News - 12.08.2014

Pourquoi afficher le label ‘Halel' dans un pays musulman ?

L’ouverture d’un hôtel ‘Halel’ dans le pays constitue une première qui nécessite une analyse profonde pour saisir sa signification et réfléchir sur ses conséquences à long terme. On peut penser qu’il s’agit d’un simple flash publicitaire destiné à appâter une clientèle particulière en quête de détente dans des conditions conformes à leurs convictions religieuses. Si c’est le cas, je serai le premier à applaudir. Certes l’aspect commercial est présent dans cette opération, comme l’a souligné (ici-même) M. Farhat Othman, car l’hôtel était fermé (semble-t-il) pendant quatre ans. Mais s’agit-il de cela uniquement ?

Dans les pays occidentaux, le label ‘Halel’ est présent depuis plus de vingt ans, pour désigner la viande d’animaux égorgés selon le rite musulman et permettre ainsi à nos coreligionnaires de consommer en toute quiétude une viande ‘saine’, qui ne fait pas naître le sentiment de rejet qu’ils éprouveraient en avalant une viande ‘Haram’, provenant d’animaux assommés ou abattus à bout portant (viande Jifa). Affichée sur la viande, ce label (ainsi que Casher) se justifie dans ces pays, car il s’agit de pays non musulmans dont la population contient une communauté musulmane (ou juive) importante qui veut manger à sa manière. Mais quand il s’agit d’un pays où la quasi-totalité de la population est musulmane, que cherche-t-on au juste en affichant ce label ?

A ma connaissance ce label n’a jamais été affiché ouvertement chez nous, il était en effet implicite dans notre entourage à tous. Inutile donc de le rappeler puisque tout notre environnement est supposé ‘Halel’ et tout le monde pense ainsi. Pourquoi est-il donc apparu ces derniers temps ? car, me semble-t-il, une certaine frange de la population, qui s’est manifestée récemment, ne pense plus ainsi et veut marquer sa différence et damer le pion à ‘l’adversaire’ c-à-dire à la société dans son ensemble et le pouvoir en particulier.

Ce désir de différenciation qui est probablement une réaction à l’étranglement exercé sur tout le monde par le pouvoir précédent, se manifeste aussi dans plusieurs autres aspects de la vie quotidienne. Un exemple frappant parmi tant d’autres : quand le téléphone sonne chez certaines personnes, elles décrochent mais ne répondent pas comme tout le monde par ‘Allo’, mais par ‘Assalamou Alaïkom’, comme si ‘Allo’ était un terme impie.

Ma vie durant (près de 70 ans) je n’ai jamais entendu ce genre de réponse à la sonnerie du téléphone, sauf bien entendu ces derniers temps. Se distinguer par le biais de la religion est apparu bien avant l’histoire de l’hôtel, n’a-t-on pas entendu parler d’instituteurs qui ont décidé délibérément de séparer en classe les filles des garçons, ou de groupes d’étudiants qui ont aussi voulu séparer les genres (sexes) dans las amphis et les restaurants universitaires ? Quelles ont été les mesures prises par les autorités de l’époque (la Troïka) à l’encontre de ses agissements ? A défaut de mises au point de la part des ministères de tutelle, on ne peut répondre que par ‘rien’. Si c’est le cas, ce serait très grave, car il s’agirait d’un silence face à des agissements qui bafouent l’Autorité de l’Etat ; ce qui ouvrirait la voix à d’autres plus graves.

Dans les pays occidentaux, cette quête de la différence par l’Islam est compréhensible, car elle  permet à la minorité musulmane d’affirmer son existence, voire son identité, face à la majorité chrétienne dont une frange non négligeable est franchement xénophobe, voire raciste. En pays d’Islam, elle marque l’existence d’un groupe qui se croit plus musulman que l’ensemble de la communauté, de ce fait, cette dernière peut se sentir stigmatisée et réagir. On court ainsi le risque de la confrontation, voire de la dislocation dont les conséquences peuvent être très graves sur la cohésion sociale.

Les évènements survenus chez nous montrent que la stratégie de ce groupe commence par des revendications simples qui évoluent progressivement vers des revendications plus sérieuses, On a bien vu cette progression lors des évènements de l’Université de la Manouba et de la Fac des Sciences de Tunis  On commence par revendiquer une salle de prière ou l’inscription des Mounakkabètes, pour évoluer vers la séparation des sexes dans les amphis et salles de cours, et pourquoi pas un jour vers l’arrêt des cours au moment de la prière et le port du hijab pour toutes les filles de la Fac, voire l’applications de mesures draconiennes du genre de celles imposées par DAECH à la population des régions sous son contrôle ?  Où cela peut-il aller ? Nul ne sait, cela dépend de l’idéologie de la fraction dominante dans ce groupe.

C’est dans ce contexte qu’il faut placer l’ouverture de l’hôtel ‘Halel'. D’autres hôtels affichant le même label peuvent voir le jour. Mais il n’y a pas de raison pour s’arrêter aux seuls hôtels, on verra peut-être progressivement d’autres lieux (publics ou privés) susceptibles d’accueillir les citoyens pour différentes raisons, suivre le même chemin : des écoles  lycées et Universités, des cabinets médicaux, des hôpitaux, des moyens de transport, des . . , des . .  et j’en passe. Cela s’arrêterait-il au niveau de ce label ? Bref, on aurait à la fin une communauté ‘Halel’ qui vit entre elle, en marge du reste de la société. Ce dernier, ne portant aucun label, est  implicitement supposé vivre dans le ‘non-halel’, c’est-à-dire le ‘Haram’. D’où la division de l’ensemble de la société par la Charia.

Et comme toute division favorise la domination de ceux qui ont le pouvoir, on est tenté de donner raison à Mohamed Talbi lorsqu’il affirme que la Charia est une hérésie de fabrication humaine concoctée au profit des despotes désireux avant tout de commander et de pouvoir tuer légalement (voir son interview par Faouzia Zouari le 9/7/2014 dans Jeune Afrique Facebook)

L’affichage du label ‘Halel sur des produits destinés à la consommation en pays musulman n’est pas un évènement anodin. Il est chargé d’arrière-pensées et pourrait avoir de graves conséquences sur la cohésion de la société.
 


 
 

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