Une campagne présidentielle en perdition
La campagne présidentielle en Tunisie prend une tournure psychédélique. Outre le nombre hallucinant, voire indécent de candidats, le parcours sulfureux de certains et la personnalité sans relief d’autres, l’accumulation des malentendus sur la nature de l’élection, la fonction présidentielle elle-même et le profil qu’elle exige rend la campagne d’une confusion extrême. Manifestement, la plupart des candidats se trompent d’élection et trompent les électeurs sinon eux-mêmes.
Il s’agit d’élire un Président de la République, pas de choisir un chef du Gouvernement dont les prérogatives sont autres. En effet, et aux termes de la Constitution, le Président de la République est compétent pour définir la politique générale dans les domaines de la défense, des relations étrangères et de la sécurité nationale relative à la protection de l’Etat et du territoire national des menaces intérieures et extérieures. Il n’est donc ni l’inspirateur ni le premier décideur ni même le comptable de la politique intérieure, socioéconomique notamment, laquelle politique est de la seule compétence de la majorité parlementaire et du gouvernement qui l’aura désigné.
Au surplus, le Chef de Gouvernement est plus en droit, politiquement et juridiquement, de s’immiscer dans le « domaine réservé » du Président que ne l’est le Président pour agir de même dans celui du Gouvernement et de l’Assemblée législative. A cela une raison : la diplomatie et la défense constituent des domaines qui doivent prendre en considération les impératifs de la politique intérieure. Cet aspect des choses est soit escamoté, soit incompris de la plupart des candidats à la présidentielle.
Certains candidats à la présidentielle n’hésitent pas pourtant à faire valoir leur «expertise technocratique», expertise toute relative d’ailleurs, pour légitimer leur candidature. Il s’agit là d’une grave escroquerie politique et intellectuelle. Primo, le Président de la République est avant tout le symbole de l’unité nationale et le garant de la continuité de l’Etat. Son profil ne peut être que politique, au sens noble du terme. Certes, un économiste peut se muer en homme d’Etat, de même qu’un juriste, un militaire ou un «cheik» d’ailleurs, sauf que nonobstant quelques exceptions notoires et « accidentelles» près comme le Général de Gaulle en France ou Vaclav Havel en la défunte Tchécoslovaquie, l’accession des «bienheureux» et des «non initiés» à la magistrature suprême n’a pas répondu aux espoirs mis en elle. Secundo, face à la crise de régime qui s’annonce, face à une majorité parlementaire introuvable et en tout cas vraisemblablement instable et cyclothymique en raison, notamment, du mode scrutin et de la mainmise des partis sur la vie politique, le futur Chef de l’Etat doit avoir suffisamment d’épaisseur, de fermeté et d’expérience politique pour sauvegarder l’unité nationale et assurer la continuité de l’Etat.
Dans un contexte politique aussi chahuté, tout devient possible y compris de voir la magicienne Nahdaa nous sortir un lapin de son chapeau pour susciter la candidature d’un ex ministre de Ben Ali ou d’un compagnon de route qui ne lui ferait pas de l’ombre. On pourrait tout aussi bien assister à la résurgence de cette charogne qu’est le régionalisme dont l’odeur fétide et nauséabonde commence à s’échapper de la campagne électorale. Plusieurs autres scénarios sont envisageables, dont celui d’un sursaut national salvateur de dernière minute. Mais ce qu’on peut redouter le plus est que l’on vienne un jour à regretter la présidence de Moncef Marzougui. Venant après les regrets formulés par certains à l’égard de la présidence de Ben Ali, ce serait le summum de l’absurde, de l’indécence et de l’auto flagellation.
Habib Touhami