Leïla Ben Youssef : Stanford, Médecine et Championne d'Afrique du Saut à la perche
Qui aurait dit que la petite fille du leader tunisien Salah ben Youssef deviendrait un jour une star mondiale du saut à la perche ! Leila Ben Youssef, tunisienne pur jus, et citoyenne du monde depuis sa naissance à Sydney, poursuit aux Etats-Unis une double carrière. Scientifique: elle est étudiante à la faculté de médecine de l'Université de Washington, après avoir obtenu son Bachelor degree en biologie humaine et son Mastere en Medical Anthroplogy à la prestigieuse université de Stanford. Et sportive: elle titulaire du record d’Afrique de saut à la perche.
Drapée des couleurs tunisiennes lors de Jeux Olympiques de Pékin, en août 2008, elle était la coqueluche des médias et du public. De toutes ses énergies, elle s’était préparée pour s’attaquer au record du monde. Mais, un accident de santé l’en a privée. Opérée aux Etats-Unis, la voilà rétablie et de retour sur la piste. L’arrivée de Fathi Hachicha à la tête de la fédération tunisienne d’Athlétisme lui donne des ailes. La Tunisie lui avait assuré le soutien de base dans un sport coûteux et exigeant. Déjà elle vient de battre son record de 4m, avec un bond de 4m30. Légitimement, elle aspire à plus d’encadrement pour de meilleures performances. De Washington, elle se livre, en exclusivité, pour Leaders.
Comment ont été vos débuts ?
J’ai commencé le saut à la perche au lycée en 1996, alors que ce sport n’était pas encore très féminin. J’ai eu la chance d’avoir dès le début un excellent entraîneur et c’est ainsi que j’ai pu gagner trois fois de suite le championnat de l’Etat où ou je réside, et plusieurs fois le championnat national américain junior, inscrivant nombre de records.
Evidemment mes performances scolaires et mes records sportifs m’ont facilité l’accès à l’Université de Stanford pour renforcer ses équipes et participer aux compétitions sous ses couleurs. Dans le système américain, il n’y a pas de clubs, mais vous représentez votre université.
S’entrainer à Stanford University est une grande expérience. Je n’avais jamais pensé, en y arrivant, de sauter à 4m. Déterminée à ne pas décrocher sans avoir réalisé ce record, j’avais pensé revoir cette performance à la baisse, mais, je me suis concentrée sur les entraînements en fixant bien cet objectif.
Mais comment étiez-vous venue au sport ?
En fait, j’ai grandi dans la région du Montana, une région rurale de l’Amérique profonde. Nous étions trois garçons et fille à être encouragés pour nous adonner au sport, dans différentes disciplines. C’est ainsi que j’ai tâté le Taekwando, le basket ball et la natation, tout en continuant à explorer la discipline où je pouvais progresser. Et ce fut le saut à la perche, le relais, et les courtes distances. J’ai adoré les défis physiques et psychologiques que pose le sport, ainsi que l’esprit de franche camaraderie qui règne entre les coéquipiers.
Et à la médecine ?
Depuis mon jeune âge, je voulais devenir Médecin. Le système américain est très différent du nôtre en Tunisie. On ne peut pas accéder directement depuis le lycée à la Faculté de médecine. Il faudrait avoir un Bachelor degree dans une discipline scientifique pour se porter candidat. Et c’est très serré comme sélection.
J’ai étudié la biologie humaine à Stanford, avec en complément, l’archéologie. J’avais eu l’opportunité, en suivant ma famille, d’étudier dans différents pays. A travers ces expériences, j’ai été témoin aux premières loges de la complexité de l’évolution des systèmes de santé et réalisé combien l’incompréhension culturelle peut affecter l’accomplissement de bonnes prestations et des soins de qualité.
J’ai surtout compris qu’être un bon médecin, ce n’est pas seulement bien connaître les fondamentaux scientifiques, mais aussi et surtout bien comprendre le patient, son vécu, ses pratiques, ses croyances et sa culture. Plus tard, je n’ai pas manqué de compléter mes études, toujours à Stanford, par un Master’s degree en anthropologie médicale, ce qui m’est très utile pour mieux comprendre et assumer mon rôle et établir un pont entre la médecine et la culture.
Après l'école, j'ai essayé des tas d'emplois à temps partiel pour financer mes entraînements. C’est ainsi que j’ai fait de l’enseignement à l'Université de Stanford. Cela m'a mis au défi de comprendre les programmes et a renforcé mon amour pour la science.
L’année dernière, j'ai entamé mes études à la Faculté de médecine, et bien que ces études soient difficiles, j'ai absolument aimé. J'espère poursuivre une spécialité qui me permettra de travailler à l’étranger et je me réjouis d'avance de revenir en Afrique.
Quels sont vos projets?
Peu de temps après mon retour des Jeux Olympiques de Pékin, j'ai découvert que ce que j'avais pensé être un muscle de l'abdomen fortement tiré, était en fait une tumeur qui pesait 3kg. Bien que je n'en aie pas tenu compte pendant des mois, la douleur a été si sévère pendant les Jeux que l'un de mes coéquipiers a dû me porter en dehors de la Cérémonie d'Ouverture car je ne pouvais même plus marcher.
Pourtant, ma détermination à représenter la Tunisie aux Jeux Olympiques m'a donné la force de continuer d’aller jusqu’au bout des compétitions. J'ai passé l'automne dernier à récupérer mes forces après l'opération et j’ai repris de nouveau les entrainements en hiver. J'ai eu la chance d'être admise au Centre d'Entraînement Olympique en Californie et à être formée avec les meilleurs sauteurs du monde.
Cet été, j’ai franchi 4.20m et je suis presque qualifiée pour les « Outdoor World Championship », étant tout près du minima requis (4.35m).
Je suis vraiment excitée pour la prochaine saison. Depuis que j'ai établi un record personnel et national tout en étant blessée, je sais que je peux sauter encore à des hauteurs plus élevées, maintenant que je suis en bonne santé.
Je m'entraîne actuellement à l'Université de Washington avec un groupe de sauteurs d'élite, des sauteurs en provenance du Canada et de tous les États-Unis. J’espère me qualifier pour les « Indoor World Championship 2010 » et battre le record d'Afrique.
J'aimerais bien représenter la Tunisie aux championnats du monde et aux autres compétitions internationales.
Comment votre famille vous soutient-elle ?
Ma famille m’a beaucoup soutenue. Tous m'ont encouragé tout au long de ma carrière et ont assisté aux épreuves auxquelles j’ai pris part. Le saut à la perche est un sport exigeant, tant physiquement que mentalement, mais le soutien affectif de toute ma famille élargie (parents et amis) a vraiment contribué à ma réussite.
Ce que la Tunisie a fait pour vous?
Avec ses ressources limitées, la Tunisie a été en mesure de me fournir un soutien minimal. Mais, vous comprendrez qu’il est très difficile de rester compétitive au niveau des élites dans un sport aussi coûteux. Le saut à la perche ne peut se faire que dans des installations spéciales. Il exige également un encadrement de haut niveau, des équipements et une assurance. Mais les athlètes tunisiens ont réussi malgré les obstacles. Le coureur Mohamed Gammoudi a remporté l'Or, l’Argent et le Bronze olympiques dans les années 1960.
Syrine Balti a été notre pionnière du saut à la perche femmes, et aujourd’hui nous avons Abderrahmen Temedda pour les hommes. J'espère que davantage de Tunisiens pratiqueront l'athlétisme, ce qui nous permettra de créer une tradition d’Excellence dans ce domaine.
Aujourd’hui, de nouvelles voies s’ouvrent à Leila pour se hisser encore plus haut et se parer des lauriers du succès. Bonne chance, Championne !