatre points pour sauver le bassin minier. Ces mesures ne couteront absolument rien au contribuable national. Nous pouvons les financer avec 20% des revenus du phosphate.

Désenclaver GAFSA

En visitant GAFSA, un seul constat s’impose. Toute l’infrastructure existante (routes, chemins de fer, hôpitaux) a été réalisée par les autorités françaises (1881-1956) et américaines (Plan US Aid, Doualy, 1958-1965). Cette infrastructure se trouve aujourd’hui dans un état vétuste. Et par voie de conséquence, aucun investisseur n’acceptera d’investir à GAFSA dans l’état actuel des choses.
Il est alors urgent de :

  • Raccorder GAFSA au réseau national des autoroutes.
  • Moderniser le réseau des chemins de fer dans la région.
  • Faire renaître l’aéroport de GAFSA-KSAR de ses cendres et le transformer en hub pour les vols vers l’Afrique Subsaharienne. GAFSA ne fut-elle pas jadis le point de départ des caravanes vers BAMAKO & OUAGADOUGOU ? A ce propos, il est clair que le salut économique de la Tunisie viendra essentiellement de l’AFRIQUE.

Améliorer la qualité de vie du bassin minier
Au début du 20ème siècle, afin d’encourager les ingénieurs des ponts & chaussées et des mines de Paris à s’installer dans la région de GAFSA, les autorités coloniales n’ont pas lésiné sur les moyens. A MDHILLA, METLAOUI, REDEYEF & MOULARES, on trouvait des économats, des salles de fêtes, des cinémas, des conservatoires de musique… On venait même fêter le 14 Juillet à METLAOUI !!!
De nos jours, il est indéniable qu’assurer une qualité de vie décente aux habitants du bassin minier et bien exploiter la richesse nationale du phosphate vont de pair.
Le minimum syndical exigé se résume en trois points:

  • L’ouverture immédiate d’un CHU dans le bassin minier.
  • L’installation d’un complexe sportif dans chacune des  quatre villes minières.
  • Multiplier les espaces verts afin de lutter contre la désertification et la pollution inhérente à l’industrie chimique.

Combattre la corruption, le népotisme & le favoritisme qui rongent la Cobbanya : Nous méritons ce qui nous arrive !!!

Nous ne pouvons pas exiger un traitement juste et équitable de la part du gouvernement central alors que nous, habitants de GAFSA, avons  institutionnalisé la corruption, le népotisme et le favoritisme.
Est-il normal qu’au 21ème siècle l’embauche au sein d’une grande entreprise publique se fasse sur base d’appartenance tribale et non sur la méritocratie ?

Diversifier le tissu économique du bassin minier

Aujourd’hui, il est hors de question que la région du bassin minier demeure tributaire de l’industrie du phosphate. Il est impératif de mettre un terme à ce système économique rudimentaire. Une priorité absolue doit être accordée à trois secteurs très porteurs :

  • L’agriculture oasienne
    GAFSA fut toujours connue pour être une région d’oasis montagneuses.
    Mon grand-père me racontait que lorsqu’il était petit, les agriculteurs gafsiens produisaient les meilleures pistaches, grenades et figues de la région et les exportaient vers l’Algérie & la Libye. Malheureusement, avec le temps, on a délaissé ce secteur stratégique, et on a tout misé sur le phosphate…Cependant, il suffit de voir le dynamisme hors-norme de l’agriculture oasienne en Iran et au Sud algérien pour comprendre l’importance primordiale de ce secteur. Il est temps de revaloriser l’agriculture oasienne. A ce propos, il faut soutenir le travail effectué par l’association de sauvegarde de la médina de Gafsa qui a toujours misé sur l’Oasis de Gafsa…
     
  • Le secteur industriel à forte valeur ajoutée
    La région de GAFSA, comme toute la Tunisie, regorge de compétences scientifiques exceptionnelles (héritage de la politique de Habib BOURGUIBA, fondateur de la Tunisie moderne). Il suffit d’utiliser ce potentiel à bon escient pour réaliser des miracles. L’exemple de YAZAKI est édifiant. En effet, cette entreprise japonaise a misé sur la région de GAFSA depuis 2008. Et dernièrement, le centre YAZAKI GAFSA  fut récompensé pour la qualité de ses travaux…A bon entendeur !!!
     
  • Le tourisme culturel & Thermal
    Quand on parle de GAFSA, on évoque souvent les piscines romaines (Oued El Bey), l’Escargotière (les vestiges d’une présence humaine datant de 8000 ans), Ettarmil (Arabisation du terme latin thermæ),  El Borj (enceinte byzantine), Hermaîon à El GUETTAR (le plus vieux monument religieux au monde datant de 4000 ans), la mosquée SIDI SAHAB EL AOUKAT (la grande mosquée de GAFSA, la troisième plus ancienne mosquée d’Afrique après celle de Kairouan et du Caire)…Bref un héritage culturel  exceptionnel qu’il faut savoir utiliser…
    A ce propos, la crise économique actuelle que traverse la TUNISIE a mis en évidence les limites du tourisme de masse. Le moment n'et-il pas venu pour le faire évoluer vers le modèle haut de gamme, un tourisme culturel ? Gafsa sera l’un des fiefs en Tunisie de ce nouveau mode de tourisme.
    Dans ce même contexte, on ne peut pas parler de Gafsa sans évoquer Sidi Ahmed Zarroug et la qualité de ses eaux…Il est temps de valoriser cette localité et la transformer en une véritable station balnéaire…

Epilogue

"Gafsa détient la clé de la réussite du gouvernement Habib Essid "
Le sort du gouvernement actuel demeure hypothéqué et tributaire des évolutions de la situation dans le bassin minier de Gafsa. (2)En effet,  les gafsiens savent que la résolution de leur problème prendra des années, des longues années… Mais, ils n’attendent qu’un signe… Un signe fort du gouvernement : une véritable volonté politique pour résoudre ce problème une fois pour toute…
Une fois ce signal reçu, la machine de la Cobbanya se mettra de nouveau  en marche et l’économie tunisienne renaîtra de ses cendres…

Elyès Loungou
Etudiant à l’ESCP EUROPE BUSINESS SCHOOL, Campus de PARIS.

(1) inspirée de la célèbre formule du Général Charles DE GAULLE : Paris outragée, brisée et martyrisée mais Paris libérée.
(2) Inspirée d’une publication de Lakhdar SOUID, journaliste indépendant.