Opinions - 17.11.2014

Béji, Kamel, Hamma, Kalthoum et les autres…

Il y a près d'un mois, le peuple tunisien faisait son choix . Il a donné ses voix à ceux qu'il estime capables de le sortir d'une situation désatreuse dans laquelle il s'est retrouvé au bout de trois ans d'une gestion calamiteuse par une "Troika" boiteuse.

Espérons que le Parlement élu et le Gouvernement qui en sortira seront à même de le mener à bon port dans les meilleures conditions possibles de concorde, d'entente et d'unité nationales.

Les cinq prochaines années seront cruciales afin de parachever le processus de transition entamé depuis janvier 2011.

Dans un papier précédent , daté du 19 octobre , je formulais l’espoir de voir Nidaa Tounès, Afek Tunès , le Front Populaire, l'UPT et le Mouvement National remporter le plus de suffrages possibles pour qu'ils puissent  former un Gouvernement "arc en ciel" qui redonnerait confiance aux Tunisiens , ce qui  les pousserait à reprendre le travail avec sérieux et abnégation afin de rattraper le temps perdu.

Je suis profondément désolé pour l'ex-El Massar, surtout que c'est pour lui que j'avais voté en 2011 , mais ce sont les aléas de la vie et j'espère qu'il aura retenu la leçon . Il n'y a pas d'angélisme en politique. Les bons samaritains n'ont jamais été d'excellents politiciens. Il faut une certaine dose de sophisme, beaucoup de réalisme , un zeste d'opportunisme et même une pincée de machiavélisme pour réussir dans ce domaine.

D'autres échéances électorales vont se présenter et je suis convaincu que les " Massariens " seront au rendez-vous . Bon courage et bonne chance à eux . Mais il faut faire attention à ne pas verser dans le cynisme ou à trop s'éloigner des valeurs morales qui les ont toujours caractérisés. A la longue, ce sont elles qui leur assureront le succès.

Et leur honneur sera sauf , contrairement à d'autres qui ont vendu leur âme au diable et qui sont en train de manger à tous les râteliers.

L'élection de mon ami et ancien collègue Said El Aydi sur la liste de Tunis 2 m'a évidemment fait énormément plaisir, mais ce qui m'a surtout rempli de bonheur est le succès éclatant  du " Mandéla Tunisien ", M. Ali Ben Salem, qui après avoir passé de nombreuse années à Borj Erroumi, va représenter la ville martyre de Bizerte au Bardo.

Il a dû probablement méditer cette phrase de Madiba qui a écrit dans son autobiographie - Long Road to Freedom - " alors que je me dirigeais vers le portail qui devait me permettre de retrouver ma liberté , je savais que si je ne laissais pas derrière moi ma rancoeur et ma haine, je serais toujours en prison ". D'autres devraient garder à l'esprit cette phrase pleine de sagesse  s'ils veulent continuer à faire de la politique.

Le grand perdant de ce scrutin a eu la galanterie de féliciter le parti vainqueur. Mais Ennahdha a-t-il vraiment perdu? La question mérite d'être posée, car tout est relatif. La formation islamiste revient en effet de loin ! Si des élections avaient eu lieu durant l'été 2013, elle aurait connu le même sort que ses deux compères du Triumverat.

Ses dirigeants , probablement bien conseillés , ont su bien manoeuvrer et ils ont réussi à s'en sortir avec le minimum de dégâts . Ils vont maintenant se donner le temps nécessaire pour mieux rebondir la prochaine fois.

Les mauvais perdants sont en plein désarroi . Ils cherchent ailleurs des raisons pour leur échec cuisant , allant jusqu'à accuser le peuple d'avoir mal voté, au lieu de faire tout simplement leur mea culpa . Ils ont même voulu diviser le pays en deux : le Sud, qui a fait le bon choix et le Nord qui s'est fourvoyé ! Alors que ce n'est nullement le cas; on trouve en fait des élus, certes minoritaires, de Nidaa du côté du Jerid et des nahdhaouis dans les montagnes de Khroumirie.

Devant cette frénésie , les dirigeants, militants et sympathisants de Nidaa se sont abstenus de tout triomphalisme . Ils ont gardé la tête froide et se sont conduits d'une manière responsable, conscients qu'ils sont des défis qui les attendent.

Puis , on a inventé une nouvelle fable, à savoir le " taghaouel " pour effrayer les masses. Comment un bloc qui a moins de 40 % des sièges de la future Assemblée  peut-il la dominer ou pratiquer un quelconque hégémonisme sur le pays? Même si le Président de la République, dont les pouvoirs sont plus que limités, est issu de ce même parti.

Ceux qui connaissent le parcours des principaux dirigeants de Nidaa ne peuvent que se gausser de cette éventualité. Peut-on en effet imaginer un Taieb Baccouche , qui a connu la prison aux côtés de feu Habib Achour, un Mohamed Ennaceur, qui avait démissionné par solidarité avec l'UGTT en décembre 1977, un Lazhar Karoui Chebbi , qui a tenu tête en tant que magistrat à l'ancien régime, un Lazhar Akremi, Mondher Belhaj Ali, Mohsen Marzouk et ils sont légion, recourir à des pratiques qu'ils ont longtemps combattues!

Les esprits mal intentionnés qui propagent ces inepties, ou bien ne connaissent pas le passé de ces gens- là ou font preuve de mauvaise foi . Peut-être , les deux à la fois.

Et puis l'expérience d'autres pays démocratiques comme la France ou les Etats- Unis a démontré que si l'exécutif et le législatif appartiennent à deux formations rivales , c'est le blocage institutionnel et les crises à répétition qui jalonnent la législature.

La Tunisie , qui est en période de transition , peut-elle aujourd'hui se permettre ce luxe?
Dans quelques jours aura donc lieu le scrutin qui constituera le finish de ce long marathon dont l'unique gagnant ne pourra être que le peuple Tunisien si tout se passera bien avec l'aide de Dieu! Le prochain locataire du Palais de Carthage doit être au service de la Nation, et non le contraire ...

Avec la pléthore de quelques 27 candidats ( encore un triste record après la formation d'un Gouvernement comprenant plus de 80 Ministres en Janvier 2012 , soit autant que la Chine et l'Inde réunies ! ) , il me semble que, nonobstant la valeur intrinsèque de la plupart des autres postulants, cinq ou six prétendants ont  des chances sérieuses pour que l'un d'entre eux puisse  devenir le premier Président de la llème République élu au suffrage universel .

Comme indiqué plus haut , le choix  que j'ai fait est tout à fait personnel et  subjectif , mais cette subjectivité est basée sur une expérience de plus de quatre décennies durant lesquelles j'ai eu l'honneur et le privilège de rencontrer des géants ( Bourguiba , Arafat et Mandela notamment ) , et de m'entretenir avec de grands hommes et femme d'Etat  ( Hassan II, Elisabeth II, Mahatir Mohamed, Barack Obama, Mahmoud Abbas et Abdelaziz Bouteflika entre autres ).

De ces rencontres et entretiens , j'ai appris à reconnaître de quelle étoffe sont faits les leaders qui sortent du commun. 

Sans verser dans l'hagiographie ou la flagornerie , je pense d'instinct comme beaucoup de Tunisiens, que notre coeur irait du côté de deux figures militantes qui jouissent du respect et de l'admiration d'une large frange de la population . Les geôles de notre pays n'ont plus aucun secret pour Hamma Hammami et la la longue lutte , à son corps défendant de Kalthoum Kannou , pour une justice indépendante , est connue et appréciée de tous . Surtout que c'est la première fois que dans un pays arabo-musulman, une femme postule à la magistrature suprême!

Tous deux méritent par conséquent d'être portés à la tête de l'Etat .

L'inexpérience dans la gestion des affaires du pays par les Ministres de la "Troika" à fait regretter à de nombreux citoyens les jours où ,  l'Administration étaient dirigée par de grands commis de l'Etat. Parmi eux , il y a   aujourd'hui deux candidats à la Présidence de la République.

Leur longue expérience et les qualités indéniables qu'ils possèdent, permettent donc à MM. Mustapha Kamel Ennabli et Kamel Morjane, eux aussi des amis et d'anciens collègues, au cas où les électeurs feraient parler leur raison, d'occuper le poste de Président de la République.

Toutefois, je suis d'avis, que devant l'intérêt supérieur de la Nation, aussi bien le coeur que la raison doivent s'éclipser.

Notre pays est aujourd'hui à la croisée des chemins . C'est une Arche ballotée au milieu d'un océan en furie. Il a besoin d'un Noé, d'un patriarche qui saura la mettre à l'abri. Au moins pendant les trois à cinq prochaines années.

Je ne veux être ni laudateur ni thuriféraire, mais je peux avancer , en espérant ne pas me tromper, que cet homme ne peut être que le fils spirituel du père de l'indépendance de la Tunisie . De lui, il a en effet beaucoup appris . Il possède, néanmoins, une qualité qui manquait à Bourguiba : son attachement à la démocratie et son respect pour l'alternance pacifique du pouvoir . Il l'avait prouvé en 1974, lorsqu'il avait claqué la porte face à la dérive du régime vers l'autoritarisme . Il l'a encore manifesté d'une façon remarquable en organisant les élections d'octobre 2011 et en cédant la place à un Chef de Gouvernement élu par le peuple .

Son expérience à la tête de Ministères régaliens seront d'un atout majeur pour un Président de la République en cette période cruciale de notre Histoire . Il doit se mettre à pied d'oeuvre dès son investiture et ne pas apprendre le job sur le tas !

J'ai connu M. Béji Caid Essebsi comme Ministre des Affaires Etrangères au milieu des années 80 et travaillé à ses côtés pendant près de dix mois au lendemain de la Révolution du 17 décembre / 14 janvier. Je peux affirmer, en mon âme et conscience, qu'il n'est pas seulement un fin politicien, c'est véritablement un homme d' Etat . 

Nous étions peu nombreux avec lui à Deauville en juin 2011 ( MM. Jalloul Ayed , Mustapha Kamel Nabli et Elyes Jouini entre autres ) et nous avons tous constaté comment il parlait d'égal à égal avec les dirigeants du G8. La Révolution qui avait ébahi le monde et nous a permis de relever la tête , y est certainement pour quelque chose, mais le charisme et le bagout de BCE y était également pour beaucoup.

Son aura sur la scène internationale sera d'un apport certain pour remettre le pays à flot.

On lui reproche son âge , mais ceux qui le font savent -ils que le Compagnon du Prophète ( que le salut et la bénédiction de Dieu soient sur lui) , Ammar Ibn Yasser (qu'Allah soit satisfait de lui ) combattait les armées de Mouawiya , aux côtés d'Ali (que la grâce du Seigneur illumine sa face ) alors qu'il avait dépassé ses 90 printemps! C'était à la fameuse bataille de Siffine en l'an 36 de l'Hégire.

Si El Béji n'a certes pas participé aux combats des fellaghas contre le colonialisme français , mais il garde dans son mollet l'écharde d'une balle reçue à la frontière tuniso-algérienne. Il s'y était rendu à la fin des années 50 accompagné de plusieurs militants tunisiens dont certains y ont laissé la vie , comme le grand diplomate feu Khémaies Hejri , alors que d'autres ont été blessés . BCE en faisait partie.

Et puis , enfin ? Ceux qui sont impatients de fouler le sol du Palais de Carthage devraient au contraire se réjouir de l'âge avancé de BCE , comme cela , ils tenteront leur chance dans cinq ans inchaâ Allah!

Plus que jamais , le peuple Tunisien se doit d'être soudé autour d'une Assemblée , d'un  Gouvernement et d'un Président capables de lui faire traverser le gué et  remettre notre pays à la place  qu'il occupait au sein du concert des nations . Ses ennemis sont nombreux et il faut leur couper l'herbe sous les pieds si on aspire à bâtir un avenir radieux pour nos enfants .

Mohamed Mouldi Kefi