News - 06.08.2014

En détail: Les quatre priorités pour Mustapha Kamel Nabli

Il se tient à l’écart des tiraillements partisans et s’attache à une réelle indépendance, même s’il est sollicité par certaines familles politiques qui l’incitent à se présenter à la présidentielle. Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie et ancien directeur à la Banque mondiale, promène un regard attentif et lucide sur ce qui se passe actuellement en Tunisie. La déliquescence des fondements de l’Etat sur fond de dégradation de la situation sécuritaire avec la récente montée du terrorisme, la détérioration de l’économie et le glissement continu du dinar ne peuvent pas ne pas l’interpeller. Mais, au-delà du constat, que recommande-t-il? Il y a quatre grandes priorités, propose Nabli en conclusion à cette interview express à Leaders.

Comment réagissez-vous aux récentes attaques terroristes?

La douleur et la rage que nous ressentons suite à la perte de nos martyrs continueront à nous faire mal pendant longtemps. Mais que doit-on faire pour que leur sacrifice ne soit pas vain? Comment faire pour que le terrorisme et les forces des ténèbres soient vaincus?  Pour pouvoir répondre à ces questions, il faut commencer par bien connaître la motivation et la stratégie des terroristes. Je pense que ce qu’ils ciblent ce ne sont pas les élections ni la démocratie, comme certains se plaisent à nous raconter. Car si c’était le cas, cela voudrait dire que ce qu’ils veulent ce serait la continuation du système du 23 octobre et le maintien de certains qui sont encore au pouvoir ! Et ce serait le comble ! Il faut être clair, ce qu’ils visent c’est l’Etat tunisien, qu’il y ait élections ou pas. En affaiblissant et en terrorisant ses structures de sécurité et la population, ils ouvrent la voie à la réalisation de leurs desseins.

Les gouvernements de la Troïka ont contribué à l’affaiblissement de l’Etat, et certains responsables qui en font partie continuent à le faire. Le gouvernement Jomaa avait pour tâche de réhabiliter l’Etat et d’arrêter le processus de sa déliquescence. Il a tardé et manqué d’audace pour le faire. J’espère que ces derniers évènements lui donneront l’occasion d’apprécier mieux les dangers et de poursuivre les actions déjà initiées avec vigueur et détermination. Et cela commence en premier par la reconstruction des structures de sécurité en les assainissant, en les protégeant des interférences politiciennes, en leur donnant les moyens matériels et institutionnels et en les motivant moralement. Il y a ensuite le contexte culturel et éducationnel, qui a laissé le champ libre à l’utilisation de la religion et des lieux de culte pour la propagation des idées et des comportements hostiles à l’Etat et propices à l’utilisation de la violence, et la subversion de la société tunisienne. Ce contexte doit être assaini aussi.

Qu’en est-il de la situation économique et du change du dinar?

Depuis maintenant presque deux années, l’économie et la finance sont devenues totalement otages de la situation politique et sécuritaire. Les indicateurs économiques et financiers sont beaucoup plus impactés par ces facteurs que les politiques économiques elles-mêmes. Le glissement continu du dinar en est la plus grande manifestation. C’est le résultat logique et direct de la détérioration de la productivité, de la compétitivité, du commerce extérieur, de l’inflation et des équilibres financiers. Il faut bien comprendre que la dépréciation du dinar est la conséquence inévitable de cette détérioration, et que toute tentative de renverser artificiellement cette tendance sans en traiter les causes profondes est illusoire. Il faut s’attaquer aux facteurs d’incertitudes politiques et sécuritaires, au manque de confiance et à la dégradation de l’environnement des affaires et des conditions de travail dans les entreprises et l’administration. De nouveau la reconstruction des structures de l’Etat est au centre de la problématique, aussi paradoxal que cela puisse paraître!

Quelles sont d’après-vous les grandes urgences?

J’en vois quatre.
La première est celle de la reconstruction de l’Etat avec sa composante sécuritaire. C’est ce que le gouvernement Jomaa a commencé à faire, mais il doit le développer avec toutes les articulations nécessaires.
La deuxième est de s’assurer que ce qui est nécessaire pour le bon déroulement des prochaines élections est fait. Car des élections qui ne sont pas bien faites sont les pires des élections. D’où la nécessité de veiller au bon climat politique et sécuritaire à garantir.

La troisième urgence pour le gouvernement est d’œuvrer pour reconstruire cette confiance avec le peuple en montrant plus d’efficacité et se montrer capable de résoudre plus et mieux les problèmes des Tunisiens. La classe politique a un rôle déterminant pour soutenir ce processus et ne doit pas demeurer en spectateur, beaucoup plus préoccupée par les élections.

La quatrième urgence est un plan de sauvetage complet de l’économie, qui va au-delà de la loi de finances complémentaire.

T.H.