News - 10.10.2014

Ghannouchi: Ce qui m'a impressionné en Chine

"Ce qui m’a le plus frappé, indique Rached Ghannouchi, chef d'Ennahdha, de retour d'un voyage en Chine, c’est la chaleur de l’accueil et l’importance accordée à la délégation tant au niveau du protocole qu’à celui des personnalités rencontrées. Tous les dirigeants chinois rencontrés, qu’ils soient du parti ou du gouvernement, sont admiratifs de la révolution tunisienne et du rôle qu’entreprend Ennahdha dans la construction de la démocratie, surtout durant les périodes sensibles que le pays a traversées l’année dernière. Ils suivent également avec attention l’islam politique et son ascension sur le plan international, relevant l’intervention d’Ennahdha pour le réguler et le raisonner. Les dirigeants chinois ont discuté avec moi non pas en tant que chef de parti, mais aussi en considération du rôle que peut jouer cette école que représente Ennahdha, et de ma qualité de dirigeant au sein de l’Union internationale des oulémas musulmans. Ils ont relevé l’impact de la pensée de Ghannouchi dans l’expérience turque, eu égard au nombre de mes ouvrages qui ont été traduits en langue turque et de la large diffusion qu’ils rencontrent.

Ce qui m’a également frappé en Chine, c’est la précision de l’organisation, la grande dimension des entreprises et l’ouverture sur le temps moderne. J’ai particulièrement relevé qu’en Chine, le marxisme n’est pas pratiqué en religion mais converti en source d’inspiration pour une vision sociale qui défend les droits des catégories démunies, tout en ouvrant largement les voies à la libre entreprise, aux échanges commerciaux sans obstacle, aux investissements internationaux en Chine et chinois dans le monde. En d’autres termes, le marxisme a été « sinoisé » et immergé dans le patrimoine chinois. La prise en compte de l’aspect social, la sacralisation de la famille et des liens familiaux sont ancrées. Tout cela est à l’opposé des pratiques du marxisme dans le monde arabe et dans l’ex-Union soviétique qui l’ont érigé en religion en confrontation avec les autres, et qui impose un régime arbitraire, totalitaire.

Je me suis également aperçu d’une forte ressemblance entre l’expérience chinoise et la nôtre au sein d’Ennahdha à l’égard des expériences occidentales. Nous avons essayé d’en tirer des enseignements, sans les copier et reproduire ; par exemple, dans la valorisation et la modernisation de notre patrimoine, en nous inspirant de ce qui peut convenir à nos valeurs. C’est cette voie de la modernisation qui est adoptée en Chine et qui ressemble à notre démarche. Une autre ressemblance, les tentatives de tiraillements et de fractures qui ont dangereusement visé la Chine, à l’instar de la nation arabe.

La différence, c’est que la Chine a réussi à reconstituer son unité et libérer sa volonté en empruntant la voie de la modernisation, fondée sur le patrimoine, et tirant profit des autres expériences de par le monde. Malheureusement, les Arabes se sont repliés sur les voies de l’imitation et de la reproduction de systèmes inopérants, voués à l’échec. C’est ce qu’a fait l’ex-Union soviétique et on en connaît le résultat. Les Arabes ont échoué dans le resserrement de leurs rangs, la consolidation de leur union et la réalisation de leur essor. Il faut reconnaître qu’il y a aussi d’autres facteurs, notamment l’enracinement de l’Etat d’Israël au cœur du monde arabe pour empêcher son union.

Que reste-t-il du marxisme en Chine

Ce qui est resté, à mon sens, n’est pas philosophique, mais social et au niveau des libertés religieuses. J’ai vu nombre de monuments islamiques à Pékin et appris qu’il existe en Chine plus de 30 000 mosquées et 50 000 imams. La dimension sociale est forte, surtout dans la lutte contre la pauvreté qui continue à exister et dans la fourniture des prestations sociales. Le système s’appuie sur une économie sociale qui encourage la libre entreprise mais offre aux citoyens les garanties d’une vie digne.

Il m’est difficile de juger, à l’issue d’un séjour d’une semaine, une expérience aussi immense, dans un pays aussi grand, mais j’ai constaté cette dimension sociale et aussi l’implantation de quasiment toutes les grandes marques internationales. Quand j’ai demandé à mes interlocuteurs chinois s’ils étaient incapables de produire des sandwichs de qualité en autorisant McDonalds à s’installer chez eux, leur réponse était instructive. «Nous sommes évidemment en mesure de le produire, mais nous avons voulu imposer à notre administration et nos entreprise d’évoluer par l’émulation et la concurrence».

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