Notes & Docs - 05.01.2010

Mobilité des personnes et des emplois: la stratégie tunisienne

Les questions de mobilité internationale du travail revêtent pour les pays, qu’ils soient pays émetteurs ou d’accueil, une dimension multiple, qui réunit dans une même problématique :

  • Des questions démographiques et économiques,
  • Des considérations sociales et humanitaires,
  • Ainsi, que des préoccupations identitaires et sécuritaires. 

De nombreuses initiatives sont prises ces derniers temps pour débattre de la question migratoire dans ses diverses dimensions, répercussions et implications sur la mobilité internationale du travail (…) L’emploi a toujours constitué, pour le Président Ben Ali, une priorité.

Il constituera au cours de la prochaine quinquénnie une priorité absolue dans le cadre du Programme Présidentiel : « Ensemble  pour relever les défis ».

L’emploi a constitué en effet le point de convergence de toutes les politiques sectorielles. Pour la prochaine quinquennie, parmi les 355 mesures que comporte le programme du chef de l’Etat, 209 mesures - donc 60% de l’ensemble des mesures- concernent directement ou indirectement l’emploi.

Orienter les investissements, mieux adapter les outputs et adopter une politique active

Cette priorité absolue est inscrite dans une  stratégie de l’emploi qui  s’articule autour de 3 axes importants :

  1. Orienter davantage à l’avenir les investissements vers les secteurs à haute valeur ajoutée  et à contenu en connaissance élevé, (90 000/an)
  2. mieux adapter les outputs de l’enseignement, de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur aux nouvelles exigences du marché de l’emploi et aux besoins de l’économie,
  3. adopter une politique active de l’emploi ciblant les catégories qui ont des difficultés particulières d’insertion professionnelle.

Il s’agira pour nous de relever un triple défi :

  1. Couvrir la demande additionnelle  d’emploi, qui est à des niveaux très élevés
  2. Créer des emplois pour des diplômés du supérieur qui représentent près de 60 % de cette demande additionnelle,
  3. Diminuer le stock résiduel des demandeurs d’emploi.

La mobilité à l’International constituera pour les prochaines années un axe important, qui présentera des opportunités très importantes pour notre économie et en particulier pour l’emploi.

Un vrai défi pour nos partenaires notamment européens

La question de la mobilité internationale du travail n’est plus posée aujourd’hui en termes d’échanges ponctuels de main d’œuvre, elle constitue un vrai défi aussi bien pour nous que pour nos partenaires notamment européens. Les projections démographiques et de la population active indiquent en effet que l’Europe est appelée à connaitre des déficits très importants  en main d’œuvre  au cours des prochaines décennies atteignant 66 millions d’actifs à l’horizon 2050. Ces déficits restent très élevés quelque soient les mesures que les pays peuvent entreprendre en matière d’allongement de la durée de travail, d’augmentation des taux d’activité et au niveau des politiques natalistes.

Ces déficits attendus concerneraient tous les secteurs d’activité et tous les niveaux de qualification,

En contrepartie les pays du Sud, dont les pays du Maghreb,  continueront à faire face à de fortes pressions sur le marché de l’emploi sous l’effet d’une progression rapide de la demande d’emploi;

En Tunisie les pressions sur le marché de l’emploi devraient se maintenir à un niveau élevé même si les projections à l’horizon 2025 indiquent que la demande additionnelle d’emploi va décroitre.

Une position passive n’est pas sans conséquences

On pourrait être tenté de croire que les déficits du Nord et les excédents du Sud pourraient être comblés d’une manière spontanée ou de façon unilatérale. Bien au contraire, nous pensons qu’une position passive en matière de migration aura pour conséquence, outre une minoration du nombre des émigrants notamment maghrébins, le développement de l’émigration clandestine, le développement de trafics de tous genres et la prolifération des intermédiaires illégaux.

L’inaction ne peut pas être envisagée car ses conséquences seront dramatiques pour tous.

Les tensions encore persistantes, au moins à moyen terme, sur le marché du travail des pays Maghrébins, et les besoins de l’Europe d’une population active accrue, militent pour la mise en œuvre d’une  politique migratoire en tant que composante à part entière de la politique de l’emploi, et même davantage d’une politique de développement équilibrée entre les deux rives de la méditerranée.
Cette politique migratoire doit définir, entre autre, les voies et moyens de combattre l'émigration clandestine en ouvrant des possibilités réelles d'émigration régulière.

Cette politique migratoire doit lutter également contre les abus constatés des intermédiaires illégaux qui profitent des aspirations des jeunes et parfois de leur détresse.

Pour toutes ces raisons nous avons le devoir de préparer l’avenir.

Gestion concertée et formation des compétences

Préparer l’avenir passe par l’adoption d’une gestion concertée des flux migratoires tenant compte des intérêts réciproques des pays, tant émetteurs que récepteurs, et des migrants.

Dans ce cadre, je voudrais souligner que la Tunisie est le seul pays de la région du Maghreb à avoir conclu un accord avec un pays européen, en l’occurrence la France sur la gestion des flux migratoires et le développement solidaire.

De par ses finalités, cet accord est considéré par de nombreux observateurs comme un modèle.

Il traite, en effet des diverses dimensions liées à la question : il permet de lutter contre l’immigration illégale, consacre une gestion concertée de la migration légale, y compris la migration saisonnière et la migration circulaire, et apporte une contribution au développement des compétences et des ressources humaines en Tunisie.

En effet, préparer l’avenir c’est aussi conjuguer les efforts dans le domaine de la formation des compétences et des ressources humaines destinées aussi bien pour les pays d’accueil que pour les besoins du développement des pays émetteurs.

Je voudrais sur ce point souligner que les pays du Sud n’ont aucunement vocation à supporter seuls les coûts inhérents à la formation des compétences pour les besoins du marché international de l’emploi. Cela serait injuste et économiquement insupportable.

Le rapport de la Banque Mondiale montre bien que l’éducation et la formation professionnelle doivent être considérées de plus en plus comme un bien universel nécessitant l’engagement de tous pour préparer les compétences nécessaires, aussi bien au développement des pays du Sud qu’à la satisfaction des besoins en qualifications des pays du Nord.

Une vision lucide et une politique valorisante

Un tel engagement nécessiterait une vision lucide des enjeux et une politique volontariste, active, responsable et coordonnée des différentes parties concernées.

Trois axes mériteraient d’être évoqués, à ce niveau :

  1. Premièrement : se rapprocher du cadre international de certification qui permet à nos pays de situer leurs qualifications aux niveaux des standards internationaux et faciliter ainsi l’insertion sur le marché international du travail.
  2. En second lieu : satisfaire les besoins de ce marché nécessitera le développement de la co-diplômation ou la reconnaissance mutuelle des diplômes notamment pour les métiers régulés. En donnant une dimension internationale à la relation avec le monde professionnel, les partenariats avec les établissements d’enseignement supérieur et professionnel d’Europe, faciliteront encore davantage l’accès à l’emploi et permettront aux jeunes de poursuivre une carrière internationale.
  3. Enfin, et comme troisième axe, toute cette approche devrait partir d’un même cadre d’observation des tendances lourdes définissant les métiers, les compétences et les qualifications d’avenir.

Préparer l’avenir signifie, en outre, conférer aux futurs migrants une bonne formation linguistique et une bonne préparation au cadre social et culturel du pays d’accueil, cela doit démarrer très tôt dès l’Ecole. La même démarche doit être entreprise également dans les pays hôtes et tout cela doit permettre une intégration mieux réussie évitant la marginalisation, l’exclusion et le communautarisme exacerbé ou la balkanisation sociale.

Une intégration à 3 niveaux, avec maintien des liens

Le processus d’intégration englobe aussi d’autres aspects tels que :

  • l’intégration dans le système éducatif et en particulier celle des enfants des migrants,
  • l’intégration sociale dans toutes ses dimensions y compris celles de l’accès effectif des migrants au système de santé du pays d’accueil (portabilité du système de protection  sociale et de retraite).
  • On évoque aussi l’intégration résidentielle, qui a trait à la qualité du logement des migrants et à leur lieu de résidence.

Par ailleurs, la question d’intégration n’est pas antinomique d’un maintien des liens avec les pays d’origine; les générations nées à l’étranger ne devraient, en aucun cas, perdre le lien avec le pays d’origine; et à cet égard  nous avons accordé sous l’impulsion du chef de l’Etat et depuis des années, une grande attention  aux préoccupations tant sociales qu’économiques de nos travailleurs à l’étranger, et apporté les solutions adéquates aux problèmes qu’ils pourraient rencontrer afin de leur garantir dignité et prospérité au même titre que leurs compatriotes en Tunisie.

Un développement solidaire, gagnant-gagnant

Préparer l’avenir consiste enfin à adopter une politique de développement solidaire ayant pour objectifs, notamment, le co-développement et la création accélérée d’emploi dans nos pays. C’est pour cela qu’il faudrait veiller à ce que la volonté de développer les échanges de main d’œuvre avec les pays du Nord ne soit synonyme d’une politique favorisant une fuite des cerveaux ou un départ massif de la population la plus instruite. Cela hypothéquerait nos chances de succès dans nos stratégies de développement économique et social.

Les ressources humaines en sont, en effet, le fondement, elles sont la garantie de l’éclosion d’une économie future fondée sur le savoir et capable de préparer nos pays à s’intégrer dans les meilleures conditions dans l’économie mondiale et à être un partenaire actif dans les échanges internationaux.

Une gestion active des flux migratoires exige donc une approche concertée et une préparation institutionnelle  afin de renforcer les liens  et intensifier les échanges entre les structures et acteurs concernés des pays du Sud et ceux du Nord chargés de la question.

On pourrait nous faire la critique facile consistant à dire que le contexte actuel de l’emploi en Europe n’est pas très favorable; ce qui est vrai, mais cela ne doit pas nous empêcher de préparer l’avenir.

Nous estimons, par ailleurs, que les positions isolationnistes ou protectionnistes ou purement égoïstes ne peuvent, en aucune façon préparer l’avenir, un avenir «gagnant pour tous».


Slim Tlatli
Ministre de l’Emploi et de l’Insertion Professionnelle des Jeunes

Extraits du Discours prononcé à l’ouverture de la conférence organisée le mardi 5 janvier 2010 à Tunis par le Ministère de l’emploi, et de l’insertion professionnelle de la Jeunesse conjointement avec la Banque mondiale pour présenter et discuter deux rapports de la Banque mondiale sur le thème de l’emploi et l’immigration : « Préparer l'avenir, une perspective à long terme de la mobilité des personnes et des emplois pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord» et « Migration de la main d’œuvre de l’Afrique du Nord : impacts de développements, défis et options de politiques migratoires».