Éthique, Liberté et Responsabilité dans la société tunisienne d’aujourd’hui
La dictature est tombée le 14 janvier 2011. Cette date figurera dans les annales de l’histoire contemporaine de notre pays comme le point de départ d’une Liberté tant rêvée et enfin acquise. Le monde entier a tourné ses caméras vers ce petit pays, ce grand peuple qui a réussi un exploit jusque-là impossible. Quatre années se sont écoulées depuis. Une question mérite d’être posée. Où en est cette « Liberté » chèrement acquise ? Et, de qu’elle Liberté s’agit-il en réalité ? Ces femmes et hommes, jeunes et moins jeunes qui sont descendus dans les rues pour l’acclamer étaient-ils d’accord sur une définition commune? Le sont-ils aujourd’hui ? Est-ce au nom de cette liberté que les grèves s’enchaînent depuis 2011 détruisant les fondations déjà fragiles d’une économie en construction. Est-ce au nom de cette même liberté que les médias et leurs publics divers se lancent dans le lynchage de ceux qu’ils invitent sur leurs plateaux pour s’exprimer au nom de cette même « Liberté »? Est-ce au nom de cette liberté que les lois sont violées, la violence est tolérée, les hors la loi en liberté imposant leur diktat au nom d’une légitimité qui n’a de légitime que leur arbitraire ?
Oui, la liberté a peut-être été obtenue en 2011. Mais, je ne la vois nulle part en Tunisie. Il ne pourra y avoir de Liberté individuelles sans une éthique clairement définie et partagée par les individus et la société. La Liberté ne pourrait exister sans une conscience réelle des responsabilités individuelles. Seulement alors une nation libre et démocratique peut réellement amorcer sa construction.
Or en Tunisie, la « Liberté » acquise en 2011 ne s’est accompagnée ni de valeurs éthiques ni de sens des responsabilités. C’est là, á mon sens, une des raisons profondes du chaos social que nous observons aujourd’hui. Interrogé sur la définition de ce qu’une « bonne société » est Aristote répondit : «c’est une société où les citoyens ont une bonne vie». Mais qu’est-ce qu’une « bonne vie » alors peut-on se demander. ”C’est une société où la nature humaine (par opposition á la nature animale) gouverne” répondit Aristote. En d’autres termes, une société où les individus sont responsables de leurs actes, des conséquences de leurs agissements. Il ne suffit pas de craindre les lois extérieures qu’elles soient de nature sacrées ou séculaires et d’éviter de commettre des actions qui peuvent entrainer la punition et le châtiment. Il s’agit avant tout d’une réflexion et d’un dialogue interne que nous établissons avec notre conscience et notre âme avant de commette un acte, de faire un choix, de porter un jugement. C’est cette capacité á être conscient de la responsabilité de ses propres actes et leurs conséquences qui est á la base de toutes les libertés individuelles, de la Liberté tout court.
Insulter l’autre ou ne pas l’insulter. Jeter sa poubelle au coin de la rue ou ne pas le faire? Respecter l’avis de l’autre sans l’agresser verbalement ou physiquement. Aller travailler même dans les conditions difficiles pour construire un lendemain meilleur ou aller en grève pour d’exiger une augmentation quitte á détruire la source même de ses revenus? Ce sont là des choix éthiques simples qui relèvent de la vie quotidienne, qui sont á la base même de la notion de liberté qu’une large partie de la société tunisienne semble avoir perdu á l’échelle individuelle comme á l’échelle familiale, sociétale, politique et économique.
La Liberté est un exercice difficile qui ne peut exister sans l’éthique et la responsabilité. Le peuple tunisien a obtenu sa liberté en 2011. En sommes nous si sûrs ? En jouit- il aujourd’hui? Non. Non car la «Liberté » ne peut exister comme maillon libre. Elle ne peut être un but en soi. Elle ne s’exerce et ne s’épanouit que fortement attachée aux principes éthiques et á la responsabilité individuelle. Seulement alors on pourra parler de Liberté. Un oiseau ne peut voler sans ses deux ailes. Coupez en une et observez le résultat. Mutilez une partie de ses ailes et son envol ne sera plus le même.
Est-il trop tard pour sauver la Tunisie ? Non. Mais il faut agir vite. Identifier les valeurs et l’éthique que nous voulons défendre et les transmettre á nos enfants. Faire face á sa conscience et ses responsabilités. C’est un exercice individuel qui n’exige ni niveau scolaire, ni classe sociale. Il peut se faire á tout moment et á n’importe quel moment. Mais il demande du courage, de la retenue et de la discipline. Seulement alors, la Liberté aura un sens en Tunisie.
Hager Jemli
Tunisienne basée à Oslo-Norvège
Executive MBA ESCP-BI en Leadership et Strategie Management.
Consultante et formatrice en commerce interculturel. Scandinavie-MENA.