News - 26.05.2014

Les Ouïgours, ces musulmans qui vont ébranler le géant chinois

Si je vous demandais: les Ouïgours, vous connaissez, peu d’entre vous seraient probablement en mesure de répondre à ma question. Pourtant ces gens-là, même s’ils sont très loin de nous nous sont proches. Ce sont les musulmans aux yeux bridés parlant le turc et qui habitent aux confins du monde. Ces ouïgours viennent de se rappeler au bon souvenir du monde tout récemment. Le 22 mai2014, un attentat perpétré à Urumqi, la principale ville de leur province, le plus meurtrier que la Chine ait connu  a fait 31 morts, et un grand  nombre  de blessés. Selon les médias officiels chinois, cinq kamikazes, «sans doute formés à l'étranger», à leurs dires seraient à l'origine de l'attaque

C'est le second attentat en moins d'un mois à cibler la capitale administrative (après une attaque à la bombe et au couteau à la gare de la ville le 30 avril), et le quatrième d'une série noire d'attaques indiscriminées et inédites contre des civils, manifestement destinées à faire le plus de victimes possibles, puisque plusieurs d'entre elles ont eu lieu dans des gares (29 personnes ont ainsi péri à Kunming le 1er mars) ou des endroits fréquentés. Le premier de cette série d’attaques avait eu lieu le 28 octobre 2013 à Pékin lorsqu'un véhicule a foncé dans une foule de touristes sur la place Tiananmen, à Pékin, avant de prendre feu, faisant deux morts et des dizaines de blessés parmi les passants.

Qui sont donc ces Ouïgours qui ébranlent la Chine et risquent de constituer son pire cauchemar dans les années à venir. Pour la République populaire de Chine, ce sont des chinois de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, une région   créée en 1955. Les autochtones, se considèrent comme  les habitants  du Turkestan oriental ou Ouïgourstan. Depuis la création de cette province, des organisations séparatistes ouïgoures se sont succédé réclamant son indépendance. Ainsi, de nombreux troubles ont éclaté dans la région entre la population ouïgoure et le gouvernement chinois ; ce dernier refusant toute velléité indépendantiste et menant une politique de «sinisation»  qui s'est accélérée dans les années 1990.

En fait, le Turkestan oriental, fut rattaché à l'empire chinois en 1759 mais deux régions de Xinjiang connurent au milieu du XXe siècle de courtes périodes de presque indépendance : l'ouest  de 1933 à 1934 et le nord  de 1944 à 1949.Les premières républiques constituée sous l’influence du mouvement «Jadidist» (du renouveau  turc  ont fait long feu. Après sa conquête par l'empire mandchou, et avant la création de la République populaire de Chine en 1949, la province manifesta un désir d'émancipation par l'intermédiaire de différents mouvements nationalistes issus principalement du panislamisme et du panturquisme.

Après 1949, les cadres communistes associèrent les élites musulmanes de la Seconde République du Turkestan oriental au régime mais sans parvenir à enrayer le nationalisme ouïgour. Durant la Révolution culturelle, Mao opta pour des méthodes répressives et développa une véritable politique de « sinisation » avec l'implantation de millions de Hans, l'ethnie majoritaire en Chine. La politique chinoise s'assouplit en 1978 avec l’arrivée de Deng Xiaoping mais les troubles s'intensifièrent en 1990 après le retrait de l'armée rouge d'Afghanistan et l'indépendance en 1991 de trois républiques musulmanes ex-soviétiques aux frontières orientales de la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Ainsi,  les aspirations séparatistes ouïgoures redoublèrent et les revendications prirent une dimension internationale avec l’accroissement du rôle joué par la diaspora notamment aux Etats unis. Entre 1987 et 1990, la province connut plus de 200 attentats à la bombe, dirigés surtout contre des bâtiments officiels. En 1993, il y eut plus de 17 explosions dans la seule ville de Kachgar, la capitale historique. A la révolte, l’armée chinoise répondit par la répression comme en 1997 à Yining ou en 2007 à Akto contre un camp du mouvement islamique du Turkestan oriental. En 2008 un attentat eut lieu à Ürümqi, la capitale administrative  et les manifestations ouïgoures ont été réprimées dans l'extrême ouest de la province. La même année, 16 policiers chinois ont été assassinés par deux séparatistes ouïgours. En 2009, de nouvelles émeutes interethniques et  des affrontements eurent lieu entre Ouïgours et policiers à Ürümqi. Plus récemment, en 2013 à Kachgar, l'agence de presse officielle Chine nouvelle rapporte la mort de 11 personnes dont 2 policiers lors de l'attaque d'un commissariat par des manifestants armés de haches.
En frappant Urumqi pour la deuxième fois en un mois, l'attentat du 22 mai 2014 ébranle une ville encore profondément traumatisée par les affrontements interethniques de juillet 2009, qui avaient fait près de 200 morts, en majorité des Chinois Hans, dans des circonstances extrêmement troubles. La brutalité inouïe de certains assaillants ouïgours, la passivité suspecte des forces de police, puis les représailles indiscriminées contre les Ouïgours après les affrontements, enfin les disparitions mystérieuses d'une partie de ceux qui ont été emmenés lors de rafles à grande échelle dans les quartiers ouïgours, ont attisé la méfiance réciproque entre les communautés jusqu'à un point de non retour.

Le sinologue français,  Jean-Luc Domenach estime qu'il y a eu de nombreuses révoltes des Ouïgours du fait d'un sentiment identitaire fort : « En fait, il y a un esprit de résistance des Ouïgours depuis que les Chinois, les Hans colonisent le Xinjiang ». Aujourd'hui les Ouïgours considèrent «que la progression de l'économie chinoise se fait à leurs dépens et facilite une domination croissante des Chinois sur leur population».

«Après 2009, de simples compromis à la marge auraient pu pacifier le cœur de la société ouïgoure et la décrisper», remarque pour sa part Rémi Castets, un autre sinologue français et spécialiste du Xinjiang à Sciences Po Bordeaux. Or, c’est le contraire qui se produisit. Les arrestations de personnalités modérées, comme en 2014 celle de l'universitaire Ilham Tohti, ou en 2013 celle d'Abduweli Ayup, un linguiste qui avait lancé des écoles indépendantes d'étude de la langue ouïgoure à son retour des Etats-Unis, ont fait le lit d'une politique du pire – et du terrorisme. « Ces gens là n'étaient pas du tout dans la radicalité ni dans le séparatisme, rappelle M. Castets. Ils faisaient partie de ceux qui pouvaient jouer un rôle de pacificateurs. Or, le fait qu'ils ont été écartés sans vergogne a fait émerger la radicalité comme seule et unique option. Aujourd'hui, on est clairement face à des militants islamistes djihadistes structurés en cellules, qui ont pour programme d'attiser la haine entre Hans et Ouïgours. C'est le schéma du FLN en Algérie à l'époque de la colonisation française »estime le spécialiste.
D'une superficie de 1,66 million de km2, la province fait trois fois la taille de la France. Elle compte 22 millions d'habitants.  Sa capitale, Urumqi de 3 millions d'habitants, est peuplée de Hans à plus de 75 %. Comme Staline le fit en URSS en déplaçant les populations autochtones et en les remplaçant par des Russes, les autorités communistes Chinoises procèdent de la même manière en poussant les Hans à s’installer dans la province musulmane de sorte qu’actuellement les Ouïgours ne font que  45 %  de la population. Dans la capitale Urumqi, leur proportion n’est que 25% contre 75% pour les Hans.

Sa situation géographique en fait une région stratégique pour Pékin. Les 5 300 km de frontières   de la province donnent sur huit pays : la Mongolie à l'est, la Russie au nord et le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et la partie du Cachemire contrôlée par l'Inde à l'ouest. Elle  communique notamment avec le  Tibet autre province où se développe un mouvement indépendantiste. Sa moitié sud inclut le désert du Taklamakan, un des plus importants du monde, mais aussi, le Désert de Dzoosotoyn Elisen (où se trouve le pôle terrestre d’inaccessibilité, c’est-à-dire le point de la terre ferme le plus éloigné d’un rivage du Globe) et le désert du Kumtag. La province possède de gigantesques montagnes de sable à 4 000 mètres d'altitude. Sculptées par le vent, elles sont formées de minuscules cristaux de roche arrachés par l'érosion.

L’Organisation de la Conférence islamique que sa charte charge de connaître de la situation des minorités musulmanes dans le monde a tenté de s’intéresser au problème ouïgour mais, elle en a été empêche par les autorités chinoises qui ne reconnaissent pas le caractère religieux de cette minorité turcophone. Ce n’est qu’en 2012 qu’une mission de l’OCI a été autorisée  à se rendre dans la province en s’engageant à respecter l’appartenance des Ouïgours à la Chine. Cette mission  n’a rien donné. Aucun pays musulman pas même la Turquie n’a jamais soutenu les revendications indépendantistes de ces musulmans des confins du monde.
A l’image de la question tibétaine, le problème du séparatisme ouïgour constituera un sujet de préoccupation majeur du géant chinois. Sauf que le Tibet avec le Dalaï Lama a un visage sur la scène internationale. Alors que l’Ouïgourstan n’en possède pas. Pas  encore.

R.B.R.