News - 24.12.2013

Les cafouillages de la diplomatie tunisienne

Début décembre à Conakry, capitale de la Guinée, la Tunisie a échoué à imposer son candidat au poste de secrétaire général adjoint de l’Organisation de la Conférence islamique. C’était au cours de la 40ème session du Conseil des ministres des Affaires étrangères. Il faut remonter très loin dans le temps pour voir notre pays occuper un poste de premier plan au sein de cette organisation dont il fut membre fondateur. C’était au début des années 1980 quand feu Habib Chatty en fut le secrétaire général. Ce fut lui d’ailleurs qui lui donna ses lettres de noblesse et contribua dans une large mesure à son rayonnement.

Un échec programmé

Il faut dire que ce dernier échec était programmé. Et ce, malgré la présence du ministre des Affaires étrangères, Othmane Jerandi, à la réunion de Conakry pour «mobiliser le soutien» de ses homologues autour de la candidature tunisienne. Selon une source diplomatique tunisienne qui a requis l’anonymat, ce soutien ne peut être assuré à la dernière minute. Une candidature, pour avoir des chances d’aboutir, doit  être préparée au moins une année à l’avance, ajoute notre source. Le premier pas consiste à s’assurer que la Tunisie présente une seule candidature. Or ce ne fut pas le cas. Aux côtés du candidat officiel soumis par le ministère des Affaires étrangères, en l’occurrence Abdallah Triki, secrétaire d’Etat aux Affaires arabes et africaines du gouvernement Hamadi Jebali, une autre candidature, celle de Habib Kaabachi, directeur des affaires arabes au sein du secrétariat de l’OCI, était sur la table. Bénéficiant de l’appui du secrétaire général sortant, le Turc Ihsanoglu, cette candidature a obtenu aussi le soutien de la Kasbah et de Carthage lors du passage de leurs deux locataires Larayedh et Marzouki à Djedda, siège de l’OCI. Cette dualité ne pouvait qu’amoindrir les chances de la Tunisie. Bien que la seconde candidature fût retirée, le mal était fait.

Garantir au moins le soutien maghrébin

Le second pas aurait dû être celui de garantir à la candidature tunisienne l’appui des pays du Maghreb. Il n’en fut rien, puisque l’Algérie et le Maroc présentaient chacune un candidat à ce poste. Or ces deux pays avaient occupé la fonction de secrétaire général adjoint de l’OCI, ce qui n’a jamais été le cas de notre pays. Si la question a été inscrite à l’ordre du jour d’une réunion maghrébine, il y a des chances  que la candidature tunisienne serait devenue celle des cinq pays de l’UMA. Le troisième pas aurait consisté, pour le ministre des AE, de  profiter d’une réunion de la Ligue des Etats arabes pour soulever la candidature tunisienne avec ses homologues et jauger leur attitude à son égard. Cette étape est d’une importance capitale car le poste auquel la Tunisie a présenté un candidat est soumis au choix du groupe arabe de l’organisation qui regroupe  les  22 Etats membres de la Ligue. Entre-temps, le ministre aurait dû adresser à tous ses homologues arabes une lettre officielle sollicitant leur appui à cette candidature. La lettre devrait être remise en main propre au ministre ou à un haut cadre de son département par l’ambassadeur tunisien.

L’envoi d’un émissaire

Pour augmenter les chances de la candidature tunisienne, l’envoi d’un émissaire accompagné du candidat tunisien dans les capitales arabes devait être envisagé. Un tel geste est hautement apprécié. Une autre démarche est absolument indispensable. Compte tenu de la position privilégiée de l’Arabie Saoudite au sein de l’organisation islamique, un envoyé spécial du président de la République auprès du Souverain saoudien pour solliciter son appui est de première importance. Et ce à double titre, le siège de l’organisation se trouve à Djedda alors que le nouveau secrétaire général, élu en février 201 ?, est un Saoudien. M. Iyad Madani qui est aussi un ami de la Tunisie. Le président égyptien par intérim s’est fait accompagner par le candidat égyptien dans sa visite officielle à Riyad, observe notre source diplomatique. Dans tous les cas, un comité devait être constitué au ministère des Affaires étrangères composé de hauts cadres de la Direction générale du monde arabe en charge de la question  et de responsables ayant une connaissance  du dossier de l’OCI pour piloter cette candidature et suivre de près toutes ces étapes. Rien de tout cela n’a été fait. Le professionnalisme dont notre diplomatie a fait montre dans le passé a laissé la place à un amateurisme préjudiciable à l’image de notre pays.

Porter atteinte au prestige du pays

Ce cafouillage nous a coûté non seulement un poste de première importance mais il a porté atteinte  au prestige de notre pays puisque notre candidat a été éliminé dès le premier tour du vote, n’ayant recueilli qu’une ou deux voix, selon notre source,  loin derrière l’Egypte et le Yémen qui ont concouru pour le dernier tour avant que le candidat égyptien soit finalement choisi. Ce n’est d’ailleurs pas le seul accroc de notre diplomatie. Faute de préparation adéquate, la Tunisie avait déjà perdu le poste de directeur général de l’Alecso dont le siège se trouve pourtant à Tunis. Au sein de la Ligue arabe où elle occupait le poste de vice-secrétaire général, notre pays devait se contenter du poste de directeur du bureau de Tunis laissé vacant depuis la fin de la mission de son dernier titulaire il y a plus de deux ans. La Tunisie pourrait, selon certaines sources, perdre le poste de secrétaire général de l’UMA qui a fait l’objet d’un deal avec le Maroc lors de la distribution  des postes à la fondation de l’ensemble maghrébin. Le poste de directeur général de l’Agence arabe de l’énergie atomique, dont le siège se trouve à Tunis et qui est dirigé actuellement par un compatriote, serait bientôt vacant et notre source craint qu’il n’échappe à un Tunisien.

Petit pays la Tunisie a fait de sa présence au sein des organisations internationales et régionales un atout pour sa diplomatie. Depuis plusieurs années et bien avant la révolution, notre pays perd au fil des ans des postes prestigieux, que ce soit à l’ONU, à la Ligue arabe, à l’Union africaine ou à l’OCI. Il est temps qu’une stratégie ambitieuse et vigoureuse soit mise en œuvre pour regagner ces positions qui ne peuvent qu’accroître le rayonnement de notre pays.

R.B.R.
 

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