Opinions - 09.03.2014

Terrorisme - A menace transnationale, traitement international

Ripostant à la recrudescence de la vague terroriste, la Tunisie organise sine die une conférence nationale, mais la lutte gagnerait à s’inscrire dans une coordination à l’échelle maghrébine, sahélienne, voire internationale, pour tarir la source du fléau dans des pays comme la Libye, devenue un vaste champ d’activités pour les réseaux terroristes transnationaux.

Lors de son interview télévisée lundi soir, le chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa a fait l’impasse sur la Libye en évoquant le volet sécuritaire. Sciemment? «Il ne faut pas parler de corde dans la maison d'un pendu», dit le proverbe français.

M. Jomaa a en revanche évoqué la bombe à retardement du retour de nos djihadistes de Syrie. Rien de plus que ce que savions déjà.
   
Se voulant rassurant, M. Jomaa a fait état d’«une collaboration sécuritaire opérationnelle avec nos frères algériens, mais aussi avec le Maroc et les Etats-Unis, qui vont nous aider matériellement» dans la lutte anti-terroriste. 

Une conférence nationale ‘bis’

Autre signe plus rassurant: l’annonce samedi de la tenue sine die d’une conférence nationale sur la sécurité et le terrorisme, et qui a fait l’objet d’un accord entre M. Jomaa, et les dirigeants des 26 partis politiques représentés à l’Assemblée nationale constituante (ANC).

La veille, le président de la haute instance politique du parti Al-Joumhouri, Ahmed Nejib Chebbi, avait proposé, concrètement, la mise en place d’un Conseil transitoire de sécurité nationale, d’un Fonds national de lutte contre le terrorisme, d’une agence de renseignements commune (Armée, Police et Garde nationale), et plaidé pour la promulgation d’une loi spécialement destinée à assurer la prise en charge des familles des membres des forces de l’ordre, militaires et civils, victimes du terrorisme.

En septembre dernier, l’universitaire et spécialiste des mouvements islamistes Alaya Allani avait, lui, plaidé pour la reprise en main par les autorités de tutelle des mosquées actuellement sous l’emprise des courants radicaux, le contrôle des cours de théologie, le recyclage du cadre religieux, la réforme du système éducatif, la mise en place d’un plan urgent de développement des zones défavorisées et une plus grande coordination avec les services de renseignements des pays voisins, en matière de terrorisme.
   
Or, en juin dernier, une Conférence nationale de lutte contre la violence et le terrorisme -organisée sous l’égide de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (LTDH), et l'Association nationale du Barreau – a été émaillée de tensions et boycottée dès son ouverture par plusieurs partis, dont Ennahda au pouvoir.

La Conférence avait certes adopté une ‘charte nationale’ stipulant la nécessité de lutter contre le terrorisme, la haine et l'intolérance, de maintenir la politique en-dehors de toutes les institutions de l'État, de l'école et des lieux de culte. Mais ces recommandations sont restées lettre-morte, ou presque.

Terroristes ‘made in Tunisia’

Près d’un mois plus tard, le pays a été effet ébranlé par l’assassinat de l’opposant et député de l'ANC, Mohamed Brahmi. Son meurtre, ainsi que celui, en février 2013, d’une figure de proue de l'opposition de gauche Chokri Belaïd, ont été attribués par les autorités à Ansar Al Charia, un groupe djihadiste accusé d'être lié à Al-Qaïda.

Et la dérive terroriste est allée crescendo des montagnes de Chaambi jusqu’à Jendouba, respectivement sur les frontières centre-ouest et nord-ouest avec l'Algérie, en passant par la proche banlieue de Tunis.

Profitant de l’état de désordre, les terroristes ont élargi leur théâtre d’opérations aux zones urbaines, en adoptant les modes opératoires de leurs aînés d’Afghanistan, d’Irak, d’Algérie… : voitures piégées, ceintures explosives, faux barrages, port du ‘niqab’ pour se dissimuler...

Cependant, à l’exclusion de deux Algériens impliqués dans l’attentat à Jendouba, les terroristes présumés restent jusqu’à présent un pur produit local, n’ayant apparemment pas de lien avec l’hydre djihadiste tentaculaire transnationale.

Donc, même si par miracle une conférence nationale à  laquelle hommes politiques et experts ont appelé de tous leurs vœux arrivait à tarir les sources locales du terrorisme avec la contribution des citoyens, particulièrement à l’effort de recherche de renseignement, celle-ci risquerait d’être  alimentée de djihadistes non-Tunisiens, à partir de pays limitrophes, en particulier la Libye, ou depuis le Sahel africain: une triste réalité que la Tunisie ne peut pas ignorer, sous peine de se fourvoyer.

La Libye, talon d’Achille

La Libye, avec un Etat déliquescent et des institutions quasi-inexistantes, est devenue depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, et surtout après la débâcle des groupes djihadistes au Nord-Mali suite à l'opération Serval de l’armée française, l’épicentre de la menace terroriste internationale et «un incubateur pour les extrémistes», selon  le directeur du renseignement américain (DNI), James Clapper.

Le sud libyen, livré à l'anarchie et à la loi des milices armées, échappe au contrôle du pouvoir central. Ainsi, la ville de Derna, au nord, est devenue «la capitale du terrorisme international», de l’avis de l’historien et journaliste américain Webster Griffin Tarpley.

Il semble donc que la Libye s’est clairement installée dans le chaos et que la transition démocratique est de plus en plus incertaine, comme en témoignent les attaques et les assassinats quasi-quotidiens ayant pour cibles responsables politiques, forces de l’ordre, expatriés…

La présidence tunisienne avait certes ordonné en 2013 la création de zones militaires, ou zones «tampons», à ses frontières terrestres avec la Libye et l'Algérie, terres de passage prisées par les contrebandiers et les terroristes, mais la porosité des frontières, notamment celles avec la Libye, longues de près de 500 kms, demeurent une source intarissable d’armes, de munitions et d’explosifs et un champ libre aux terroristes. Bref, une passoire qui ne fait que compliquer les choses. Sans compter les frontières maritimes et aériennes.

D’où la nécessité  de  mettre en œuvre un  plan de contrôle des frontières nationales, et en première urgence celles avec la Libye, dont le point de passage de  Ras Jédir est fréquemment fermé en raison de perturbations des deux côtés.
 
Mais, face au caractère transnational des menaces terroristes, la Tunisie a tout intérêt à favoriser, parallèlement à la conférence nationale, une réelle coordination au niveau international, en particulier avec les pays maghrébins et sahéliens, ainsi qu’avec la France et les Etats-Unis.

Ces deux pays, inquiets de l’anarchie qui règne en Libye, de son impact sur la sécurité mondiale et aussi sur la production pétrolière du pays (tombée à 250.000 barils/jour, contre un 1,5 million/jour auparavant), ont fait le choix de déployer discrètement sur le terrain des forces spéciales pour mener des opérations chirurgicales afin de décapiter les groupes armés.

Conférence internationale sur la Libye: «c’est très tard»

D’ailleurs, la Tunisie a participé jeudi à Rome à une Conférence internationale qui visait à encourager le dialogue national en Libye et à soutenir la reconstruction des forces armées libyennes pour les aider à sécuriser le pays et ses frontières.

Lors de cette conférence, les pays occidentaux ont exprimé leurs «inquiétudes» et appelé Tripoli à « faire davantage pour instaurer un vrai «dialogue national», pour assurer la stabilité politique dans le pays.

Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a fait état d'une initiative franco-allemande pour la construction et la « sécurisation » de dépôts d'armes qui  ont proliféré depuis la chute du régime de Kadhafi.

«La Conférence intervient tard, très tard, parce qu'aujourd’hui, à la fois le gouvernement et le Parlement libyens sont menacés dans leur sécurité même et dans leur fonctionnement», a estimé Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève.

« Les forces de sécurité libyennes sont complètement dépassées (…). Des milices ne veulent pas désarmer, ne veulent pas intégrer le noyau de l’armée qui est toujours en construction », a ajouté Abidi à RFI. Selon lui, « ce qui est demandé à la communauté internationale  « c’est surtout d'aider le gouvernement libyen à sécuriser ses frontières. Je pense à celles du sud qui reste une passoire très importante».

http://www.rfi.fr/afrique/20140306-libye-conference-rome-intervient-tres-tard-hasni-abidi/

La Conférence s’est tenue trois jours après un assaut donné par des manifestants au Congrès national général (CNG), le dernier bastion de «légalité» à Tripoli.

Armes anti-aériennes et antichars pakistanaises

La nécessité d’une coopération internationale est d’autant plus impérieuse que la menace terroriste pourrait être amplifiée si les groupes, déjà surarmés, dans les camps d’entraînement du sud libyen, entraient en possession de nouvelles armes performantes, notamment anti-aériennes et antichars, que le Pakistan a promis de fournir aux groupes rebelles syriens, via l’Arabie saoudite.

Selon des sources concordantes, Ryad a eu des pourparlers avec Islamabad pour se procurer de telles armes, afin de les fournir aux rebelles syriens basés en Jordanie, l'objectif étant d’abord de renverser l’équilibre des forces sur le terrain, puis de déboulonner le régime de Damas.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, s’est dit «profondément préoccupé» à l’idée que cette fourniture d’armes pourrait modifier les rapports de force entre insurgés et loyalistes, le régime syrien disposant, pour le moment, de la suprématie aérienne.

L’autre objectif, le principal, de l’Arabie saoudite et du Pakistan, majoritairement sunnites, est de contrer l'influence croissante du rival iranien, chiite, dans la région. Et ça passe par la destitution de son principal allié dans la région, Bachar Al-Assad.

L’Arabie saoudite - naguère encore deuxième fournisseur, légèrement après la Tchétchénie, de djihadistes en Syrie - vient de décider de fermer le robinet en interdisant aux Saoudiens de se porter candidat au ‘jihad’, craignant  l’effet boomerang et pour soigner son profil face à l’Occident.

http://www.leaders.com.tn/article/quelles-solutions-pour-nos-djihadistes-de-retour-du-maquis-syrien?id=13429

Ces armes performantes tomberont entre les mains des ces «djihadistes sans frontières» (Par ordre d’importance numérique: Tchétchènes, Saoudiens, Irakiens, Libanais, Turcs, Libyens, Tunisiens, Allemands, Français…) qui ne tomberont pas «en martyrs» et qui pourraient s’infiltrer en Tunisie par la passoire libyenne. Ce n’est pas très rassurant!

Habib Trabelsi

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3 Commentaires
Les Commentaires
T.B. - 09-03-2014 11:02

Si vous permettez,Mr,le mot que vous employez souvent et transcrit à la manière des francais, n´est pas correctement transcrit quant à la phonétique, Il s´agit du mot "djihad" la prononciation exacte c´est "jihad" sans d , les francais l´ont ´deformé pas pour rien, la langue , comme la religion, peut être instrumentée au service de la politique. Pour "je bel", les francais disent "djebel,"on vois ca sonne très different à l´oreil entre "je bel" et Djebel" , on dit aussi ( si djebel ou je bel ne va pas à Mohamed, Mohamed va au djebel ou jebel). Vous voyez Mr. les francais connaissaient bien le djebel ou jebel depuis la colonisation. Je ne vais pas faire de commentaire à votre article, vous l´avez dit avant, seulemnet j´ai un mot à dire sur l´arabie saoudite, ce pays a fait tombé des Empire en l´occurrence l´Union Sovietique, et vou vous trompez sur lui. Je n´ai jamais vu un dirigeant occidental dire un mot malplacé sur l´Arabie Saoudite, et vous êtes le seul à faire face à ce pays. Donc dire que l´arabie saoudite a peur de quiconce meme américain c´est ne rien connaitre au pouvoir de l´argent. En plus l´Arabie saoudite ne soutien pa le terrorisme, elle ¨travaille très etroitement avec les américains.Ils sont Presque des jumeaux.Politiquement je ne soutient pas les saoudiens mais cela ne m´empêche pas de dire ce que je pense comme vrai.

Habib Trabelsi - 10-03-2014 02:20

Cher T.B. Je vous l’accorde pour Jihad, Djihad, ou djihâd…Jebel, Djebel, jabal, djabal, ou jbel …Jin (ne pas confondre avec le Gin), Djin, ou Djinn... Peut-être une altération qui provient de la prononciation du ‘J’en anglais [d?e?]. Jihad est plus conforme ‘phonétiquement’ à (????). Mais je ne vais pas me livrer ici & maintenant à une acrobatie phonético-morphologico-lexicologique ( !), ou à une analyse des connotations racistes/politiques… pour démontrer l’instrumentalisation de la langue ou de la religion…. Quant à la citation, déformée et sortie de son contexte: elle est extraite de la fameuse correspondance particulière de Jean d’Alembert avec Voltaire (D’Alembert était à Lyon, le 28 juillet 1756. Voltaire à Genève. Le premier écrivait : «Puisque la montagne ne veut pas venir à Mahomet, il faudra donc, mon cher et illustre confrère, que Mahomet aille trouver la montagne…… », et que je vous invite à lire. Elle me fait penser à la fameuse recette de Charles Marx (BIEN CHARLES MARX, et non KARL MARX, celui que vous connaissez peut-être. CF Google) plus que jamais d’actualité : « Les chefs doivent descendre parmi les masses et se faire élever par leur caractère révolutionnaire à elles. ». « Si les chefs ne veulent pas aller parmi les masses, il faut que les masses aillent trouver leurs chefs et les ramènent nolens volens à elles ». « Ce n’est pas aux chefs de se donner un peuple selon leurs souhaits (…) mais bien au peuple de se donner les chefs qui œuvrent selon ses vœux. Et si le peuple doit redescendre dans la rue et aller les tirer par la cravate pour affirmer ses choix, qu’il le fasse! Si peuple veut, peuple peut! ». Quoi de plus édifiant !!!! Je vous fais l’économie d’un long topo sur l’Arabie saoudite qui fait l’objet de mes préoccupations depuis près de 30 ans et que je connais sous toutes les coutures. Même les Saoudiens les plus obtus ne vous l’accordent pas. Merci toutefois d’avoir lu le texte et surtout d’y avoir réfléchi.

Habib Trabelsi - 10-03-2014 02:38

@Sofiene Benhmida. Venant de la part d’un journalistre ILLUSTRE & intègr (je dis bien INTEGRE), ce témoignage m’honore. Je lui signale par la même occasion la version réactualisée et remaniée qui a échappé à la vigilance habituelle de ‘Leaders’ : http://www.saudiwave.com/fr/articles/44-articles/4442-terrorisme-a-menace-transnationale-solution-multinationale.html

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