Opinions - 27.10.2013

Les grandes reformes à engager: Quelle trajectoire

Continuer à subir l’effet de la fatalité de l’évènement ou, en revanche, infléchir à la trajectoire du temps une autre direction pour assurer sa croissance à la vertu de grandes réformes, réfléchies et initiées, voilà deux voies, deux chemins qui conduisent à deux destinées différentes. Car rien n’arrive au hasard. Tout se prépare, se travaille, s’implante. L’action est le maître mot de l’évolution.

La Tunisie, est certes un petit pays par sa superficie, mais elle a été toujours  un grand pays par ses hommes et leurs aspirations. Ce peuple ne peut être cantonné dans des limites restreintes, étouffantes. Ses « gènes » lui insufflent liberté, modernité et grande ouverture. Ceux qui ont tenté de l’asservir, ceux qui ont essayé de le rendre à l’esclavage, de le soumettre, ont très vite saisi la grandeur et la noblesse de ce peuple épris de liberté et de grandes valeurs humaines et se sont vite rétractés ou réduits à lui concéder la place qui lui sied,  à le servir.

Aujourd’hui la Tunisie est presque à l’arrêt. Sa population est au désarroi. Les turbulences qu’elle traverse, les voix et discours qui s’interfèrent manifestent de l’imminence d’une dynamique de risque de chute, de déclin. Un certain nombre de formations politiques en présence tentent chacune en ce qui la concerne, selon son calendrier électoral mais aussi idéologique et culturel à entrainer ce peuple soit vers des modèles qui ont fait la preuve de leur échec dans l’histoire proche de notre pays et ailleurs soit vers des modèles d’idéologies religieuses, confuses et hétéroclites prônant la soumission au chef, au guide et d’asseoir ainsi le modèle du prêt-à-penser unique. Le pays longe, ainsi, un long et profond précipice qui risque de l’engloutir à jamais,  et de le renvoyer aux âges des ténèbres, de l’obscurantisme, de l’ignorance, en un mot vers l’échec. Où sommes-nous des slogans brandis et scandés lors de l’éclatement des évènements de Janvier 2011.

Aujourd’hui, en dépit des quelques « efforts » très timides qui se sont déployés pour tenter de sortir le pays de ses problèmes, de l’extraire de sa léthargie, l’essentiel des signaux demeurent au rouge. Il faut avouer que ces efforts ont été souvent confus, non réfléchis, cédant aux pressions de tout bord, conduisant vers nulle part. Pourtant, un autre sentier s’esquisse devant  la Tunisie à même de lui assurer son salut. Ce sentier est porteur des grandes réformes. Les défis se sont multipliés et se sont compliqués provoquant un risque de désarroi, de dispersion, de dérive. L’action trouve difficilement ses marques d’appui, son point de départ. Elle doit partir de grandes réformes après un diagnostic objectif global mettant en exergue ses grandes faiblesses mais aussi ses forces accumulées au cours des temps. Il n’y a pas lieu de tout détruire, de tout mettre en cause, mais de reconstruire sur les bases inébranlables de notre peuple un nouveau modèle, basé sur de grandes réformes, des réformes urgentes, qui ne laissent place à aucun fatalisme ou fatalité. L’espoir existe, il faut y croire.
   
Il faut rappeler avant toute chose que la reconstruction de l’économie exige la conduite d’une bonne politique celle qui doit veiller à assurer deux préalables : l’abandon des luttes intestines politiciennes en quête du pouvoir et la soustraction du rôle de la religion de la vie politique, la religion étant l’affaire de l’individu avec son créateur. Sous-jacent à ces problèmes, un troisième mal, non moins important, à éradiquer : la violence sous toutes ses formes, physiques et verbales notamment quand elle prend la forme d’une démarche organisée, structurée. Une nouvelle déontologie doit prendre place. Ces maux, contagieux par excellence, deviennent endémiques et se propagent dans la société, en cercles concentriques, pour gagner toutes les fines fibres  de la vie d’une société, sans ménagement, et venir à bout de ses forces vives et constructives.

Il est déplorable de constater que toute l’action  a été orientée jusque là pour privilégier l’urgence, l’immédiat aux dépens du moyen et long terme. Ceci a permis de nourrir l’individualisme au détriment de l’intérêt général, de développer et de renforcer les idéologies qui couvent les extrêmes, développer et renforcer les idées refuges qui présentent une assurance fictive et font éclore l’extrémisme dont le terrorisme n’en est qu’une facette, une forme d’expression.

Aussi les élites doivent-elles prendre conscience du danger, de sa dimension sociale, culturelle, économique et politique. Elles doivent prendre conscience de la dérive du pays. Les élites, hommes et femmes, mais aussi les humbles citoyens doivent tous réagir vite, sans délai mais avec audace, car le monde qui est en plein bouleversement risque de les balayer s’ils s’arc-boutent  derrière une prudence excessive, derrière l’inaction.

L’action peut être orientée vers plusieurs chemins, s’articuler autour de plusieurs axes. Elle doit être menée de front, de concert avec l’abnégation que nous confère notre croyance en nos valeurs pour la modernité, la liberté, la justice mais aussi la croissance, l’emploi digne, l’honorabilité. Car bégayer dans la mise en oeuvre des programmes conduit inévitablement à l’action paralysante, celle menée par les courants qui craignent une perte de privilèges dans la concrétisation de l’action salvatrice.

Le pays constitue un véritable chantier ouvert. Les réponses à mener sont nombreuses. Il va falloir sélectionner celles qui auront le plus d’impact sur les hommes, sur leur psychologie, celles qui auront le plus d’effet sur les régions en vue d’en atténuer les inégalités, sur l’éthique pour restaurer plus de justice, sur l’économique pour engranger plus de croissance et donc d’emploi et moins de chômage.

L’inaction nous imposera, par un monde en pleine ébullition, une médication forcée, dure et douloureuse dont l’effet n’est pas forcément le rétablissement du pays, sa remise en forme. Il faudra réfléchir à une médication propre à nous et à laquelle adhèreront toutes les composantes du pays sans distinction ni politique ni idéologique. Patronat et partenaires syndicaux, mouvements de droite, de gauche et du centre, organisations de la société civile, doivent conclure le pacte de l’éveil national, du sursaut collectif pour que dans cinq ou sept ans le pays fasse de nouveau surface, recouvre sa santé, renoue avec la croissance dans un climat de symbiose totale loin des déchirements électoralistes.

Quelles sont donc ces réformes ;

Il y a tout d’abord les réformes qui tendront de restaurer le statut et le prestige de l’Etat. Celui-ci doit pouvoir exercer son pouvoir et ses attributions fondamentales, sur tout le territoire, sans contrainte aucune dans une discipline qui, bien entendu, ménage et respecte les droits universels de l’humanité mais réprime les forces obscures d’exclusion. Il y a ensuite la palette de réformes économiques et financières qui tendront à extraire les forces qui font obstacle à l’élan national et à insuffler une nouvelle âme dans l’organisme qu’est le pays.


Mais avant de dresser les grands axes, il est indiqué de mettre l’accent sur certains moteurs de la croissance et de la culture. Il y a, tout d’abord, l’entreprise, le premier maillon de la chaine  qui va esquisser le trajet, voire le dessein d’une société, d’un pays. Quels sont ses fondements, ses fonctions, ses avantages, ses structures, des questions qui vont occuper l’entendement des dirigeants tout au long de sa progression, par corrections successives, et ajustements adéquats pour conférer à cette entité dynamisme, modernité, efficience et pérennité. Ensuite l’enseignement, le fonds de la toile. De l’envergure de cet enseignement dépendra l’étendue culturelle de la société dans laquelle on évolue, sa perspicacité, sa verve. L’enseignement dans ses différents stades, ne laissant rien au hasard, basé sur la qualité et non la production de masse, produisant l’élite en rapport tout d’abord avec les fondements socioculturels du pays mais aussi en étroite relation avec des prolongements géopolitiques et l’environnement proche et lointain, plus planétaire que restreint pour lui attribuer le rayonnement approprié dans ses composants qui sont la mobilité, l’aisance dans la fonctionnalité, l’adaptabilité, sa capacité à épouser les milieux dans lesquels il est appelé à s’ancrer. Un enseignement basé et ouvert sur l’entreprise, ses fondements mais aussi les aspirations du moment et celles rapportées au futur.

L’enseignement doit développer très tôt l’esprit de recherche et d’entreprendre, innovateur, créateur, édificateur. Les différents paramètres de l’innovation-création sont intimement liés et doivent être inculqués à un stade avancé de l’enseignement. Un projet d’élitisme et non de masse qui doit être édifié.

Il y a, ensuite, dans le même objectif et le même rythme  d’urgences, la R & D, la recherche et  le développement. Il y a, par ailleurs l’organisation administrative et juridique du pays qui doit être orientée vers plus de décentralisation et de responsabilisation. Il y a, enfin mais non le dernier, le couple scellé de la finance et de la fiscalité qui doit assurer cette avancée du pays vers le succès, vers la consécration d’une économie extravertie, puisant ses sources dans nos fondements socioculturels et  qui formeront la dorsale  pour nous permettra d’entrer de plein pied dans les valeurs planétaires qui constituent la force des puissances de notre Terre.

Ceci étant, les réformes qui constituent nos urgences et nous assureront de relever le défi peuvent être regroupées en quatre grands axes :

  • Tout d’abord, l’axe d’information, de communication  et de mobilisation des citoyens, dont l’objectif est de définir clairement les problèmes, de les communiquer sans détours et de préciser les mesures à prendre avec le courage et l’audace qu’exige parfois la portée impopulaire de ces mesures. Ce point doit inclure l’engagement de l’Etat à honorer ses engagements, message adressé à la communauté internationale, notamment aux marchés financiers et aux     fournisseurs et partenaires commerciaux de la Tunisie.
     
  •  Le second axe porte sur la politique monétaire et fiscale : qui exige un assouplissement des mesures d’austérité qui ont freiné la consommation et un soulagement de la pression fiscale et du coût du travail. Ce volet doit inclure les mesures qui seraient prises lors du budget 2014 visant à accorder des avantages fiscaux pour la création d’emplois. L’objectif est de soulager les charges de l’entreprise et lui conférer de nouveau son potentiel compétitivité fortement secoué. La réforme de la Banque ne doit pas être du reste et les autorités se devront d’œuvrer pour réhabiliter une bonne éthique financière. La politique fiscale doit instaurer une pénalisation coercitive pour lutter contre le commerce parallèle et la contrebande.
     
  • le troisième  est l’axe social qui   doit porter deux vecteurs clés : le premier a trait au pacte social qui doit instaurer, par consensus national, une paix sociale pour la durée du programme de salut, le second visant à défendre et à protéger le pouvoir d’achat du citoyen non par une politique d’ajustements des salaires mais plutôt par une maitrise des charges et des prix.
     
  • Le quatrième et dernier axe a trait au programme de croissance et de développement : il faut écarter les promesses vaseuses et annoncer des programmes de création de projets à l’échelle des  régions qui auront le mérite, parce qu’adroitement conduits selon un calendrier sérieux et engageant, de faire revenir doucement mais sûrement la confiance et l’adhésion des citoyens ; Il faut inculquer au citoyen que seule la croissance, dont le moteur principal est l’investissement, est génératrice de création d’emplois, de réduction des déficits, de desserrement fiscal et d’assouplissement monétaire. Un programme de mobilisation de ressources, internes et externes, élaboré par des expertises crédibles, bénéficiant de l’écho et le respect international, sous le pilotage du Gouverneur de la Banque centrale, dernière citadelle de confiance du pays.

 Abdelmajid Fredj