Sauvons l'université tunisienne: Le bon moment, c'est maintenant!
Vivier pourvoyeur de cadres au nouvel Etat moderne et levier de l’ascension sociale dans le pays depuis l’indépendance, l’université des fondateurs a été d’abord maintenue, trois décennies durant, à l’écart du tumulte social et économique.
Elle trônait sur la colline de la Kasbah (1958-1960), où l’on avait  créé une école normale, transféré l’enseignement de la Zitouna et  relocalisé les départements de l’Institut des hautes études, puis sur  les .jpg) hauteurs de «Fej Errih» (1967) où la coopération internationale a  érigé le premier campus de Tunisie. Et, en dépit de sa dépendance  organique d’un Etat omniprésent et centralisateur, d’illustres pionniers  et hommes de volonté ont veillé sans partage à la qualité de ses  programmes et de ses diplômes, longtemps reconnus sans aucune réserve à  l’étranger.  L’arrivée dans les années soixante-dix des premières vagues  de docteurs consolidera l’œuvre des fondateurs. La croissance des  effectifs étudiants qui s’est affirmée dans les années quatre-vingt n’a  pas tardé à propulser l’université dans le champ économique. Mais la  sélection autorisait encore le maintien du niveau élevé des études.   Dans les années quatre-vingt-dix, la «mise à niveau» libérale s’étend à  l’université, exigeant un meilleur rendement, donc des taux de réussite  plus élevés, et un meilleur positionnement international du pays (par le  taux de jeunes de 18 à 24 ans inscrits à l’université). Dans ce  tournant qui va conduire à la massification, l’enseignement supérieur  est «bouleversé» par une «réforme» mal engagée (avant 1998) et mal  institutionnalisée (après cette date), suite à un remaniement  ministériel et donc mal appliquée. L’objectif de cette «réforme»  consistait alors en l’amélioration du rendement du système par une  organisation modulaire des enseignements et l’octroi de facilités de  passage d’année en année et de cycle en cycle. C’est aussi le début de  la fragmentation de l’université tunisienne, amorcée en fait en 1988, et  la multiplication des filières (filières professionnelles courtes,  filières scientifiques et techniques et, pour la première fois, filières  d’élite).
hauteurs de «Fej Errih» (1967) où la coopération internationale a  érigé le premier campus de Tunisie. Et, en dépit de sa dépendance  organique d’un Etat omniprésent et centralisateur, d’illustres pionniers  et hommes de volonté ont veillé sans partage à la qualité de ses  programmes et de ses diplômes, longtemps reconnus sans aucune réserve à  l’étranger.  L’arrivée dans les années soixante-dix des premières vagues  de docteurs consolidera l’œuvre des fondateurs. La croissance des  effectifs étudiants qui s’est affirmée dans les années quatre-vingt n’a  pas tardé à propulser l’université dans le champ économique. Mais la  sélection autorisait encore le maintien du niveau élevé des études.   Dans les années quatre-vingt-dix, la «mise à niveau» libérale s’étend à  l’université, exigeant un meilleur rendement, donc des taux de réussite  plus élevés, et un meilleur positionnement international du pays (par le  taux de jeunes de 18 à 24 ans inscrits à l’université). Dans ce  tournant qui va conduire à la massification, l’enseignement supérieur  est «bouleversé» par une «réforme» mal engagée (avant 1998) et mal  institutionnalisée (après cette date), suite à un remaniement  ministériel et donc mal appliquée. L’objectif de cette «réforme»  consistait alors en l’amélioration du rendement du système par une  organisation modulaire des enseignements et l’octroi de facilités de  passage d’année en année et de cycle en cycle. C’est aussi le début de  la fragmentation de l’université tunisienne, amorcée en fait en 1988, et  la multiplication des filières (filières professionnelles courtes,  filières scientifiques et techniques et, pour la première fois, filières  d’élite).
La baisse générale du niveau des formations
La construction de nouvelles institutions flambant neuves liée à la  nouvelle carte universitaire et à la diversification des filières ainsi  qu’à l’obsession des nouvelles technologies de l’information, choix  «stratégique» du nouveau ministre, détournait, dès 1999, l’attention de  l’autorité de tutelle de la finalisation de la réforme mal supervisée  par les conseillers de la rénovation universitaire. L’adoption de règles  de passage laxiste donnait lieu à des records de réussite étonnants,  performances accrues dès 2002 par l’inclusion de la moyenne annuelle de  l’année du baccalauréat dans la moyenne de l’épreuve. La nouvelle carte  universitaire approfondissait la fragmentation de l’université  tunisienne en plaçant les nouvelles créations dans des régions encore  non préparées à les recevoir. La massification est donc mise en marche  alors que la capacité d’encadrement des universités n’a pas progressé à  la cadence désirée malgré l’allègement des études doctorales par  l’institution de la thèse unique et l’habilitation universitaire (1993).  
  
  Tous ces choix portaient en germe la baisse générale du niveau des  formations sérieusement aggravée par la sous-qualification des  formateurs hâtivement engagés dans les nouvelles filières souvent sans  thèse et par la dégradation généralisée des usages linguistiques. Langue  d’enseignement de toutes les disciplines scientifiques et techniques,  le français est l’objet de tous les massacres. La situation n’est pas  meilleure dans les sciences sociales arabisées qui n’avaient droit qu’au  moins bien garni des paniers (entendre fond du panier) de l’orientation  universitaire.
  
  Mais au lieu de redresser la situation, la réforme LMD n’a fait que  pérenniser la détérioration du niveau général des formations et des  diplômes qui n’autorisait plus, déjà, l’équivalence aux diplômes  étrangers. 
  
  Mondialisation oblige, il fallait donc s’inscrire à tout prix dans le  processus de Bologne, encore une fois avec l’appui de le Banque  mondiale. L’université tunisienne se trouve ainsi confrontée à une  logique libérale d’adaptation au contexte «global», avec obligation de  résultat. Les objectifs retenus dans la note de cadrage de la réforme  établie en mars 2006 par la Direction générale de la rénovation  universitaire consistaient à «moderniser le système des diplômes  universitaires …, au niveau de la licence, du master et du doctorat  (LMD), en harmonie avec les normes et systèmes les plus évolués» et ce  en diversifiant les parcours et en restructurant les programmes, en  professionnalisant impérativement les deux tiers des formations, en  favorisant la comparabilité internationale et l’équivalence des diplômes  au moyen d’une échelle reconnue de crédits (visibilité internationale).  Le tout devrait se faire en trois ans (même si cela a duré plus  longtemps), avec nécessairement une généralisation au bout de douze ans.
  
  Ces délais supposaient une mise en œuvre à marche forcée qui ne voilait  qu’à peine le centralisme excessif de l’autorité de tutelle. En fait,  l’opération n’impliquait que des experts, conseillers du ministère au  sein de la rénovation universitaire, des commissions sectorielles  nationales ou de pilotage regroupant, sauf rares exceptions, tout le «  collège A » de chaque spécialité (maîtres de conférences et  professeurs), ainsi que des représentants de l’environnement  socioéconomique (souvent absents). Dans les établissements  d’enseignement, les collèges pédagogiques étaient maintenus dans un état  de dépendance totale, attendant le dernier feu vert de la commission ou  le bon canevas de programme qui n’arrivait pas toujours à temps. A  l’approche de la fin des délais, sous prétexte des «limites de la  patience présidentielle», on en est venu à imposer des licences déjà  entérinées par la commission sectorielle à d’autres établissements qui  n’en voulaient pas tellement ou des libellés de licences  (professionnelles) auxquelles manquaient encore les programmes  d’enseignement. Quant au système de crédit à l’international prévu par  la réforme, il est abandonné sous la pression d’une population  estudiantine habituée aux facilités de passage et au succès facile. On  se contentera donc des moyennes obtenues par la compensation des notes  des unités d’enseignement enseignées. Ceux des étudiants qui choisiront  d’avoir les crédits pour toutes les unités d’enseignement ont la  possibilité de repasser, à brefs délais et sur leur demande, les examens  dans les unités pour lesquelles la note obtenue est inférieure à dix.
L’université tunisienne à la recherche d’un nouveau projet
Autre aspect de la réforme et non des moindres, la démarche qualité a  eu beaucoup de mal à s’accomplir aussi, car les «comités qualité» des  établissements n’ont fonctionné que pour élaborer des rapports  d’évaluation interne globalement descriptifs. Les rapports d’évaluation  externe que l’«Instance indépendante de qualité et d’accréditation»,  créée par la loi du 25 février 2008, devait élaborer se faisaient (par  petites grappes d’institutions) par les experts d’une commission plus  ancienne (Commission nationale d’évaluation) sur la base d’un guide de  références préliminaire sommaire. D’ailleurs, les recommandations que  les experts désignés soulignaient, ne donnaient pas lieu à des suites  utiles aux établissements évalués. Plus coûteuse, la certification des  formations, deuxième ressort de la qualité, n’a pas connu de début de  concrétisation.
  
  En fait, seuls les projets PAQ (Programme d’appui à la qualité de  l’enseignement supérieur) engagés pour améliorer la qualité académique  et la performance institutionnelle grâce à des fonds et selon les  méthodes de gestion de la Banque mondiale (2006-2011-2013) ont produit  des effets louables sur les établissements qui en ont bénéficié. 
  
  Quant à la contractualisation universitaire, mise en route pour préparer  l’autonomisation des universités et des établissements de tutelle, elle  a entraîné ses artisans dans un imbroglio impénétrable que toutes les  équipes (par université) qui en avaient la charge n’ont pas su  maîtriser. L’opération devait permettre de passer d’une gestion annuelle  à une gestion stratégique pluriannuelle articulée sur un système de  gestion par objectif, cadre de dépense (ou contrat-programme) à moyen  terme (CDMT), procédure de planification demeurant ambiguë et sans guide  de références préétabli (ou d’indicateurs) nécessaire au suivi des  objectifs spécifiques et des réalisations. 
  
  L’initiation balbutiante et trébuchante à la méthode de  contractualisation (méthode du cadre logique et CDMT) n’a pas empêché  les experts d’avancer (à tâtons) et de signer dans la précipitation les  «contrats de performance» (pour quatre ans) liant les universités et  leurs établissements à l’Etat. En fait, la désignation au mois de  janvier 2010 d’un nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la  Recherche scientifique a mis cette aventure en sourdine. Du coup, la  volonté de faire accéder les institutions universitaires qui le  demandent, sous conditions, au statut d’établissement public à caractère  scientifique et technologique (EPST) n’a pu être concrétisée.  Bref,  l’université tunisienne est aujourd’hui sans nouveau projet. Avec des  contrats de performance signés en 2010 et de nouveaux présidents élus  depuis 2011, elle ne parvient pas à acquérir la moindre autonomie.  L’ampleur prise par la regrettable affaire du «niqab» et l’opacité du  champ politique dans le pays n’ont pas manqué de faire de l’ombre à la  consultation nationale pour la réforme universitaire articulée depuis  janvier 2012 autour surtout du système LMD (étendu au doctorat en  janvier 2013), de la qualité et de la gouvernance dans l’enseignement  supérieur et de la conversion graduelle à la gestion par objectif «GBO»  (2013), appuyée seulement par des circulaires. Il est prévisible enfin  que la troisième et dernière phase transitoire n’apportera pas plus de  réponses aux problèmes de l’enseignement supérieur. L’encouragement des  technologies de l’information donne l’impression de déjà vu, de déjà  entendu.
Les effets pervers de la massification de l’enseignement supérieur
De ce bilan sommaire, il en ressort quatre constatations principales:
1. Engagée  de manière centralisée, parfois coercitive, la réforme LMD a été menée  dans la précipitation, sans se soucier de la qualité d’un «input» dont  les performances ont été artificiellement bonifiées par les facilités  d’accès et de passage.
  
  2. La  massification de l’enseignement supérieur que ces facilités ont  rapidement générée, compte non tenu aussi des capacités existantes  d’encadrement, a produit une baisse générale du niveau scientifique des  apprenants, amplifiée par la dégradation de leur savoir linguistique et  par le recours (obligé !) à l’emploi de vacataires et/ou de contractuels  encore mal préparés scientifiquement et pédagogiquement à  l’enseignement supérieur.
  
  3. Avec des  centaines de libellés de licence montés le plus souvent sans références  épistémologiques et sans étude de marché, le système devient illisible  pour le bachelier en phase d’orientation et pour le futur employeur  potentiel. Il ne favorise pas la spécialisation progressive des études  permettant aux étudiants d’évoluer vers une vraie qualification.
  
  4. La  professionnalisation des parcours n’a pas amélioré l’employabilité des  diplômés. Elle a tout au plus diversifié l’offre d’emploi sans atténuer  le chômage et le «mal-emploi». A vrai dire, l’efficience d’un tel parti  est quasi nulle quand le tissu industriel est embryonnaire. D’ailleurs,  biaisée par l’indigence de l’environnement économique des sites  universitaires intérieurs, la (fausse) décentralisation universitaire  n’a pas réussi à sédentariser le personnel enseignant débutant qui ne  parvient pas à nouer des relations étroites et durables avec le milieu  professionnel local quand il existe, et encore moins d’attirer de  grosses pointures de l’enseignement supérieur susceptibles de prendre en  charge, sur place, la formation des formateurs par la recherche. 
  
  5. Malmenée  ou bâclée selon le cas, la politique de la qualité et de la  contractualisation n’a pas permis d’amorcer l’autonomisation des  universités. L’autorité de tutelle n’a pas compris que la modernisation  de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, dont le  système LMD est un élément, est un processus complexe qui s’inscrit dans  la longue durée et que les changements ministériels, toujours  prévisibles, ne devraient pas interrompre. Il est clair que le bilan de  près de vingt ans de réformes est pour le moins peu réjouissant. Il est  donc urgent aujourd’hui d’engager une réflexion profonde et collective  sur le dépérissement de l’université tunisienne, avant de concevoir un  plan de réforme et de mise à niveau à moyen et à long termes. A ce  sujet, quelques suggestions pourraient être avancées:
- A l’ère de la mondialisation, il est difficile d’envisager  l’abandon du système LMD et dépendances. Toutefois, dans le contexte de  la révolution tunisienne, il est impératif d’adapter le système, en  suivant une démarche participative et consensuelle, aux objectifs de  cette révolution, sans doute pour l’excellence, mais aussi pour  l’égalité des chances et contre le chômage et le mal-emploi.
 
- La restauration du système LMD dépendra des moyens à mettre en  œuvre pour améliorer la qualité de l’«input» et de la volonté de revoir  les règles d’accès et les facilités de passage à tous les niveaux du  cursus de formation. Elle exige de simplifier la matrice des formations  pour une meilleure lisibilité des parcours, d’alléger les examens en les  rationalisant, de favoriser la mobilité des enseignants et de  promouvoir simultanément la formation des formateurs/encadreurs par la  recherche.
 
- Dans le contexte national et international actuel, l’université  tunisienne ne peut plus se contenter de ses fonctions académiques  traditionnelles. Elle est appelée à renforcer le «Partenariat  université-entreprise» afin de faciliter les stages des étudiants et  l’insertion des diplômés dans la vie professionnelle et de faire  bénéficier l’entreprise d’un transfert de connaissances orienté vers  l’innovation et la création de start-up  dans les domaines des  technologies de l’information, des biotechnologies, des nouveaux  matériaux, des nanotechnologies, et des services à l’entreprise et aux  ménages. Ce partenariat placera l’enseignement supérieur et la recherche  scientifique au cœur de la politique de développement des activités à  forte valeur ajoutée qu’un nouveau code des investissements devrait  promouvoir en toute priorité. La réussite d’un tel partenariat dépendra  des mesures d’encouragement que l’Etat est en mesure de consentir à  cette fin aux entreprises partenaires (financements incitatifs et  allégements fiscaux…).
 
- L’instauration d’un système d’assurance-qualité indépendant qui  établirait le manuel des procédures, le guide des standards de qualité  et des références d’accréditation et le guide des bonnes pratiques,  évaluerait les universités et leurs institutions, accréditerait les  formations, veillerait à la comparabilité internationale des diplômes  délivrés et auditerait l’Instance d’évaluation elle-même.
 
- Face à la massification, l’expansion des universités tunisiennes réside dans leur regroupement en communautés d’enseignement et de recherche ou en pôles géographiques réunissant toutes les institutions à caractère universitaire situées dans le même territoire où les synergies l’emporteraient sur la concurrence, où l’apport particulier de chacune des parties contribuerait au succès du tout universitaire, où la mobilité des étudiants et des compétences scientifiques et pédagogiques conforterait les maillons les plus faibles, et où la gestion administrative gouvernancielle, dûment assouplie et décentralisée, aiderait à concevoir et exécuter de bons contrats de performance.
Il ne suffit pas de rappeler l’urgence d’un plan de redressement de  l’enseignement supérieur, en attendant le bon moment pour intervenir. Le  bon moment, c’est maintenant. Il faut donc se presser d’agir. 
  
  L’«émergence» de la Tunisie, et plus généralement son développement,  dépendront, entre autres, de la qualité et de la vitalité de ses  universités.
H.D.
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Mr.Dlala, Vous faitesun constat réaliste et clair de l'Université tunisienne.Toutefois,vous oubliez de mentionner que ce qui a coulé cette Université plus que le système LMD,ce sont les relations régionales,le copinage,et le clientélisme qui passent avant toute compétence au niveau des concours de recrutement,des Doctorats et des Mastères.Je ne pense pas que les choses aient changé aprés la "Révolution"!!!! Professeur Skander Ounaies
 
 
							 
 
							 
 
							 
  
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
 
           		 
           	 
           	 
           	 
           	 
				 
				 
				 
				 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			 
 
			