News - 03.12.2014

Marzouki et les femmes de Guebellat invitées à Carthage: Coup de cœur, coup de com ?

Moncef Marzouki reste hanté par ce qui peut lui arriver. Depuis l’arrestation de Morsi, il en fait des cauchemars et essaye de trouver des ressorts pour rebondir. «Je me dis que je pourrais fort bien retrouver l’âpre exil, redevenir le reclus assiégé par la haine nauséabonde, écrit-il à Gilbert Naccache en réponse à une lettre ouverte que ce dernier a adressée aux deux finalistes. Pire, poursuit-il, je pourrais finir dans une cellule comme Morsi, les grands démocrates et les non moins grands réconciliateurs nationaux me promettant des procès vengeurs (espérons que ce ne sera pas au titre d’intelligence avec Hamas et autres terroristes fictifs). Mais je suis certain d’une chose. Il me suffirait dans ces cas de me remémorer les yeux émerveillés de cette femme dont j’ai réalisé le modeste rêve pour retrouver une immense paix intérieure. Je me dirai alors : je n’ai échoué qu’à la marge, j’ai réussi l’essentiel». 

Ce texte, Marzouki, soucieux de soigner son image à la veille du deuxième tour des élections présidentielles, a trouvé le temps de le rédiger sur pas moins de trois pages et l’a posté sur sa page FB, pour répondre aux interpellations de Naccache. 

Le président provisoire, qui se veut chantre des droits de l’homme et proche des Tunisiens «d’en bas» y évoque particulièrement le cas d’humbles femmes de Goubellat, rencontrées dans les champs et invitées à sa table à Carthage. Intimidées, certaines n’ont pas mangé, surtout qu’elles ne connaissaient pas les crevettes. Une autre s'est contentée de regarder la mer qu’elle voit pour la première fois. Un récit dont se sert Marzouki pour sa campagne.
 
«Permets-moi de te dire que ces trois dernières années je n’ai cessé de sillonner le pays y compris ses régions les plus reculées.
 
J’ai aussi reçu à déjeuner tous les vendredis, des centaines de citoyens des quartiers populaires de Tunis, des villes et des villages de l’intérieur ainsi que les associations travaillant sur le terrain.
 
Pour la petite histoire, il y a eu quelques couacs au début. Des citoyens intimidés repartaient sans avoir rien mangé. Comment faire avec ces crevettes qu’ils ne connaissaient pas ? C’est quoi ces plats inconnus et bizarres ? Que faire des rince-doigts (certains en ont bu).
 
J’ai piqué une de mes rares colères avec la gouvernante (une professionnelle attentive et méticuleuse). J’ai exigé des menus de chez nous (brik à l’œuf, couscous au poisson, fruits de saison) et la disparition du rince-doigts. Depuis, les choses se sont beaucoup améliorées : Échanges de fond, émouvants et respectueux et solutions autant que faire se peut de problèmes complexes accumulés dans la détresse des gouvernés, l’indifférence des gouvernants.
 
Le 8 Mars dernier, j’ai préféré fêter la journée de la femme en allant rendre visite à des ouvrières agricoles à Gboulat. Je les ai trouvées courbées dans la boue à travailler les artichauts : Le contact avec leur misère a été le même qu’avec une balle en plein cœur.
 
J’ai demandé à Hajer Lengliz d’inviter ces femmes pour le déjeuner du vendredi suivant en répétant mes ordres : surtout pas de crevettes, ni de rince-doigts.
 
J’ai reçu mes invitées (une vingtaine entre 40 et 50 ans, habillées modestement et très étonnées de ce qui leur arrivait) dans la magnifique salle à manger qui a une vue imprenable sur la mer à travers une large baie vitrée.
 
Au début du repas, on n’entendait qu’un silence gêné et quelques bruits de fourchettes. Puis il y a eu des chuchotements, des rires, des échanges. Seule ma voisine de droite restait bouche cousue refusant tout dialogue avec moi. J’ai cru qu’elle était intimidée par ma présence. Elle était fascinée par l’auguste présence de la mer qu’elle ne quittait pas des yeux, indifférente à ce qu’on mettait dans son assiette.
 
Monsieur le président, finit-elle par me dire, je vous remercie du fond du cœur de m’avoir permis de réaliser mon rêve : voir la mer...
 
Incrédule je lui ai demandé : Vous n’avez jamais vu la mer ? Non c’est la première fois… et j’aimerais la voir de plus près.
 
J’ai fait accélérer le service et proposé au groupe de venir faire un tour dans les jardins du palais qui donnent directement sur la mer. Nous nous sommes approchés jusqu’à la rangée de barreaux qui délimite le palais et où viennent se briser les vagues. Là, nous nous sommes arrêtés quelques minutes. Mon invitée a pris les barreaux à pleines mains comme si elle voulait les arracher et aller tâter cette chose extraordinaire qui déployait devant ses yeux éberluées sa terrifiante beauté.
 
Brusquement, moi qui ne regarde plus la mer, je suis redevenu l’enfant que son père a pris un jour par la main pour lui présenter la mer, pour le présenter à la mer. C’était à Gabès car, comme tout le monde le sait, à Douz nous ne connaissons que les mers de sable.
 
Deux êtres, une femme de cinquante ans, un enfant de cinq ans se réveillant dans un adulte fatigué, admiraient bouche bée la mer du début du monde, la mer du début de l’homme.
Puis nous sommes rentrés au palais en silence. Je n’ai pas osé demander combien d’autres femmes n’avaient jamais vu la mer. Gboulat est à deux heures de voiture de la côte».
 
 
 
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