Le gaz de schiste refait surface en Tunisie
Déclarations fortes du chef du gouvernement, article dans Essabah (4 septembre 2014), séance en vue dans une fondation bien connue, annonce par M. Majdoub du début des forages fin 2014 (Le Maghreb, 10 août 2014,p.16-17), le gaz de schiste refait surface chez nous- et c’est tant mieux !- en dépit du tourbillon électoral qui mobilise tant, absorbant toutes les énergies.
Mais l’Europe fait la moue face à cette technique et un tout récent rapport du célèbre World Resources Institute (WRI) de Washington montre que le talon d’Achille du fracking (forage et exploitation) du gaz de schiste est la disponibilité de l’eau. L’eau commande cette ressource : il peut y avoir des milliards de mètres cubes de gaz sous nos pieds mais si l’eau manque à l’appel, aucun espoir n’est permis.
Mais l’eau ressemble ici à Janus aux deux faces !
Des travaux récents montrent qu’il faut être particulièrement attentif à l’eau « produite » par le puits. Sa composition (radioactivité, métaux divers, bactéries…) nécessite un stockage particulièrement soigné pour éviter la contamination des nappes ou des cours d’eau d’autant qu’on a affaire à des millions de litres.
Enfin, lors de la Semaine Mondiale de l’Eau (WWW) à Stockholm en août dernier, l’Institut International de l’Eau de Stockholm (SIWI) a mis en relief, dans un rapport, les aspects négatifs du gaz de schiste.
Reticences Europeennes
Les ministres allemands de l’Economie et de l’Energie Sigmar Gabriel et sa consœur de l’Environnement Barbara Hendricks veulent encadrer plus étroitement le recours à la fracturation hydraulique voire l’interdire au moins jusqu’en 2021. Dans un courrier daté du 4 juillet 2014 révélé par le site du Figaro et adressé aux députés de leur parti, le SPD social-démocrate siégeant au Bundestag, ils expliquent que « les projets de fracking pour exploiter le gaz de schiste…au-dessus de 3000 mètres seront interdits.» et détaillent les principaux points de la législation à venir sur ce sujet.
Les ministres affirment d’une part qu’ils «prennent très au sérieux les inquiétudes de la population » et d’autre part disent que « la protection de la santé et de l’eau potable ont une priorité absolue. » En 2021, un rapport doit faire le point sur « l’état des connaissances et des technologies et le Bundestag examinera à nouveau la loi ».
Ainsi, comme en France, Berlin ferme la porte à ce gaz enfoui très profond dans le sous-sol. C’est peut-être ce qui a amené Mme Connie Hedegaard**, la commissaire européenne chargée de l’action climatique à exprimer de fortes réserves quant à l’exploitation du gaz de schiste dans les pays de l’Union Européenne. Stéphane Foucart écrit dans le Monde (30 août 2014, p. 18) : «Les réticences de Mme Hedegaard sont pourtant scientifiquement tout à fait recevables : elles tiennent aux différences entre l’Europe et les Etats Unis au plan de la densité du peuplement (et donc des risques induits par les forages) ou de la nature des formations géologiques (et donc des bénéfices attendus)». On ajoutera qu’aux Etats Unis la législation concernant les activités minières et pétrolières et la propriété du sous-sol diffèrent d’un Etat à un autre. En outre, le lobby pétrolier américain est arrivé à se libérer du carcan de la loi sur l’eau potable (Safe Drinking Water Act ou SDWA).
Du reste, l’exploitation du gaz de schiste reste une affaire typiquement nord-américaine. Sur les 6000 puits exploités dans le monde, seule une poignée de 100 forages est située en dehors du Nouveau Monde.
Mais cette exploitation ne va pas sans accidents. Une explosion sur une plateforme de la société Chevron près de Dunkard en Pennsylvanie a provoqué un incendie et mort d’homme. En 2010, trois explosions et des incendies se sont produits à Marcellus Shale dans les Appalaches faisant 11 blessés et deux morts.
L’eau, talon d’achille de l’exploitation du gaz de schiste
Le rapport du WRI de Washington s’est penché sur le cas de 20 pays dont les importantes ressources en gaz de schiste sont prouvées au plan international. Notre pays ne se trouve pas dans cette cohorte.
Cet Institut n’a pas étudié les questions de pollution de l’eau ou d’impacts sur le milieu mais souligne cependant que le gaz de schiste pose « des défis significatifs aux plans social, environnemental et financier. »
Les auteurs du rapport se sont uniquement souciés de la disponibilité de l’eau lors de la recherche et de l’exploitation du gaz de schiste.
Le WRI trouve que 40% de ces pays font face à un stress hydrique élevé ou des conditions arides comme c’est le cas de la Chine, de l’Algérie, du Mexique, de l’Afrique du Sud, de la Lybie, du Pakistan, de l’Egypte et de l’Inde. La Chine, par exemple, jouit des ressources mondiales les plus grandes en gaz de schiste mais 61% de cette manne se trouve dans des zones arides ou dans des régions accusant déjà un stress hydrique important. En Argentine, 72% du gaz de schiste se situe dans des régions souffrant plus ou moins de stress hydrique. Au Royaume Uni enfin, 34% de la ressource en gaz de schiste se trouve dans des zones où le stress hydrique est élevé. Or, un puits exige 25 millions de litres d’eau douce - si on veut le faire produire.
On relève dans ce rapport cette mise en garde : « En général, la production du gaz de schiste est vulnérable partout où les eaux de surface ou les eaux souterraines sont limitées. Avec l’augmentation de la demande en eau due à l’exploitation du gaz de schiste, les autres utilisateurs tels les agriculteurs et les ménages proches des gisements font face à une compétition plus forte pour la ressource. Ce qui est de nature à potentiellement créer des conflits autour de l’eau pour les 386 millions de personnes qui vivent au voisinage ou sur les champs de gaz de schiste et tout particulièrement dans les régions où le changement climatique agit sur les précipitations et les températures et pourrait ainsi affecter les réserves en eau »
Pour éviter les déconvenues pour les investisseurs comme pour les autres parties prenantes, le WRI recommande notamment :
- De procéder à des évaluations des réserves d’eau en recourant par exemple à des outils comme « The Aqueduct Water Risk » pour s’assurer de la disponibilité de l’eau et réduire les risques pour le business
- De prendre contact avec les autorités locales de régulation, les communautés (d’irrigants par exemple en Tunisie) et l’industrie pour apprendre le plus possible sur la demande en eau, les conditions hydrologiques, la réglementation dans chaque bassin versant. Ce faisant, il faut tout faire dans la transparence dès qu’il s’agit du gaz de schiste.
- Il faut réduire au maximum l’emploi de l’eau douce pour le fracking. Il faut viser le recyclage et le réemploi de l’eau et utiliser les eaux saumâtres.
- Tenir absolument compte des autres utilisateurs et réduire drastiquement l’impact sur le milieu, la faune, la flore.
Pour notre pays, les études évoquées dans de nombreuses déclarations officielles devraient d’abord se soucier des réserves en eau et parer aux conflits autour de la ressource (agriculture, ménages, tourisme, énergie). Celles-ci doivent être particulièrement protégées et surveillées car certaines entreprises injectent du diesel lors des forages. De plus, des travaux récents montrent que « l’eau produite » par le puits (eaux usées donc) contient des produits chimiques non rencontrés habituellement car provenant du métabolisme des microorganismes du sous-sol (The New York Times, 8 septembre 2014). Enfin, des travaux récents (voir par exemple Avner Vengosh et al.in Environmental Science and Technology, mars 2014) montrent qu’il y a risque d’une salinisation potentielle des aquifères peu profonds et leur contamination par les gaz libérés lors du fracking (stray gas contamination).
Or, il est de notoriété publique que notre pays n’est pas gâté par la Nature par rapport à l’élément liquide ! Il nous faut donc redoubler de vigilance.
Le gaz de schiste a Stockholm
La Semaine Mondiale de l’Eau – une manifestation internationale très courue- n’a pas manqué de traiter du gaz de schiste.
Andreas Lindström, un responsable du SIWI parlant du gaz de schiste à la Semaine Mondiale de l’Eau de la capitale suédoise avertit qu’il ne faut pas se précipiter sur le cas étasunien ni se laisser éblouir par le feu de ses torchères ! Il a déclaré à la Fondation Thomson Reuters « Nous devons d’abord clairement comprendre l’impact d’une telle extraction. Nous devons concevoir des politiques enracinées dans ce savoir et, si faisable, de procéder de la manière la plus précautionneuse vis-à-vis de l’environnement.»
Dans un rapport rendu public début septembre, le SIWI remarque que l’impact sur le climat de l’exploitation du gaz de schiste est encore inconnu. Il y a libération du méthane (qui a un grand effet gaz de serre) dont la combustion- si elle a lieu sur site- libère du gaz carbonique. De même, il y a les risques de contamination de l’eau et de réduction des nappes ou du débit des cours d’eau.
Lindström, un des signataires du rapport du SIWI, pense que peu de recherches ont été faites sur les nouvelles technologies utilisées lors du fracking. Il affirme cependant que de nombreux signes montrent que l’exploitation à grande échelle porte atteinte à l’eau notamment dans les zones où il y a un stress hydrique important comme au Texas (Etat Unis). Il ajoute que l’expertise manque pour étudier les effets des produits chimiques utilisés ainsi que les implications du gaz de schiste dans des phénomènes sismiques. Enfin, il relève que les compagnies procédant au fracking ont une grande base de données et la première étape devrait être le partage de ce savoir avec la communauté scientifique afin que l’on sache de quoi il retourne. Pour de nombreux spécialistes, cette situation doit cesser. Aujourd’hui, les entreprises fournissent volontairement ces données mais cela doit devenir obligatoire. Encore faut-il convaincre les tenants du secret commercial et de la protection des brevets!
De son côté, Peter Gleick, le directeur du fameux Pacific Institute (Californie) – un think tank dévolu aux pratiques environnementales durables- est d’avis qu’on a besoin de plus de données relativement au fracking. Il propose que les gouvernements s’attellent à définir une check list internationalement acceptée pour les évaluations environnementales, avec la participation des pétroliers. « Les Etats ont besoin de superviser et de réglementer l’usage de l’eau utilisée pour le fracking et ils doivent surveiller la façon dont elle est stockée après usage. »
Kandeh Yumkella, sous-secrétaire général de l’ONU est d’avis qu’il faut plus faire connaître les dangers possibles du fracking pour protéger les populations, l’eau et l’environnement en général.
Espérons que le débat national envisagé tienne compte de ses rapports- on ne peut plus sérieux et adopte l’idée d’une check liste internationale!
Mohamed Larbi Bouguerra
** Elle a été remplacée le 10 septembre 2014. Fait nouveau : l’Espagnol Miguel Arias Canete est maintenant commissaire européen à la fois pour l’Energie et pour le climat. Ce qui ne paraît pas être un progrès d’autant que M. Canete possède une entreprise pétrolière aux Canaries.