Opinions - 28.01.2010

Patriotisme : un nouveau souffle

Depuis quelque temps, la scène médiatique connait une vive polémique sur un thème récurrent, à savoir le patriotisme et son interaction avec l’identité nationale, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger, notamment en France où les médias en ont fait un sujet de prédilection surtout depuis un certain France-Algérie où l’hymne national français avait été hué par de jeunes immigrés. Cet évènement avait fait couler beaucoup d’encre et donné lieu à une vive polémique  sur le sens à donner au patriotisme et la nécessité d’ancrer l’amour de la patrie chez les jeunes Français issus de l’immigration.

En Tunisie, le problème se pose également, quoique d’une manière différente. La question est de savoir s’il faut approfondir le sentiment patriotique chez les jeunes, face au risque de déperdition de l’identité nationale que pourrait générer la mondialisation. Le patriotisme peut-il s'accommoder de la propension de certains individus à faire appel à l’étranger, pour s’ingérer dans les affaires internes, au risque de porter atteinte à la souveraineté du pays ?

Si certains pensent que le rôle des intellectuels a perdu de son importance depuis la disparition des régimes totalitaires, d’autres considèrent, au contraire, que l’intellectuel a encore un rôle à jouer pour redéfinir certaines notions telles que le patriotisme, la modernité et leur corrélation avec les constituants de l’identité nationale.

Approfondir la notion de patriotisme

En ce début de millénaire on assiste à un tiraillement entre deux courants, le courant mondialiste qui brandit l’étendard d’un monde uniforme où le mot nation n’a plus sa place, et le courant "souverainiste" qui tente, dans un ultime effort, de préserver l’identité nationale.

Quoi qu’il en soit, la Tunisie a besoin qu’un débat s’instaure dans le but d’approfondir la réflexion sur la notion de patriotisme et la nécessité d’adhérer à la mondialisation. Dans ce débat, une approche globale doit être suivie, incluant l’école, la famille, la société civile et les médias.

Nos jeunes devraient apprendre à saluer avec respect chaque matin le drapeau, à chanter l’hymne national, et à accomplir, dans le cadre d’organisations de jeunesse, des travaux de volontariat à l’intérieur du pays. Parallèlement, les programmes éducatifs devraient appuyer les cours d’éducation civique et approfondir certaines notions très importantes telles que l’amour de la patrie, l’appartenance à la civilisation arabo-musulmane -dont les premières caractéristiques sont la tolérance, l’entraide, le respect de la différence - et l’adhésion à la modernité en accord avec les éléments de notre identité.

Le principe le plus important à inculquer à nos jeunes est, sans aucun doute, de placer l’intérêt général du pays, son indépendance et sa souveraineté au dessus de tout.

Le danger des ingérences étrangères


L’histoire nous enseigne qu’à chaque fois qu’on a failli à ce principe, le pays a été livré aux étrangers. L’exemple du roi berbère Massinissa en est le plus significatif. Sa trahison s’est manifestée lorsqu’il a contribué à la capture par les Romains du roi Syphax, puis en se rangeant aux côtés de l’ennemi de Carthage, Scipion l’Africain, dans sa bataille contre Hannibal, provoquant ainsi la défaite de ce grand chef militaire devenu depuis la bataille de Zama en 202 av J-C, un symbole de la patrie.

Beaucoup plus tard, au XVIème siècle, le dernier sultan hafside Mohammad Abou el Hassan El Hafsi fut à l’origine de la trahison qui a causé l’invasion de la Tunisie par les Espagnols en 1535, entraînant par la même, la chute de la dynastie Hafside, le sac de la ville de Tunis et la mort de dizaines de milliers . L’occupation espagnole a duré une trentaine d’années et le pays ne fut libéré que grâce aux Ottomans sous l’égide de Sinan Pacha en 1574

Plus récemment au XIXème siècle les pays étrangers, en s’immisçant dans les affaires tunisiennes, contribuèrent à l’affaiblissement du pouvoir beylical, provoquant ainsi, avec la complicité du premier ministre Khaznadar, notamment, la banqueroute de l’Etat et, finalement l’instauration du protectorat en 1881.

Ces exemples prouvent que l’ingérence étrangère dans un pays peut causer d’énormes dégâts quant à l’intégrité de la patrie. Il est du devoir de l’intellectuel de mettre en garde contre ce genre de péril et de prévenir tout dérapage, en mettant l’accent sur la nécessité de développer chez les jeunes générations le sentiment national, notamment à travers la création artistique, ainsi qu’un enseignement bien ciblé et une formation adéquate.

Le cinéma Tunisien, par exemple, devrait traiter davantage ce problème plutôt que certains sujets ayant attrait à la sexualité ou autres, et qui ne reflètent, sans doute, qu’un côté marginal de la société tunisienne.

Beaucoup de créations littéraires peuvent inspirer le cinéma tunisien, pour ne citer que des œuvres d’inspiration historique comme Barg Ellil, Rahmana, la Kahena, Les cendres de Carthage, et bien d’autres ouvrages de valeur.

Le nationalisme en Tunisie trouve son fondement dans l’appartenance à la civilisation arabo-musulmane. Or pour certains savants musulmans, le patriotisme serait l`invention du libéralisme car la solidarité entre les membres de la grande nation des musulmans « El Oumma » dépasse le cadre étroit des frontières entre les différents pays musulmans. Pour eux, la seule nation qui puisse exister doit se ranger sous l’égide de l’islam, reniant ainsi la notion de patrie.

Cette interprétation n’est pas en harmonie avec certaines citations « Hadith » du prophète Mohamed qui, en s’adressant à la Mecque a dit : « Quel doux pays tu es ! Et comme tu es chère à mon âme, je ne t’aurais jamais quittée si les miens ne m’y avaient pas contraint ».

Dans d’autres circonstances, notre prophète a dit aussi : « Faites, mon Dieu, que nous aimions Médine autant que nous aimons La Mecque ou même plus ».

Ce patriotisme avoué par le prophète nous confirme dans l’idée que l’amour de la patrie considéré comme un principe du libéralisme est une obligation dans la religion musulmane, et comme le dit un dicton: « L’amour de la patrie est un acte de foi ».
Les enseignements à retenir sont multiples, à savoir tout d’abord, que le progrès d’un pays ne peut se réaliser que de l’intérieur, et par le moyen de ses forces vives; chaque fois qu’un pays étranger s’est immiscé dans les affaires de notre pays, le citoyen tunisien s'est trouvé marginalisé. On se souvient de l’impact négatif du Protectorat sur les agriculteurs Tunisiens à qui on avait arraché leurs terres pour les octroyer aux colons. Le refus du président Bourguiba de dédommager ces derniers lors de la nationalisation des terres en 1964 était une manière de protester contre les abus de la colonisation. N’a-t-il pas dit pour justifier son initiative : « Qu’ils s’estiment heureux qu’on ne leur ait pas demandé de dédommager les tunisiens de leur souffrance et de tous le mépris qu’on a affiché à leur égard ».

Il se trouve également que la colonisation française a impliqué les Tunisiens dans ses propres guerres. 65000 tunisiens ont été engagés sous le drapeau Français durant la première guerre mondiale. Ce chiffre est d’autant plus élevé que la population tunisienne ne dépassait pas à cette époque les 2 millions ; les soldats tunisiens constituaient avec les autres maghrébins la première ligne de front ; le sang maghrébin versé dans cette guerre valait moins cher que le sang français ; 45000 furent tués ou blessés.

Peut-on parler d'Oumma tunisienne?

Le deuxième enseignement à retenir est que notre appartenance méditerranéenne n’est pas antinomique avec notre personnalité arabo-musulmane, et qu’il est tout à fait possible de concilier les deux, vu notre position intermédiaire, à mi-chemin entre l’orient et l’occident.

L’idée de l’Etat-Nation que Bourguiba avait voulu ancrer dans les esprits, au début de l’indépendance, s’est révélée irréaliste car on ne peut pas parler d’une nation « Oumma » tunisienne mais d’une patrie, la Tunisie. Derrière l’idée du Président Bourguiba se cachaient deux motivations: la première c`est l’influence de la pensée française fondée sur le principe de l’Etat-nation, sur la formation de Bourguiba. La deuxième est le différend qui  opposait Bourguiba à Nasser, leader du nationalisme arabe ; notion que Bourguiba voulait ignorer allant jusqu’à dire que la Tunisie ne  faisait pas partie de la nation arabe au sens scientifique du terme, que notre lien avec le monde arabe faisait partie d’une histoire révolue et que nos intérêts se trouvaient avec l’occident ; Marseille est plus proche de nous que Bagdad, Damas ou Le Caire, et il est plus facile de traverser la Méditerranée que le Sahara Libyen.

Cette idée fut à l’origine du nom donné au parlement et aux différentes institutions du pays, On utilisait l'adjectif  "Quawmi" plutôt que "Watani". Même si les deux termes se traduisent par "nationale" en français,  la nuance entre les deux est de taille dans la langue arabe

Cette prise de position de Bourguiba a eu un impact sur l’adhésion de la Tunisie à la Ligue arabe qui n’eut lieu qu’en octobre 1958, alors que l’adhésion aux Nations Unies suivit immédiatement l’indépendance (octobre 1956).

Le processus de retour sur cette position a commencé timidement sous le président Bourguiba pour s'affirmer ouvertement après le 7 novembre 1987 qui a consacré la réconciliation de la Tunisie avec son identité et son appartenance arabo-islamique.
Le troisième enseignement important est que les prétentions des Tunisiens ne devraient pas dépasser les moyens dont dispose le pays.

En effet, certaines priorités se sont imposées pour faire face au fléau intégriste qui menaçait le Maghreb ; il fallait opter d’un côté pour la sécurité, et de l’autre combattre l’ignorance et la pauvreté dont se nourrit l’intégrisme.

Une fois ce défi surmonté, un autre s’impose, celui de la mondialisation, obligeant le pays à redoubler d’efforts pour réduire le chômage et la pauvreté, et éradiquer l’ignorance et l’obscurantisme, ce qui n’est pas une  tâche de tout repos.

Nous sommes à une étape de notre histoire où l’on a besoin d’être solidaires, de mettre l’intérêt du pays au dessus de tout le reste, et de renforcer le sentiment patriotique chez les jeunes qui représentent l’espoir de la Tunisie de faire partie des pays démocratiques et développés.

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5 Commentaires
Les Commentaires
Mohamed Tounsi - 29-01-2010 13:48

Je voudrais saluer Mître Adel Kaânich pour cette réflexion qui a le mérite de vouloir lancer un débat sur ce qu'il appelle le Patriotisme, incluant par là même l'analyse de plusieurs autres notions telles que le Nationalisme, l'Identité nationale en corrélation avec avec la mondialisation et la globalisation, la Modernité en rapport avec l''ancrage de l'identité et le positionnement de l'appartenance de la Tunisie en fonction d'une part de l'élément civilasionnel et d'autre part en fonction de son devenir et avenir. C’est un véritable chantier intellectuel qu'il faudrait entamer prudemment car il semé d'embuches. Mais c'est un chantier important et urgent pour nous Tunisiens dont une majeure partie est constituée de jeunes ardemment assoiffée de repères.

Prof. Hassen Chaari - 29-01-2010 14:48

Je partage entièrement le souci du Maître Adel Kaâniche de vouloir faire du Tunisien un meilleur patriote. Mais là où je ne suis pas d'accord avec lui c'est le fait de voiloir renforcer notre patriotisme en revenant sur des faits historiques et particulièrement sur le nationalidsme arabe qui nous a causé la pire défaite jamais encaissée par la Oumma arabe notamment celle de juin 1967. Ce dont nous avons réellement besoin est un patriotisme qui se projette en avant, notamment le patriotisme économique et la culture de création de richesses collective. Ceci fait du tunisien à terme un vrai ambassadeur miltant pour le bien et la prospérité de toute la nation, capable de servir autrui sans exiger pour autant une contre-valeur matérielle... Pr. Hassen Chaari

ERRBAI Hichem - 02-02-2010 14:38

Maitre KAANICHE ... nous arrose d'une belle prose interessante et sincerement agreable à lire avec des references oubliées voire même meconnues ( je l'avoue aussi ) ... mais lire ne veut pas dire épouser les intentions et la transformation par la pensées ! Je crois tres sincerement que notre jeunesse a plus besoin de travail, pour subvenir a ses besoins et se sentir affranchie de la tutelle des parents, famille, amis et etat ...( pour ceux qui bénéficient des aides ). Laissons le patriotisme de coté et ne " copions " pas sur ce qui se passe en France .. qui ne trouve guere d'echos que par la bouches de certains journalistes .. qui par ailleurs se demandent toujours ce qu'est l'identité nationale en France ( pour un peuple qui a connu des flux migratoires lourds et divers : qui est reellement aujourd'hui metissé non pas seulement par la couleur de la peau, mais par la diversité réèlle des origines de son peuple : Caraibes, Russes, polonais, italiens , et maghrebins pour l'esentiel ). Maitre KAANICHE, les jeunes tunisiens sont patriotes; ils aiment et respectent leur pays... La jeunesse est reconnaissante à Ben Ali de l'avoir conduit sans heurts ni crises à cette année 2010... d'autres pays doutent et s'interrogent economiquement et politiquement : J'ai été jeune egalement et né en 53, soit la veille de l'independance, bércé par Bourgiuuiba et Mendés France ... mais c'est Ben Ali qui a su donner à la Tunisie ses premières autorisations de sorties non accompagnées ( la democratie , comme un pére pour ses enfants ! )...et petit à petit l'oiseau fait son nid : nous irons vers cette democratie que même les grands de ce monde ont du mal a gérer ( croyez moi ce n'est pas un cadeau : mais quand on ne goûte pas a quelque chose elle fait toujours envie ! )... Nous savons grandir doucement et surement ..Les critiques sont là certes et on ne pourra empecher les critiques mais le bilan est plus que positif : nous avons reussi notre integration dans le monde avec nos petits moyens economiques a faibles ressources naturelles et industrielles. La Tunisie a su imposer par son etat d'esprit et la clairvoyance de son dirigeant sa volonté d'union : Je pense que sincerement Ben Ali aime le peuple et sa jeunesse et celle ci en dehors de toute complaisance politique aime Ben Ali. Que Ben Ali mette en oeuvre tous les moyens afin que la jeunesse trouve du travail ... qu'elle gagne sa vie .. et sa dignité ! La jeunesse n'attend que ca aujourd'hui, car Ben Ali a su mettre a sa disposition un climat social paisible, une économie qui se developpe. Le jeune tunisien veut se doter de ressources personnelles et se construire a son tour ... LE TRAVAIL demeure sa seule quête aujourd'hui même si les cafés demeurent remplis de jeunes : ils ne parlent que sport et de travail !!! L'obscurantisme nous est loin, ce ne sont pas quelques brebis galeuses par ci et par là qui font la jeunesse tunisienne .. ! Cher Maître je me permets avec humilité de vous raffraichir la memoire , la Tunisie ne s'est jamais mieux portée que depuis son orientation vers l'occident... et je poursuis avec maturité et tenant de l'histoire cette constat "triste certes mais il est là :: Arabes nous le sommes in fini ...Le tunisen est une mosaique de cultures d'origines et de sensibilités ... nous n'allons pas nous enfermer à nouveau dans une OUMMA ARABE comme par le passé ( 1967 ... la Libye ... La maghreb uni ... ) non desolé de vous contrarier soyez realiste et non pas demagogue ... vous connaissez des nations arabes unies et en accords à ce jour ? ... L'OUMMA ARABE a trouve son seul ACCORD pour ne JAMAIS être d'accord ! Dites merçi Bourguiba certes mais benissez Ben Ali .. franchement etant donné les difficultés géopolitiques et économiques qu'est ce qu'il est bon d'être tunisien aujourd'hui : ( les reperes degringolent et s'effacent peu à peu sur les autres continents, des plus democratiques et des plus developpés ! ) Enseignons sans retenue le passé, notre histroire et celle de nos racines à notre jeunesse ... marquons les au feu rouge de nos origines et de notre histoire ... Et permettez moi de citer "Voltaire" ( Le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin ! )... Et bien d'autres maux cher Maître... : OUI, donnons à notre jeunesse du TRAVAIL ! M.H.ERRBAI

Adly Bellagha - 03-02-2010 16:58

l'article de Me Kaaniche est très intéressant. Le patriotisme est l'ancrage de la population dans ses racines. Ce patriotisme a plusieurs variantes: économiques, identitaire ou de clocher. Cette dernière variante est très dangereuse et conduit au nationalisme primaire qui est à rejeter. Le tunisien, en général est fier de son pays et plus il en est éloigné plus son identité nationale est forte. Le patriotisme représente des valeurs qu'il faut non seulement préserver mais développer. la mondialisation ne peut être une perte d'identité, cette dernière doit être cultivée et de nombreux pays développent le patriotisme ne serait ce que les Etats-Unis où le salut au drapeau est obligatoire dans les écoles

Iadh Boubaker - 14-02-2010 22:11

J'ai 23 ans donc jeune et j'ai un avis à donner à propos de ce sujet. Je suis d'accord avec Maître Adel Kaaniche qu'il faut renforcer le sentiment de patriotisme chez les jeunes. Le Tunisien aime son pays, mais il sent parfois que cet amour n'est pas partagé. Même si je ne partage pas cet avis avec les jeunes puisque comme le dit un certain Kennedy " Demande ce que tu peux faire pour ton pays et non pas ce que ton pays peut faire pour toi " Je m'explique : On se sent plus fier de son pays si on en est bien traité et si on est considéré comme un citoyen de plein droit. Certes, la Tunisie est un pays qui se porte plutôt bien par rapport à ses moyens et que Ben Ali à la tête de toute l'élite Tunisienne n'ont cessé de servir notre pays avec fidélité et dévouement. Le bilan est plutôt positif, je suis d'accord, mais la critique est essentielle pour que notre cher pays puisse faire partie un jour des pays développés et démocratiques. L'orientation des jeunes à déverser tout leur sentiment d'appartenance et d'amour dans un club de foot est vraiment dangereuse pour l'unité nationale (régionalisme...). Cet amour remplace en quelque sorte l'amour du pays et c'est aux médias et aux dirigeants en place de remédier à ça. Oui, Monsieur Kaaniche : Renforcer le sentiment de patriotisme est le mot d'ordre en Tunisie

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